Capitale de la Thuringe , Erfurt est une ville allemande aux charmes multiples. Bâtie sur la rivière Gera, qui s’y écoule en plusieurs bras, elle est à la fois entreprenante et culturelle, bucolique et expressive. Son centre est truffé de curiosités : une architecture variée, moyenâgeuse, renaissance, baroque et moderne, un dôme gothique, une très ancienne synagogue, un pont habité... Au cœur de la ville, les façades qui cernent le Fischmarkt, la place où se tenait jadis le marché au poisson, sont décorées de nombreux symboles, notamment astrologiques.
Unique pont habité d'Europe
du Nord, le "Krämerbrücke" |
La ville s'est développée au cours des 14e et 15e siècles comme une cité médiévale dont le développement économique, politique, intellectuel et culturel en fit un grand centre commercial au sein du Saint-Empire romain germanique.
Erfurt est la plus grande des trois métropoles régionales (Oberzentren) de Thuringe, avant Gera et Iéna. Elle est également un évêché catholique, une ville universitaire (Martin Luther en est l'étudiant le plus célèbre), un centre d’administration régionale, un siège d’institutions importantes, telle que le tribunal fédéral du travail, et une plaque tournante du transport au centre de l’Allemagne (Hauptbahnhof). Erfurt doit d’ailleurs sa puissance économique à sa position stratégique sur la route commerciale Rhin-Russie.
Le Krämerbrücke, le pont des épiciers, constitue aux côtés de la cathédrale (Erfurter Dom) l’un des principaux monuments de la ville. Il s’agit du seul exemple au nord des Alpes de pont habité. Ses origines remontent à 1156. Il a été reconstruit dans sa forme actuelle en 1472 avec 62 maisons à colombages. Elles ne sont plus que 32 aujourd'hui, avenantes boutiques d'artisanat et d'antiquités.
Le Fischmarkt, le marché au poisson, est la place historique de la ville. C'est là que se croisent les routes marchandes qui traversent Erfurt. On y trouve aujourd'hui l’hôtel de ville, de style néogothique, un centre culturel "Zum roten Ochsen", le bâtiment de
Les maisons colorées qui délimitent le Fischmarkt. Au centre de la place se dresse une colonne érigée en 1591. Elle sert de socle à un guerrier barbu "der Römer" (le romain) |
Zum breiten Herd |
Le Courage est habituellement figuré par une femme casquée et armée d’une épée ou d’un gourdin. Ici, Fortitudo, au milieu de rameaux de chêne, symboles de force et de fidélité, prend appui sur un lion qu’elle a domestiqué.
Enfin, la représentation classique de la Tempérance est une femme versant de l’eau d’un vase à l’autre. Ce n’est pas le cas ici puisqu’il s’agit d’une femme accoudée à la margelle d’une fontaine et se restaurant de pain et d’eau. La source doit ici être interprétée comme une évocation de l’Hippocrène, la source du mont Hélicon dont la légende dit qu’elle est née d’un coup de sabot de Pégase. Dans le monde germanophone, cette source est souvent utilisée pour illustrer le Verseau, qui se trouve au sud de la constellation Pégase.
Sur la façade de la Gildehaus , la proximité de la Force et de la Tempérance , en d’autres termes du Lion et du Verseau, signes opposés dans le Zodiaque, interpelle l’amateur de symbolismes.
Le bâtiment de la Caisse d'épargne (Sparkassengebäude) a été construit en 1934 et 1935 sur les plans de l'architecte allemand Johannes Klass et dans le style "Neuen Sachlichkeit", l'architecture moderne qui a émergé dans le monde germanophone dans les années 20 et 30 et qui s'est parfois appelée nouvelle objectivité.
La décoration de la façade qui donne sur le Fischmarkt est l'oeuvre du sculpteur Hans Walther. Sous le pignon, et conformément à d'autres motifs historiques de la place, se trouvent six figures anecdotiques qui représentent les vices : la gourmandise, la vanité, la paresse, la bêtise, l'envie et l'avarice. Très proche, un bas-relief fait le pendant en illustrant l'utilité publique, la serviabilité sociale et la sécurité : "l'intérêt général passe avant l'intérêt personnel". On y remarque également les douze signes du zodiaque.
De part et d'autre de la grande fenêtre de
les signes du zodiaque sculptés dans la pierre
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Le Cancer, représenté par l'écrevisse |
La plus intrigante des façades du Fischmarkt d’Erfurt est sans conteste celle de la splendide maison "Zum Roten Ochsen", au bœuf rouge. Il en est déjà question en 1392 dans les archives mais sa mise en valeur dans le style Renaissance remonte à 1562. Les transformations sont dues au négociant de pastel et conseiller municipal Jakob Naffzer.
Au dessus du portail orné de têtes de lions, sur une longue frise bleue, des personnages sculptés s'égayent autour d'un bœuf rouge souriant sous ses cornes d'or : il s’agit des personnifications des sept planètes dans leurs attributions astrologiques traditionnelles et des muses.
La maison abrite aujourd’hui un centre culturel et une galerie d’art.
L'ordonnancement des sept planètes, Saturne suivi de Mars, de Jupiter, du Soleil, de Vénus, de Mercure et de la Lune, répond à une logique qui nous échappe : il ne s'agit pas de l'ordre des jours de la semaine ni de la suite des maîtrises planétaires des signes. Il ne s'agit pas non plus d'un classement des planètes selon leur vitesse car, même si c'est la meilleure des options, Jupiter n'y est pas en bonne place.
De gauche à droite, Saturne, Mars et Jupiter, le Soleil et Vénus, le bœuf rouge, Mercure et Vénus, le groupe des muses |
Les planètes sont placées deux par deux, Saturne mis à part. Cet isolement coïncide ainsi parfaitement avec le tempérament solitaire qui caractérise Saturne.
On voit ici Saturne estropié et soufflant dans une corne d'or, possible référence au signe du Capricorne qu'il maîtrise. Cette représentation de Saturne avec une jambe de bois se rencontrait parfois dans les almanachs germanophones de la Renaissance. Non seulement Saturne est en relation symbolique avec les infirmes mais cette jambe manquante est une évocation de la castration de Saturne.
Mars et Jupiter sont tous deux représentés en hommes de guerre portant armures, casques, sabres et épées. Mercure porte, lui aussi, une armure et son casque est muni d'ailes afin de rappeler qu'il est le messager des dieux. Le sceptre qu'il tient de sa main droite peut-il être qualifié de caducée? Non seulement on n'y discerne pas les serpents qui s'y enroulent mais les boucles sont ici orientées vers le bas.
Les deux femmes de la frise, la Lune et Vénus, toutes deux vêtues d'une longue robe sans forme, les cheveux défaits et une lance à la main, semblent être un même personnage. Ces figures pourraient avoir été extraites de l’œuvre de l'illustrateur allemand Hans Sebald Beham (1500-1550), dans laquelle on trouvent des femmes lunaires ou vénusiennes munies d'une lance.
Vénus, symbole de l'amour, tient ici un cœur rouge et l'offre au personnage solaire, qui lui tend en retour un soleil ardent. La mythologie ne mentionnant toutefois pas de relation amoureuse entre Apollon et Vénus, on pourrait voir ici une référence au signe du Lion, maîtrisé par la Soleil et maîtrisant le cœur, ou une allusion à un horoscope montrant le Soleil et Vénus conjoints et prêts à se lever au-dessus de l'horizon.
Terpsichore, la muse de la danse et de la poésie légère, et Uranie, la muse de l’astrologie
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