ASTROLOGIE, MARIAGES ET C.G. JUNG, par Didier CASTILLE

Carl Gustav Jung à passé sa vie à tenter d’explorer le psychisme humain et s’est livré dans cet objectif aux expériences les plus diverses. Il réalise, dans les années 1950, une étude originale qui associe à la fois l’astrologie et des statistiques matrimoniales. En dépit d’une absence de résultats probants, imputables notamment à des défauts méthodologiques, il y trouve un appui pour établir les fondements empiriques du principe de synchronicité. 

 
Article original publié dans le numéro 10 des "Cahiers du Rams"



À la recherche d’occurrences significatives et signifiantes

Carl Gustav Jung réalise au début des années 1950 une étude statistique des plus inhabituelles (1). Son objectif est de rendre tangible des liens qui échappent à la logique ordinaire. Pour cela, il à besoin d’un matériel expérimental susceptible d’aboutir à des conclusions suffisamment sures. Mais il à surtout besoin d’un ensemble de faits mesurables pouvant être mis en relation avec un ensemble de faits faisant sens. C’est dans la tradition alchimique et astrologique que Jung trouve ce champ d’expérimentation.

Selon lui, les techniques divinatoires, parmi lesquelles il classe l'astrologie, reposent sur le principe de la relation de circonstances synchrones et il trouve en elles un terrain fécond pour ses recherches. Car l'astrologie postule une correspondance signifiante entre une structure horoscopique (le thème natal, cartographie géocentrique du système solaire au moment de la naissance d’un individu) et un caractère ou un évènement. Elle est également riche de représentations mythologiques ou alchimiques, domaines que Jung affectionne tout particulièrement.

Dans un premier projet expérimental, il imagine de déterminer un ensemble de caractères astrologiques et d’en vérifier la validité sur le vivant. Mais il abandonne vite cette idée, considérant, non sans raison, que le tempérament des individus est un critère trop subjectif et dont l’appréciation est chose trop subtile. Par contre, le mariage qui unit deux personnes lui semble être une bonne piste.

Il est vrai qu’il est assez facile de constituer un échantillon de personnes mariées dont les dates et heures de naissance sont connues précisément. Jung se procure ainsi les coordonnées natales de 180 couples. Plus tard, il en obtiendra 220 supplémentaires auxquelles 83 autres s’ajouteront encore. Au total, son enquête porte sur 966 thèmes natals.

De sa culture astrologique, qui semble vaste si l’on en juge ses notes (2), Jung retient surtout la proximité ou l’éloignement dans le ciel de certains astres pris dans le thème natal de l’époux et dans le thème natal de l’épouse. Son attention se concentre principalement sur la proximité (conjonction) du Soleil du premier avec la Lune de la seconde, ainsi que sur la proximité ou l’éloignement de planètes telles que Venus ou Mars, ou de points tels que les ascendants.

Les mariages se font-ils dans le ciel ?


Le protocole de recherche que Jung met au point est relativement simple. Tout d’abord, il confronte partiellement les thèmes natals de deux personnes mariées en calculant les distances angulaires (aspects) de conjonction (proximité, soit 0°) et d’opposition (éloignement maximal, soit 180°) formées par quelques positions astrales (Soleil, Lune, Vénus, Mars, Ascendant/Descendant) pour l’un et pour l’autre. Il reproduit ensuite ce calcul pour les 179 autres couples maries du premier échantillon. Puis, les couples sont répartis selon les 50 conjonctions ou oppositions éventuellement formées entre les thèmes. Enfin, il compare cette répartition à une répartition théorique et analyse les résultats.

Jung réalise ensuite la même opération pour les 220 couples supplémentaires pour se livrer à une deuxième analyse des résultats. Puis les deux échantillons sont rassembles et les résultats obtenus avec les 400 couples sont de nouveau analysés. Enfin, les 83 derniers couples sont intégrés à l’ensemble et les résultats sont analysés.

De l’étude du premier échantillon, il ressort que la conjonction entre la Lune de l’épouse et le Soleil de l’époux concerne 18 couples soit quasiment le double de ce que la théorie laisse espérer. De plus, d’autres distances angulaires, une quinzaine, sont plus fréquentes qu’en théorie.

Devant ces résultats, la surprise de Jung est, on l’imagine, intense. Intrigué comme il l’est par la "Coniunctio Solis et Lunae", évocation de l’harmonie des contraires mythologique et alchimique, Jung est stupéfait par ce qu’il obtient. Dès la première tentative, il trouve en effet ce qu’il cherche.

La suite est différente. Avec le deuxième échantillon, c’est la conjonction des deux Lunes qui est la plus fréquente : 24 couples contre 10 en théorie. Encore une fois, Jung obtient un résultat qui, selon ses sources astrologiques, corrobore les allégations de la tradition. De nouveau la surprise est de taille car, de nouveau, le résultat est très improbable.
Mais, par contre, la conjonction de la Lune de l’épouse avec le Soleil de l’époux n’est plus alors que très banale et les aspects surabondants dans le premier échantillon ne sont plus qu’au nombre de huit. Le plus ennuyeux c’est, bien évidemment, que le résultat du premier échantillon est infirmé par celui du second. Plus tard, l’assemblage des trois échantillons aboutira à une espèce de délayage des résultats, plus aucun aspect ne sortant de l’ordinaire avec l’étude des 483 couples.

La correspondance astrologique n’obéit à une loi au sens scientifique

Malgré les quelques caractéristiques surprenantes qu’il obtient à l’époque, Jung affiche très clairement que ses résultats ne sont pas encourageants du point de vue scientifique. "On ne peut guère espérer prouver, en conséquence, que la correspondance astrologique obéit à une loi au sens scientifique". On peut ajouter aujourd’hui d’autres arguments qui vont dans ce sens.

Tout d’abord, l’échantillon total est d’une taille insuffisante pour espérer des résultats probants. Plus le nombre de facteurs sensés expliquer un phénomène est grand, plus l'échantillon doit être volumineux. Ici, les facteurs sont très nombreux : Soleil, Lune, Mars, Vénus et Ascendant/Descendant relevés dans les deux thèmes et selon leur valeur de conjonction ou d’opposition. Avec le premier échantillon, on à affaire à un ensemble de 436 aspects pour un ensemble de 180 couples, ce qui est mal proportionné. Jung est d’ailleurs le premier à le reconnaître et à déplorer avec raison qu’il n’y ait pas d’enquêtes à grande échelle dans le domaine astrologique.

Ensuite, on peut se poser des questions quant à la fiabilité de l'échantillonnage. Étudier un échantillon exige qu’il soit représentatif, dans sa composition, de la population à laquelle les résultats seront ultérieurement élargis, en terme d’universalité.  Or ici cet impératif n’est pas pris en compte : l'échantillon est constitué de façon aléatoire sans que jamais des comparaisons d’age, de sexe ou de catégorie socioprofessionnelle ne soient tentées avec une population exhaustive. Qui plus est, l’échantillon global résulte du groupement de trois échantillons différents qui surgissent en cours d’expérimentation pour des raisons fortuites et qui ne justifient en rien que trois expérimentations soient menées successivement.

Enfin, Jung admet implicitement la réalité de l’horoscope dès son hypothèse de travail. Pas un seul instant il ne remet en cause les principes astrologiques qu’il utilise. Qu’ils soient exacts ou pas, la méthode scientifique ne peut justifier le renfort des telles prénotions. Ici, l’étude s’appuie sur des principes dont la réalité n’est pas prouvée. Jung déclare par exemple, avant toute production de résultats, que le Soleil, la Lune et l’ascendant sont les trois piliers de l’horoscope et que, en conséquence, il faut tenir compte de ces trois points pour faire une expérience. Il considère implicitement que le principe des aspects astrologiques est indiscutable. Il déclare également que la relation amoureuse est conditionnée par l’astrologie. Il prétend aussi que les aspects Lune-Soleil et Lune-Lune sont attestés par la plus vieille littérature astrologique comme significateurs du mariage (3). Toutes ces affirmations, à l’époque à laquelle Jung travaille sur le sujet, n’ont aucune légitimité scientifique.

Un appui au principe de synchronicité

Bien que Jung sache que ses résultats sont douteux, il ne renonce pas pour autant à mettre en valeur son expérimentation (4). Là où certains auraient abandonné en brandissant leurs statistiques pour décrier l’astrologie, lui, de façon très surprenante, convertit ses constats matrimoniaux en autre chose. On s’imagine que Jung étudie l’astrologie et cherche à en établir scientifiquement le bien fondé et on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Pour lui, l’astrologie n’est qu’un auxiliaire dans la survenue d’événements synchrones et elle est, à ce titre, un matériau d’expérimentation particulier.

Il déclare ainsi, page 75 : "Les méthodes divinatoires doivent pour l’essentiel leur efficacité à la même relation qu’elles entretiennent avec les comportements émotionnels : en touchant une disponibilité inconsciente, elles suscitent l’intérêt, la curiosité, l’attente, l’espérance et la crainte et par là une prépondérance correspondante de l’inconscient".

Autrement dit, le déroulement de ses expériences statistiques s’apparente à un acte créateur autonome qui n’est pas explicable par la causalité. Cela revient à dire que tout se passe comme si une force obscure pousse les résultats pour qu’ils coïncident avec la mobilisation active de l’inconscient, qu’importe que l’expérience soit correctement menée ou pas.

Au cours de la première expérience., Jung est en fait très enthousiasme par son projet et par ce qu’il connaît des relations matrimoniales en astrologie. Selon lui, cet enthousiasme coïncide avec l’apparition dans sa vie d’un échantillon de 180 couples qui correspond parfaitement avec ce qu’il espère trouver. "On à l’impression que les méthodes créent des conditions favorables à l’apparition de coïncidences signifiantes". Plus tard, son entrain pour l’expérimentation astrologique et statistique faiblissant un peu, les 303 couples supplémentaires ne permettront plus d’obtenir des résultats probants. "Les résultats se détériorent en même temps que se refroidit mon intérêt pour la chose".

Au final, l’expérience sur les mariages, non probante scientifiquement, vient nourrir le principe de "synchronicité", l’un de principaux nœuds théoriques de le psychologie analytique développée par Carl Gustav Jung . Il découle de la présomption que, parfois, "le hasard peut créer des ordres signifiants de sorte que tout se passe comme si une intention causale avait été à l’œuvre". En d’autres termes, certaines occurrences de notre vie courante sont riches de sens sans qu’elles aient pour autant un lien rationnel avec notre vie intérieure. "La synchronicité est un phénomène qui fait qu’un contenu psychique inattendu qui se rapporte de façon directe ou indirecte à un événement objectif extérieur, coïncide avec l’état psychique banal."

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Notes

  1. C. G. JUNG - "Synchronicité et Paracelsica" - Albin Michel, 1988. Le compte-rendu de l'expérimentation (pages 58 à 77) est suivi d’un texte complémentaire ultérieur (p. 279 à 289).
  2. En particulier, il est fait mention des travaux statistiques de Paul Flambart (alias Paul Choisnard) dans la note 49 (p. 112).
  3. Jung se base ici sur les très anciens commentaires de Jérôme Cardan sur le Tétrabible de Ptolémée. Selon une traduction récente à partir de l’original grec, Ptolémée dit dans le livre IV que la vie commune dure quand les luminaires des conjoints forment de configurations harmonieuses, c’est à dire en trigone ou sextile. Il évoque également l’ascendant et d’autres planètes au sujet de l’attraction et de la qualité de la vie de couple. Ptolémée va donc plus loin que Jung dans son éventail d’inclinations. De plus, il parle de la qualité de l’union alors que Jung en reste à la décision de se marier, qui n’est pas forcement garante d’un mariage réussi. "Le livre unique de l’astrologie", présenté, traduit et commenté par Pascal Charvet, en collaboration notamment avec Yves Lenoble - Nil éditions- Paris, 2000
  4. On relève ce commentaire à la page 72 : "Si les astrologues (à peu d’exceptions près) avaient pratiqué davantage la statistique et étudié scientifiquement l’interprétation astrologique, ils auraient découvert depuis longtemps que leurs dires reposent sur des bases mal assurées".

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