LE MOMENT D'ASTROLOGIE : LA QUESTION SOULEVÉE PAR L'ASTROLOGIE HORAIRE, par Geoffrey CORNELIUS

De nombreuses parties et pratiques de l'astrologie sont mal à l'aise dans le cadre ptolémaïque, mais elles ne tranchent pas suffisamment avec celui-ci pour en être perceptiblement distinctes. Une dimension majeure de l'horoscopie n'occupe cependant et manifestement aucune place dans le schéma. C'est la tradition de l'Astrologie Horaire, l'art du jugement d'un horoscope pour le moment où une question est posée à ou par un astrologue.


Une série d'articles consacrés à la pensée de Geoffrey Cornelius



La perspective divinatoire en Astrologie selon Geoffrey Cornelius, par Kirk Little

L’article d’Oslo  : astrologie et divination, par Geoffrey Cornelius

Le moment d'astrologie :

    Partie 1 : Rétablir l’attitude divinatoire

    Partie 2 : La question soulevée par l’Astrologie Horaire

    Partie 3 : Katarche

    Partie 4 : Le coup d’état métaphysique de l'astrologie natale
  
    Partie 5 : La divination et la fracture sujet/objet

    Partie 6 : L’homme qui a l’œil ouvert

L’astrologie est une divination ? Quelle importance… par Geoffrey Cornelius

Le contraste entre l'astrologie horaire et la description habituelle de l'astrologie natale permettra une compréhension plus précise des limites de l'attitude ptolémaïque, puisque l'astrologie horaire place en accent critique tout le problème du "moment d'astrologie".
En février 1638, William Lilly publie un thème horaire pour le moment où il entend parler de son "poisson volé" : "J'ai pris l’exact moment où j'ai entendu le rapport pour la première fois et j'ai érigé la figure en conséquence, en m'efforçant de me donner satisfaction sur ce qu’il est advenu de mes biens et, si possible de les récupérer en partie." (1)

Poisson volé, samedi 10 février 1638 8h45 du matin, Walthon-on-Thames. Regiomontanus

Selon les méthodes traditionnelles de jugement du vol, le voleur peut être montré par une planète pérégrine dans un angle, en particulier le descendant. Lilly trouve Jupiter dans le Scorpion au Descendant ; Jupiter est pérégrine - c'est-à-dire qu'il n'a aucune dignité par son positionnement zodiacal. Son dispositeur Mars, maître de la VII, est en Scorpion dans la VII, de sorte que Lilly trouve la description du voleur, "de Mars et de Jupiter sa nature". La prépondérance des signes d'Eau, ainsi que le bon sens, informent Lilly que son homme est étroitement lié à l'eau. Par un magnifique mouvement de symbolisme, il voit que Mars, sur le point de changer de signe pour le Sagittaire, lui montre quelqu’un sur le point de déménager. Lilly mène quelques enquêtes locales, et "je découvre une telle personne", en fonction de la description donnée : "très soupçonné de vol... un pêcheur, de bonne stature, épais et plantureux, clair de teint, des cheveux roux ou jaunâtres". De plus, Lilly peut décrire à partir du thème l'état du poisson dans un endroit humide ou dans une pièce basse. Il voit aussi qu'il obtiendra certainement des nouvelles du poisson : la Lune applique par sextile à Mercure maître de II - ses biens - dans le signe des Poissons, les poissons. La probabilité que Lilly obtienne au moins quelques nouvelles de son poisson est évidente à partir de ce symbolisme pour les astrologues qui n'ont que la plus brève connaissance de la méthode de l’astrologie horaire. Sur la base de ce symbolisme, Lilly obtient un mandat d'un juge de paix. Le dimanche de la semaine suivante, accompagné d'un gendarme et d'un marinier, il va directement voir le coupable et le poisson : "en partie mangé, en partie non consommé, tout avoué".


Le jugement de Lilly porte la marque de sa maîtrise, mais les circonstances ne sont pas plus remarquables que d'innombrables expériences similaires enregistrées par des astrologues horaires. Pour arriver à un tel jugement, il suffit de l'horoscope du moment de la question, sans référence à une nativité. Lorsqu'un natus, ou tout autre horoscope d'origine, est occasionnellement pris en considération, son rôle est généralement limité à fournir un témoignage secondaire aux indications du thème horaire.
Si l’astrologie horaire n'est pas une méthode appliquée à un autre moment d'origine, il est raisonnable de demander si le moment horaire est en soi une telle origine. Chez certains auteurs, on parle du moment horaire comme de la "naissance" d'une idée ou d'une question. Ivy Goldstein-Jacobson suit l'instinct maternel à partir de la pratique natale pour fournir cette description : 

"Parfois, un problème est longuement réfléchi pendant des semaines et demande du temps pour se développer, comme une période de gestation, avant que les positions planétaires ne soient en ligne pour répondre : les circonstances s'en occuperont infailliblement, et la question naîtra au bon moment pour qu'on lui donne sa réponse." "Simplified Horary Astrology" (Astrologie Horaire simplifiée) (2).

Cette métaphore atténue la distinction tranchée qui est faite entre l’astrologie horaire et la description conventionnelle de l'astrologie natale. De cette façon, l'astrologie horaire pourrait sembler engager un peu de la plausibilité de la tradition ptolémaïque, si soigneusement établie, sur la base de l'"hypothèse des graines".
Cependant, la métaphore de la "naissance d'une question" est ouverte au doute, car elle peut obscurcir la nature distinctive de l'astrologie horaire. Il est certainement vrai que le moment où une idée me vient à l'esprit pour la première fois peut bien produire une carte du ciel puissante - mais ce n'est qu'une des possibilités de l'astrologie horaire. Une question se pose souvent en totale signification bien avant qu’elle ne soit officiellement posée à un astrologue. En outre, le moment horaire se produit le plus caractéristiquement au milieu de l'action à laquelle il se réfère, et non au début de cette action. Dans le cas du poisson disparu de Lilly, le moment horaire ne peut pas être considéré comme une origine significative de l'affaire : ce statut doit être réservé à l'instant du vol, et non à l'instant de son reportage.
Il peut être considéré comme fructueux d’envisager le moment horaire comme une origine astrologique, en ce sens qu'il est généralement à l'origine de l'implication de l'astrologue dans l'affaire. Ainsi, le résultat d'une affaire peut être influencé de manière décisive par le jugement astrologique, comme dans la question du travail de détective avisé de Lilly. Cependant, abstraction faite du fait que les astrologues horaires n'ont pas, à ma connaissance rendu explicite cette vision des "origines" horaires, il est clair qu'une description impliquant la participation de l'astrologue sortirait directement du cadre ptolémaïque. Cette participation est en effet une caractéristique décisive de l’astrologie horaire, comme il sera précisé plus loin. Cependant, la description commune des origines astrologiques les traite comme un fait de la nature, indépendant de l'astrologue. Du point de vue de Ptolémée, le caractère déterminé au moment de la naissance ne dépend pas du fait qu'un astrologue interprète ou non l'horoscope natal. Il s'agit donc de conclure que le moment horaire n'est pas réductible aux origines astrologiques telles qu’elles sont universellement comprises dans le schéma de Ptolémée. Étant donné que, dans ce schéma, la doctrine d'origine est le fondement logique de l'horoscopie, cela donne une information essentielle sur le statut problématique de l'astrologie horaire.
L’astrologie horaire ignore la limite établie par Ptolémée comme inhérente à la structure de l'astrologie. Elle fonctionne avec des moments qui ne sont pas des origines dans le sens ordinaire du mot, pourtant elle interprète le ciel dans une correspondance point-par-point avec des détails exacts et particuliers d'une situation transitoire. Cela implique-t-il un "moment continu" d'astrologie capable d'une interprétation continue dans le domaine du particulier, et non pas simplement limité au royaume de l’universel selon la manière de Ptolémée ? À première vue, l'astrologie horaire peut sembler dépendre d'une telle idée. Lorsque Ivy Goldstein-Jacobson dit que "les circonstances s'occuperont infailliblement" de l'alignement exact des positions planétaires nécessaires pour permettre une réponse au moment horaire, cela suggère l'idée d'un grand modèle pénétrant les moindres détails du comportement humain et du monde naturel, pour tenir ce moment par moment en parfaite concordance avec le motif céleste. La concordance est le destin, une question de nécessité inévitable : "cela n'aurait pas pu être autre chose que cela". En dernière analyse, rien d'une quelconque importance humaine n'est considéré comme une question de contingence ou de simple "chance", car un modèle universel pré-ordonné ou une Providence divine est sans cesse à l'œuvre.
Il suffit d'une petite réflexion sur le phénomène pour dissiper la notion floue de "correspondance continue" comme base de l’astrologie horaire. La correspondance continue avec le domaine des particularités peut en effet avoir sa véritable place en tant qu'intuition mystique de l'astrologie. Cependant, pour exprimer un point très évident, il ne s’est pas encore développé un art de l'horoscopie capable de démontrer selon des méthodes rationnelles et communicables, que le mouvement des cieux correspond continuellement point-par-point à la myriade des circonstances diverses ici bas, au niveau des particularités que l'on trouve dans l'astrologie horaire habituelle. Il semblerait qu'il y ait quelque chose de spécial dans le moment horaire qui permet une interprétation pour les particularités, tout comme il y a quelque chose de spécial dans les moments de conception et de naissance pour la tradition ptolémaïque.
Le moment horaire s'étire jusqu'au point de rupture de la tentative raisonnable d'"expliquer" l'horoscopie adoptée par la tradition ptolémaïque. On m'a suggéré plus tôt qu'il y a un hiatus logique dans la façon dont Ptolémée reporte de la même manière sur le moment de la naissance des influences qui semblent si plausibles pour la conception. Ce n'est qu'un petit sujet par rapport à l’abîme de croyances qui s'ouvre lorsque le discours littéral approprié à l'"hypothèse des graines" est étiré pour couvrir le moment horaire. Comment le détail particulier auquel l'heure se réfère peut-il être si exactement déterminé par les cieux, simplement dans un moment horaire transitoire ? Il ne s'agirait plus d'un motif céleste de la graine, ou d'un "moment-graine", qui peut déterminer ou signifier les lignes de développement d'une entité. L'astrologue horaire travaille avec une correspondance céleste détaillée avec les formes particulières d'entités pleinement développées, à l’instant de poser une question. Le mécanisme implicite dans l'hypothèse des graines, par ailleurs astucieusement décrit, devient inconcevable et absurde.
Le fait qu'il existe une autre classe de "moments" astrologiques, qui n'est évidemment pas elle-même réductible aux origines, pourtant capable d'interprétation pour les particularités, jette le modèle ptolémaïque dans le désarroi. À tout le moins, ce modèle est détrôné de la suprématie de description complète de la réalité astrologique. Au-delà de cela, il y a la possibilité qu'en cherchant une description du moment horaire, un traitement plus fondamental de l'horoscopie, y compris les nativités, soit nécessaire.
Pour ces raisons, il n'est pas surprenant que, tout au long de notre tradition, l'astrologie horaire ait rencontré de la résistance de la part des représentants de l'attitude ptolémaïque. Ptolémée lui-même n’autorise pas l'astrologie horaire, ou rien de la sorte, dans le "Tétrabible". Puisqu'il ne la mentionne pas nommément, son rejet doit être déduit d'une étude de son modèle d'astrologie. La situation se complique avec l'existence du "Centiloque", communément considéré comme un appendice de son travail. Des aphorismes horaires y sont inclus parmi d'autres matériaux divers. L'œuvre dans son ensemble manque de cohérence par rapport au Tétrabible et elle est désormais généralement reconnue comme d’une paternité inconnue.
Il y a un passage intrigant dans le Tétrabible dans lequel Ptolémée contourne l'essentiel de ses contemporains qui se disent eux-mêmes astrologues. Ils sont censurés pour adopter des pratiques divinatoires qui ne peuvent pas prétendre au nom d'"astrologie" à proprement parler.

"...La plupart, pour le gain, revendiquent la crédibilité d’un autre art au nom de celle-ci (astrologie), et dupent le vulgaire, parce qu'ils sont réputés pour prédire beaucoup de choses, même celles qui ne peuvent pas naturellement être connues à l'avance." I-2, p. 13f (version anglaise).

Ptolémée ajoute que l'effet de cette tromperie permet à des observateurs réfléchis de rejeter même "les sujets naturels de la prophétie". Il est probable que l'astrologie horaire était la principale pratique horoscopique de l'époque à offenser Ptolémée comme non naturelle.
L'insistance sur ce qui est "naturellement" possible est cruciale et se répète tout au long de la tradition. À partir du XVIIe siècle, Placidus, l'un des défenseurs les plus fidèles de Ptolémée, indique clairement le motif logique sur lequel réside son rejet des "interrogations" horaires :

"Les étoiles ne peuvent pas être les signes d'effets, à moins qu'elles ne soient aussi les causes ; par conséquent, les interrogations, à la manière des anciens, n'ont aucune place dans la nature."(3)

Pour l'astrologue ptolémaïque, les significations spécifiques, telles que celles données par Lilly à Jupiter dans son 'Poisson volé', ne peuvent être attribuées qu'à une planète agissant au moment horaire par transit sur un "promissor" approprié dans le natus. Cette possibilité est émise pour inclure des actions sur une position dirigée ou progressée produite sur le natus. À moins que la médiation d’un horoscope d'origine ne puisse être montrée, l'interprétation de l'effet momentané de Jupiter n'est valable qu'au niveau universel, et non au niveau du particulier. En pratique, si nous devions limiter la validité de l'astrologie horaire à l'universel, nous ne pourrions interpréter que des "effets éminents pour lesquels les étoiles meuvent la cause approximative des effets naturels". Placidus cite l'exemple de l'effet naturel universel produit par le Soleil, qui indistinctement "fait fondre la cire, assèche la boue, la blanchit, noircit la peau humaine". Mais en aucun cas, Jupiter, se couchant de manière à coïncider avec l'heure de l'interrogation de Lilly, ne peut approximativement causer l'apparence physique et la nature morale d'un pêcheur à Walton.
Là où l'attitude ptolémaïque est la plus clairement adoptée, la répression de l'astrologie horaire suit, non pas de l'expérience, mais comme une question de nécessité logique. Cela ne semble pas être lié à l'habileté de l'astrologue : il se trouve un éventail de talents pour accompagner Placidus. Il suffit de citer le rejet de maîtres du calibre d'Al-Biruni, communément reconnu comme le plus grand des astrologues arabes, et de Morin de Villefranche, l'illustre contemporain de Lilly (4).
Il n’y a qu’un petit pas entre la désignation de ce qui est "naturel" et l'imputation selon laquelle le succès de l'astrologie horaire est attribuable à un agencement surnaturel, probablement au-delà des limitations des lois de l'islam ou du christianisme. Al-Biruni, catégorisant alors les divisions de l'astrologie, constate qu'au-delà de celles qui sont acceptables - qui incluent l'étude des "commencements ou origines" particuliers - se trouve une autre possibilité :

"Au-delà de celles-ci, il y a une cinquième division où de telles origines sont entièrement inconnues. Ici, l'astrologie menace de transgresser ses propres limites, où sont présentés des problèmes qu'il est impossible de résoudre pour la plus grande part, et où la question laisse la base solide de l’universel à une particularité. Lorsque cette limite est franchie, quand l'astrologue est d'un côté et le sorcier de l'autre, vous entrez dans un champ de présages et de divinations qui n'a rien à voir avec l'astrologie, bien que les étoiles puissent être référencées en lien avec eux." (5)

C'est l’une des tâches de cette étude que d'être en désaccord avec cet érudit en inversant sa catégorisation. Il sera suggéré que l'astrologie, dans toutes ses parties, a tout à voir avec "un champ de présages et de divinations".
Des échos de l'affirmation d'Al-Biruni se retrouvent à toutes les époques. Une pâle réflexion moderne sur le même thème mettrait le succès de l'astrologie horaire sur le compte de dons psychiques ou de l’intuition, comme si une interprétation rationnelle qui suit les canons de la méthode horaire n'avait rien à y voir. La répression de l’astrologie horaire par les astrologues ayant une certaine prétention à l'autorité se poursuit des nos jours. Jeff Mayo n'a pas besoin de la précision de Placidus ou de la vaste étendue du savoir d'Al-Biruni pour rallier l'assaut moderne - un simple aperçu suffira :

" Je pense que ce n’est pas de l'astrologie. Chaque moment peut posséder une qualité distincte et être le lien entre le passé et le présent, mais c'est un pure absurdité. L'astrologie horaire est une moquerie d'un sujet sérieux." (6)

Les astrologues modernes de toutes les écoles représentatives de l'attitude ptolémaïque - qu'ils s'en rendent compte ou pas – se déterminent rarement contre l'astrologie horaire d’une façon aussi intransigeante. Cependant, il n'est pas difficile de sentir leur inconfort face à l’astrologie horaire. Elle ne peut pas être "prise au sérieux", elle n’a pas de véritable base, pas de justification rationnelle. L’astrologie horaire semble arbitraire, subjective et sans limites claires. En outre, peu d'astrologues horaires sont susceptibles de fournir une façon intellectuellement satisfaisante de décrire leur pratique - la philosophie actuelle de l'astrologie ne fournit même pas les rudiments d'une telle description. L'astrologie horaire doit être laissée comme une question de foi, d'expérience et d'habileté. L'astrologue horaire se trouve donc dans une position différente de celle de ses collègues en astrologie natale, qui s’imaginent qu'ils ont au moins le début d'une explication raisonnable derrière eux - tel est le don de Ptolémée. Il est étrangement juste que l'astrologie horaire joue généralement la réciproque perverse des doutes qui émanent du point de vue ptolémaïque, en démontrant avec défi l'absurde et le trivial, comme pour abattre la façade d'un "sujet sérieux".
Il est manifeste avec l'astrologie horaire, plus immédiatement qu'avec d'autres branches de l'horoscopie, que la conception philosophique de l’a priori dicte l'expérience. Depuis de nombreux siècles, l'ensemble de notre tradition dépend implicitement de l'explication donnée par Ptolémée pour justifier l'astrologie natale. Cela rend l'astrologie plausible et contribue donc de manière substantielle à sa perpétuation généralisée. Cela a eu un prix : la répression de l'expérience qui ne convient pas. Une telle expérience, même reconnue, devient inexpliquée, absurde.
Cela nous ramène à un thème fondamental de cette étude : le comment de l'astrologie n'est en aucun cas la même question que celle du moment d'astrologie. Les tentatives d'explication risquent toujours de rendre confus tout effort de description des phénomènes auxquels nous sommes confrontés - l'expérience ambivalente et éclairante de l'astrologie. Il vaut mieux laisser l'astrologie inexplicable si nous la perdons en l’expliquant.

Que peut-on déduire de la pratique horaire concernant son moment d'astrologie ? Une fois mises de côté les distractions du schéma ptolémaïque, un domaine d'incertitude s'ouvre. La mise en lumière de notions implicites est un projet incertain car rien de la nature d'une discussion philosophique explicite n'a transmis la tradition horaire. L'astrologie horaire a eu de puissants artisans, mais aucun Ptolémée pour en fournir la théorie.
Une étude détaillée de la pratique horaire dissipera enfin toute notion persistante d'"origines" ptolémaïques. Une convention, du moins dans la pratique moderne, localise l'horoscope au lieu où se trouve la personne qui pose la question, mais au moment de la réception de la question par l'astrologue. Ainsi, si une lettre vient d'Australie, l'astrologue est légitime pour établir la carte du ciel avec l’Ascendant et d'autres cuspides pour le lieu en Australie, mais pour le moment où il lit la lettre. Par conséquent, l'horoscope n'est pas maintenant établi pour une "origine" unique à un seul emplacement spatial-temporel. De plus, l'astrologue est libre de mettre de côté cette convention : si la carte ainsi produite ne semble pas valide dans son symbolisme, alors l'astrologue a la liberté de prendre les cuspides pour son propre emplacement. L’expérience est ce qui "a du sens", pas un critère tiré de la géographie. Par dessus tout, ce qui est démontré ici c'est que l’astrologie horaire dépend dans sa forme finale de l'astrologue.
C'est une caractéristique d'une importance cruciale. Le quoi du moment horaire ne consiste pas simplement à poser une question significative. Il s’agit de poser d'une question significative à un astrologue. Cela peut être déduit de l'exemple déjà vu de la demande venant d'Australie. Mais cela se révèle plus fondamentalement dans la nature de la méthode horaire elle-même, qui indique directement l'implication de l'astrologue donnant son jugement sur la question. Il ne s'agit pas simplement d'une possibilité périphérique d'interprétation ou d'une couleur supplémentaire : c’est une préoccupation fondamentale de la méthode. Les "Restrictions contre le jugement" sont des significations qui préviennent l'astrologue de ne pas porter de jugement : l'une d'entre elles, liée à Saturne et la Maison VII, concerne explicitement le rôle de l'astrologue. Le fait que l'astrologue qui donne la réponse soit symbolisé "dans" l'horoscope indique clairement que la définition de l'astrologie horaire dépend du fait qu'un astrologue est là pour réaliser un jugement. Une astrologie horaire sans astrologue n'a pas de sens. Cela semble éloigné de l'attitude caractéristique en astrologie natale, où l'astrologue ne cherche pas à établir son rôle en la matière et où l'horoscope est traité comme s’il était une base "objective" pour les déductions, apparemment indépendante de tout astrologue.
Cela ne renie pas l'astrologie horaire si le demandeur, celui qui pose la question, n'a pas l'intention que la question soit posée de cette manière : il est suffisant que l'astrologue "la prenne " comme horaire. Il trouvera bientôt par la pertinence ou, par ailleurs par le symbolisme, s’il a pris une décision fructueuse. Pour cette raison, la description de l’astrologie horaire doit aller encore plus loin dans la reconnaissance de la participation active de l’astrologue. Le moment horaire est celui où une question posée sera reprise par l’astrologue. Elle n’existe pas "en tant qu'horaire" tant qu’elle n’est pas prise. Que l’exercice tout entier fonctionne ou non devient alors la fonction d’un point intangible : l’état de l’astrologue et s’il est à ce moment-là en capacité d’expression créatrice de son art traditionnel.
Un horaire n’est pas comme une créature naturelle née à un moment et à un lieu particuliers. Ce n’est pas non plus une "question significative" qui flotte sans qu’un astrologue y réponde. L’ensemble du projet dépend de l’astrologue. Il constitue donc une forme spéciale et peu commune de demande, fortement évocatrice de divination . Dans la divination telle qu’elle est communément reconnue, un devin pose une question spécifique à un système d’oracle, comme celui des cartes de tarot, ou le Yi Ching. Parfois le devin pose la question au nom d'un demandeur, et interprète la réponse de l'oracle. En astrologie horaire, l'oracle peut être considéré comme le ciel lui-même, l'astrologue interprétant sa réponse au nom du demandeur. Il n'est donc pas surprenant que l'astrologie horaire ait gagné le nom d'"astrologie divinatoire".
Pour l'astrologie horaire, il est manifeste que l'intervention créative de l'astrologue est décisive dans la détermination du moment d'astrologie. Avoir établi la participation active de l'astrologue ne serait-ce que dans une seule branche de l'art peut avoir des conséquences pour toute autre partie de l'astrologie : c'est encore une autre raison pour laquelle un accueil inconfortable est parfois réservé à l'astrologie horaire. Le désir de la traiter comme une bête distincte dissimule le malaise de nombreux astrologues face aux dilemmes qu’elle soulève. Définir l'astrologie horaire comme ayant un statut distinct serait également le prélude à son exclusion totale du canon de la pratique astrologique, si cela devenait embarrassant pour nos aspirations à la respectabilité académique. De ces considérations, je ne suis pas Marc Edmund Jones qui appelle l'astrologie horaire "astrologie divinatoire" (7), même si cette expression nous mène à la bonne façon de l'aborder, car cela implique que le reste de l'astrologie n’est pas divinatoire.
Plutôt que de traiter l'astrologie horaire comme quelque chose de tout à fait distinct, j'adopterai la stratégie alternative. Cela signifie que la doctrine de l'astrologie horaire ouvre la porte à des phénomènes inhérents à toute pratique astrologique, qui ne sont néanmoins pas articulés par le modèle rationnel donné par Ptolémée. Ce modèle a ensuite été reconnu comme inadéquat pour décrire et définir l'ensemble du projet d'astrologie horoscopique. La question soulevée par l'astrologie horaire remet en question le cadre traditionnel de ses racines philosophiques.

La question se révèle encore dans le développement historique de l'astrologie, et en particulier au début de la séparation des traditions horaires et ptolémaïques.
Avant Ptolémée, l'astrologie horaire peut être tracée dans les œuvres de Sérapio d'Alexandrie (premier siècle avant ou après J.-C.) et de Dorothée de Sidon (vers 50 après J.-C.). Bien que de nombreuses caractéristiques de l'horoscopie première aient peu de rapport avec la pratique moderne, il existe néanmoins des cohérences remarquables des principes majeurs de l'interprétation. Précédant d’un millénaire et demi la méthode identique à celle employée par Lilly et son " Poisson volé", Dorothée décrit la planète au Descendant comme déterminant le caractère du voleur dans des jugements concernant des articles volés (8).
Pour les premiers auteurs, les interrogations horaires sont nommées par le terme grec "katarche". Une traduction littérale de ce mot est "début", ce qui semble présenter une autre facette de l’omniprésente doctrine d'origine. Une restitution plus fidèle à l'usage astrologique est "initiative". Cela évoque avec précision l'idée d'action et d’objectif humains, en contraste avec une origine naturelle.
Le terme a été utilisé jusqu'au cinquième siècle après J.-C. au plus tard, selon le témoignage des catalogues attribués à Palchus (9). Dans cette collection se trouvent des interrogations horaires typiques telles que "Concernant le linge perdu d'une fille esclave" (Taureau ascendant. avec Vénus en Vierge) et "Un petit lion : s'il sera apprivoisé" (ascendant 2° Lion). Ce dernier n'est pas nommé katarche, mais la question à propos du linge est décrite comme suit : "Katarche, concernant le linge perdu d'une fille esclave". Elle est également mentionnée comme une "demande" dans le texte. Un autre katarche est pour le moment de la réception de lettres de détresse, ce qui est dans le champ d’application de la méthode moderne de l’astrologie horaire. Encore un autre jugement qui serait horaire selon les critères modernes juxtapose les termes katarche et demande : "Demande sur un katarche concernant la crainte d'un voyage à Athènes."
En dehors de son utilisation pour décrire les interrogations horaires, le terme katarche est distinctement appliqué au moment du début d'une entreprise. Palchus donne un jugement sur le moment où Théodorus, préfet d'Égypte, entre à Alexandrie (17 mars 486 après J.-C., vers 7 h 30). La signification de la rapide disgrâce de Théodorus est démontrée par l'horoscope. Le katarche décrit ainsi ce que l'on appellerait maintenant l'astrologie "inceptionnelle". Du point de vue moderne, l'extension de cette méthode au choix actif ou à l'"élection" d'un moment favorable semble suivre naturellement. Et en effet, dans cette collection se trouve l'horoscope du moment élu pour le couronnement de Léonce à Antioche. Léonce a tenté de s'affirmer en tant qu'empereur romain d’orient : "cette personne prenant un katarche de deux astrologues a été couronnée et immédiatement chassée de la royauté et de la fortune". Le terme katarche est utilisé pour décrire le moment élu pour le couronnement (18 juillet 484, 6 heures).
Il y a une patine d'ambiguïté à la surface du katarche astrologique. Il semble étrange que les méthodes inceptionnelles ou électives, qui conviennent bien à la notion d'"initiatives", puissent être combinées sous une rubrique commune avec des interrogations horaires. En décrivant la pratique horaire moderne, il a déjà été suggéré que le moment horaire n'est généralement pas un "début ", et le même problème se pose ici assez clairement avec le linge de la fille esclave. Peut-être que l'astrologie horaire mène à l'"initialisation" de l'action, mais cette interprétation n'est pas plus évidente chez Palchus que dans les discussions des auteurs modernes.
Quoi qu'on en déduise de Palchus, il y a une indication plus convaincante que le katarche est devenu une description insatisfaisante. Le terme n'a pas survécu, et n’a pas été traduit, dans une pratique astrologique ultérieure. Les astrologies inceptionnelle et élective, qui peuvent facilement être englobées dans l'attitude ptolémaïque, ont suivi leur propre chemin et sont fréquemment traitées indépendamment de l'astrologie horaire. Morin a rejeté l'astrologie horaire, mais a écrit sur la doctrine des élections.
Dans cette ambiguïté se trouve l'indice que le terme katarche avait déjà décliné au moment des textes attribués à Palchus, pour devenir l'enveloppe d'une compréhension première. Peut-être qu'il y avait en cela plus que le recueil d’applications non natales disparates. Le travail sera de retracer le katarche à travers les origines de l'astrologie horaire. Cette tentative conduira, sur un chemin tortueux à travers un territoire peu balisé, à l’ancienne pratique de la divination. C'est ce qui forme le substrat duquel est sorti le projet de l'horoscopie. Ce n'est qu'alors que la question posée par l'astrologie horaire sera capable d'une résolution fondamentale.

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Notes

  1. William Lilly, "Christian Astrology" (Astrologie chrétienne), 1659, Londres, p. 397. Édition abrégée et amendée de Zadkiel réimprimée par Newcastle Publishing Co., Inc., Hollywood, Ca., 1972, p. 240.
  2. Ivy Goldstein-Jacobson, "Simplified Horary Astrology", Pasadena Lithographers, Pasadena, Ca., 1960, p. 1.
  3. Placidus de Titis, "Primum Mobile", traduction de John Cooper, 1814, thèse 6, p. 3., republié par ISCWA, Bromley, Kent, 1983.
  4. L'attitude de Morin concernant l’astrologie horaire ; remerciements à Denis Labouré pour ces détails. Morin peut être situé dans la "tradition ptolémaïque" en vertu de l’analyse fondamentale entreprise dans cette étude. Dans des sujets d’interprétation moins fondamentaux, Morin est un critique de Ptolémée.
  5. Al-Biruni "The Book of Instruction in the Elements of the Art of Astrology" (De l'instruction concernant les principes de l'astrologie), Londres, Luzac, 1934, p. 317-319. Cité abondamment dans "An Introduction to Islamic Cosmological Doctrines" (Introduction aux doctrines cosmologiques islamiques), par Seyyed Hosein Nasr, Thames & Hudson, Londres, 1978, p. 164. Al-Biruni a vécu de 973 à 1051.
  6. Jeff Mayo "Teach Yourself Astrology" (Apprenez l’astrologie par vous-même), English Universities Press, 1964. Ch. 15, p. 184.
  7. Mark Edmund Jones "Horary Astrology" (Astrologie horaire), Shambhala Publications Inc., Berkeley, Ca., 1971. Développé à partir des leçons polycopiées de "Divinatory Astrology" (Astrologie divinatoire), 1930-1931. Ce travail impressionnant offre la seule discussion théorique substantielle sur l’astrologie horaire et vaut une étude approfondie. Du point de vue adopté ici, M. E. Jones ne fait pas avancer la question de la divinisation.
  8. "Dorotheus and Serapio : details from "Tbe Yavanajataka of Sphujidhvaja"" (Dorothée et Serapio : détails du "Yavanajataka de Sphujidhvaja"), Vol II édité, traduit et commenté par David Pingree. Harvard University Press, 1978, Cambridge, Mass. & Londres, p. 379-380.
  9. Palchus, de "Greeks Horoscop" (Horoscopes grecs), O. Neugebauer & H. B. van Hoesen, publié par American Philosophical Society, Philadelphie, 1959 (voir L 474 - L 487). Selon Pingree (Réf. Note 8 ci-dessus, p. 437), "Palchus" n’est pas un compilateur (vers 500) mais est le masque derrière lequel Eleutherius Eleus se cache en 1388 ; le nom "Palchus" est une traduction en grec de de l'arabe al-Balkhi, le résident de Balkh. Eleutherius a cependant rassemblé des fragments véritablement anciens.

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