L'AURORE NAISSANTE, chapitres I et II, par Jakob BÖHME

La capacité intérieure et creuse du corps d'un homme est, et représente, la profondeur qui est entre les étoiles et la terre, le corps entier, avec tout ce qui le constitue, représente le ciel et la terre. La chair représente la terre, et aussi est-elle de terre. Le sang représente l'eau, et aussi vient-il de l'eau. L'haleine représente l'air, et aussi est-elle l'air. La vessie dans laquelle l'air qualifie [ou opère] représente l'espace entre les étoiles et la terre, dans lequel le feu, l'air et l'eau qualifient d'une manière élémentaire, et aussi la chaleur, l'air et l'eau qualifient-ils dans la vessie comme dans l'espace, au-dessus de la terre.


Jakob Böhme (1575-1624), 
par von Gottlob Glymann
Jakob Böhme, théosophe qu'on a surnommé "Philosophus teutonicus", est un des principaux représentants du mysticisme moderne. Son œuvre est empreinte de connaissances astrologiques et alchimiques profondes.
Ces deux premiers chapitres de "L'aurore naissante" sont tirés de l'édition française de 1800, traduite de l'édition en allemand (1682) par le "Philosophe inconnu".

Chapitre Premier

De la recherche de l'essence divine dans la nature

Des deux qualités

Quoique la chair et le sang ne puissent pas saisir l'essence divine, et que cela n'appartienne qu'à l'esprit quand il est vivifié et éclairé par Dieu; si l'on veut toutefois parler de Dieu et chercher ce qu'il est, il faut soigneusement scruter les vertus qui résident dans la nature , et même toute la création, les cieux, la terre, les étoiles, les éléments et les créatures qui en sont provenues, en outre les saints anges, le démon et l'homme, ainsi que le ciel et l'enfer.

Dans cette contemplation, on trouve deux qualités, une bonne et une mauvaise, qui sont unies l'une à l'autre, comme n'en faisant qu'une, et cela dans tous les points de cet univers, dans les étoiles, les éléments et toutes les créatures et aucune créature dans un corps de chair et dans la vie naturelle, ne peut exister sans avoir en elle ces deux qualités.

Ici il faut observer ce que signifie le mot qualité: la qualité est l'action, le bouillonnement ou l'impulsion d'une chose; telle est, par exemple, la chaleur qui brûle, consume et repousse tout ce qui vient en elle, et n'a pas sa même propriété. En revanche, elle éclaire et échauffe tout ce qui est froid, humide et ténébreux, et elle durcit ce qui est mol. Elle a encore deux genres en elle, savoir, la lumière et la fureur. Sur quoi voici ce qu'il y a à remarquer:

La lumière, ou le cœur de la chaleur, est en soi-même un coup d'œil joyeux et aimant, une vertu de la vie, une clarification, et un signalement d'une chose qui est éloignée. C'est un rayonnement et un écoulement du céleste royaume de l'allégresse car elle donne à tout dans ce monde la vie et l'activité. Toute chair, les arbres, les feuilles, l'herbe ne croissent dans ce monde que dans la vertu de la lumière, et ont leur vie en elle, c'est-à-dire, dans ce qui est bon.

D'un autre côté elle a aussi en soi le colérique, en sorte qu'elle brûle, consume et détruit. Ce colérique bouillonne, s'élance et s'élève dans la lumière, la rend mobile, lutte et combat dans ses deux sources conjointement, comme s'il n'y avait là qu'une seule chose; et en effet il n'y a là qu'une seule chose, mais qui a une source double.
 
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Notre Dame du Sablon, Bruxelles

La lumière subsiste dans Dieu sans la chaleur; mais elle ne subsiste pas ainsi dans la nature; car dans la nature toutes les qualités sont ensemble comme une seule qualité, à l'instar de Dieu qui est tout, et de qui tout provient et procède. Dieu est le cœur ou la source de la nature; c'est de lui que tout prend l'origine. [Par le mot nature il ne faut point entendre ici la nature actuelle;· mais· une nature qui lui est antérieure. Un des principes fondamentaux de l'auteur est qu'il y a une nature éternelle, parfaitement harmonisée, dont est sortie violemment la nature temporelle, passagère et désordonnée où nous· sommes. Quelquefois il les distingue par une épithète, quelquefois, comme dans cet endroit-ci, il supprime l'épithète; quelquefois il passe, sans en prévenir, de la nature éternelle à la nature actuelle, comme on le voit ci-après au verset 7, et il laisse ainsi les lecteurs dans l'incertitude de savoir quelle est celle de ces deux natures dont il veut parler. Mais avec un peu d'attention, on parviendra bientôt à ne plus s'y tromper. Cet ouvrage ne doit pas se lire légèrement. Il faut se dévouer à en faire quelque étude, si l'on désire d'en acquérir l'intelligence].

Or la chaleur domine dans toutes les vertus de ta nature et échauffe tout; c'est le bouillonnement universel. Si cela n'était pas ainsi, l'eau acquerrait un degré de froid insupportable, la terre serait dans l'engourdissement, et en outre il n'y aurait point d'air

La chaleur règne partout, dans les arbres, dans les plantes, dans l'herbe; elle rend l'eau active, en sorte que par le bouillonnement de l'eau les plantes et l'herbe sortent de la terre. C'est pourquoi elle se nomme une qualité en ce qu'elle fomente tout et fait tout monter.

Mais la lumière dans la chaleur, donne à toutes les qualités un pouvoir qui fait que tout devient gracieux, et que tout agrée. La chaleur sans la lumière est non seulement infructueuse pour les autres qualités, mais elle est même préjudiciable à ce qui est bon. C'est une source mauvaise; car tout se corrompt dans la furie de la chaleur. Aussi la lumière dans la chaleur est-elle une fontaine vivante dans laquelle vient l'esprit saint; mais il ne va point dans la qualité colérique [ou fougueuse]. Toutefois la chaleur donne l'activité à la lumière; elle la fait bouillonner et la rend féconde. C'est ce que l'hiver nous apprend. Quoique dans cette saison la lumière du soleil soit sur la terre, cependant les rayons chauds de ce soleil ne parvenant point jusqu'à notre globe, on n'y voit aussi pousser aucun fruit.

De la qualité du froid

Le froid est aussi une qualité, comme la chaleur. Il opère dans toutes les créatures quelconques qui proviennent de la nature, et dans tout ce qui se meut en elle, hommes, animaux, oiseaux, poissons, vers, feuilles, herbes; il est en opposition avec la chaleur, et néanmoins il opère en elle comme s'ils n'étaient qu'une seule chose; il contient et tempère la fougue de la chaleur.

Il a aussi en soi deux caractères qu'il faut observer: l'un est qu'il adoucit la chaleur et harmonise tout, qu'il est dans toutes choses une activité stimulante, et que dans toutes les créatures il est une qualité de la vie; car sans lui aucune créature ne pourrait subsister.

L'autre est la qualité colérique; car il ne peut déployer sa violence, sans tout perdre et sans tout détruire, comme fait la chaleur; avec lui aucune vie ne pourrait subsister, si la chaleur ne le contenait pas. La fougue du froid est comme celle de la chaleur, la destruction de toute vie et un habitacle de la mort.

De l'air et de la qualité de l'eau

L'air tire son origine de la chaleur et du froid; car la chaleur et le froid s'agitent avec véhémence et remplissent tout; c'est ce qui occasionne l'activité et la vivacité du mouvement; mais si le froid mitige la chaleur, alors les deux qualités s'atténuent et la qualité amère les attire ensemble et les transforme en gouttelettes; mais l'air tire principalement son origine et son mouvement de la chaleur, et l'eau tire les siens du froid.

Maintenant les deux qualités continuent de lutter ensemble. La chaleur consume l'eau; le froid condense l'air. Or l'air est la cause et l'esprit de toute vie et de tout mouvement dans ce monde. Parmi toute chair el parmi tout ce qui croît sur la terre, et qui se meut dans ce monde, il n'y a rien qui ne tienne sa vie de l'air, et qui puisse exister sans l'air.
 
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Zodiaque à la basilique Saint-Denis
 

L'eau bouillonne aussi dans tout ce qui vit et se meut dans ce monde. C'est dans l'eau que se trouve le corps de toute chose; et dans l'air, l'esprit; soit dans les animaux, soit dans les végétaux de la terre. Et ces deux choses, l'eau et l'air, qui proviennent de la chaleur et du froid, opèrent ensemble, comme si elles n'étaient qu'une.

Mais dans ces deux qualités, il y a aussi deux caractères à remarquer, savoir: l'opération de vie et l'opération de mort. L'air est une qualité vivante, lorsqu'il agit dans une chose avec douceur; et l'esprit saint règne dans la douceur de l'air, ce qui fait le bien-être de toute créature. Mais il a aussi en soi le colérique avec lequel il tue et détruit par sa furieuse impulsion. Néanmoins il tient de la furieuse impulsion sa qualification originelle, en sorte qu'il y a dans tout un bouillonnement et un stimulant d'où la vie provient et existe; c'est pourquoi cette même vie doit renfermer les deux qualités.

L'eau a aussi en soi un bouillonnement colérique et mortel, car elle tue et consume. Aussi voit-on que tout ce qui a vie et mouvement se corrompt et se détruit dans l'eau.

C'est ainsi que la chaleur et le froid sont la cause et l'origine de l'eau et de l'air, dans lesquels tout existe et opère; et c'est en cela que consiste la vie et le mouvement de toutes choses, ce dont je parlerai clairement lorsque je traiterai de la création des étoiles.

De l'influence des autres qualités dans les trois éléments feu, air et eau

De la qualité amère

La qualité amère est le cœur dans chaque vie, de même que dans l'air elle rassemble l'eau et la divise jusqu'à la dissoudre, de même aussi en agit-elle dans toutes les créatures, ainsi que dans toutes les plantes de la terre. Car c'est de la qualité amère que les feuilles et l'herbe tiennent leur couleur verte. Si c'est avec douceur que cette qualité amère réside dans une créature, alors elle devient pour elle le cœur ou la joie, et elle est le principe et la source du rire de la satisfaction, car elle disperse toutes les autres mauvaises influences.

En effet lorsqu'elle se meut dans une créature, elle lui occasionne un joyeux tressaillement qui la ravit dans tout son corps, car elle est une réverbération du céleste royaume de délices, une ascension de l'esprit, un esprit et une virtualité dans toutes les plantes se la terre, une mère de la vie.

Comme elle est une réverbération du céleste royaume de délices, l'esprit saint agit et fermente puissamment dans cette qualité, ainsi que je le montrerai par la suite; mais elle a aussi en elle un caractère colérique qui est un véritable habitacle de la mort, une destruction de tout ce qui est bon, une ruine et une corruption de la vie dans la chair. C'est pourquoi, si elle s'exalte trop dans une créature, et qu'elle s'enflamme dans la chaleur, alors l'esprit et la chair se séparent, et la créature ne peut éviter la mort car cette qualité amère excite et allume l'élément feu dont aucune chair ne peut supporter l'âpre et violente ardeur, mais si elle s'allume dans l'élément eau, et qu'elle y bouillonne, elle occasionne dans la chair des langueurs, des maladies et finalement la mort.

De la qualité douce

La qualité douce est opposée à la qualité amère, elle est agréable, elle est un délicieux restaurant de la vie, un calmant du colérique, elle rend tout joyeux et amical dans les créatures, elle donne aux plantes qui sortent de la terre leurs bonnes odeurs, leur goût agréable, ainsi que leurs belles couleurs jaune, blanche et vermeille, elle est un reflet et un écoulement de l'aménité [divine], un canal de la félicité céleste, un habitacle de l'esprit saint, une modulation de l'amour et de la miséricorde, une joie de la vie. D'une autre part elle a aussi en elle une source colérique, un germe de mort et de destruction car si dans la qualité amère elle s'enflamme dans l'élément eau alors elle engendre des malaises, des enflures, des maladies pestilentielles et la corruption dans les chairs, mais si dans la qualité amère, elle s'enflamme dans la chaleur, alors elle infecte l'air, elle engendre des pestes soudaines et rapides et la mort subite.

De la qualité aigre

La qualité aigre est placée en opposition de la qualité amère et douce, elle tempère tout convenablement. Elle est rafraîchissante et calmante, lorsque les qualités amère et douce s'élèvent trop; elle est un appétit du goût, un attrait de la vie, un agréable bouillonnement dans toutes choses; un désir et un attrait passionnés du royaume de joie; une paisible demeure de l'esprit. Telle est l'harmonie qu'elle établit dans toutes les choses vivantes et agissantes; mais elle a aussi une source mauvaise et destructive; car si elle s'élève et bouillonne trop dans une chose et qu'elle s'y enflamme, elle y engendre la tristesse et la mélancolie. Si elle s'enflamme dans l'eau, elle y engendre la puanteur; elle y devient brisante et grumeleuse; un oubli de tout ce qui est bon; un dégoût de la vie; un habitacle de la mort; un commencement de l'ennui et une fin du plaisir.

De la qualité astringente ou saline

La qualité saline est un excellent modérateur dans les qualités amère, douce et aigre. Elle met une délicate allégresse dans toutes choses; elle empêche les qualités amère, douce et aigre de s'élever jusqu'à s'enflammer; elle est une qualité piquante, un délice dans le goût, une source de la vie et du contentement. En revanche elle a aussi en soi le colérique et la corruption; car si elle s'enflamme dans le feu, alors elle engendre une propriété durcissante, déchirante, pétrifiante, une source furieuse, une destruction de la vie; c'est de là que la pierre naît dans la chair, et lui cause de si grands tourments; mais si elle s'enflamme dans l'eau, alors elle engendre dans la chair de la gale, des abcès, des virus varioliques, la grattelle, la lèpre; elle devient une triste demeure de la mort, un oubli, une douloureuse absence de tout ce qui est bon.

Chapitre Deuxième

Exposition de la manière dont on doit considérer l'essence divine et l'essence naturelle

Tout ce dont nous avons parlé ci-dessus est désigné sous le nom de qualité par la raison que toutes ces choses qualifient [ou opèrent] dans l'immensité, au-dessus de la terre, sur la terre et dans la terre. Elles y opèrent conjointement les unes et les autres, comme n'étant qu'une, quoiqu'elles aient des vertus diverses et des actions différentes; mais elles n'ont qu'une seule mère d'où tout descend; et toutes les créatures proviennent et sont formées de ces qualités dans lesquelles elles vivent comme dans leur mère. La terre, les pierres et tout ce qui croît sur la terre, ne tient son origine,  sa vie et sa source que de la vertu de ces qualités, ce que nul homme raisonnable ne pourra nier.

Cette double impulsion, bonne et mauvaise, qui se manifeste dans toutes choses, découle des étoiles; car telles que sont les créatures dans leurs qualités sur la terre, telles sont aussi les étoiles. En effet, c'est de sa double impulsion particulière que chaque chose prend sa grande activité, son cours, sa marche, sa source, son stimulant et sa croissance.

Car dans la nature, la qualité douce est un paisible repos; mais la qualité colérique fait que dans toutes les puissances, tout se meut procède et engendre; et véritablement les qualités impulsives portent dans toutes les créatures l'attrait pour ce qui est mauvais et pour ce qui est bon, en sorte que mutuellement tout se désire , se mélange, s'adopte, se repousse, s'embellit, se corrompt, s'aime, et se hait.

Dans toutes les créatures de ce monde, dans les hommes, les animaux, les oiseaux, les poissons, les vers, l'or, l'argent, l'étain, le cuivre, le fer, l'acier, le bois, les plantes, les feuilles et l'herbe; aussi bien que dans la terre, dans les pierres, dans l'eau, en un mot dans tout ce que l'homme peut considérer, il y a une impulsion et une source bonne et mauvaise.

Il n'y a rien dans la nature qui n'ait intérieurement la qualité bonne et la qualité mauvaise; toute chose quelconque bouillonne et vit dans celle double impulsion. Il en faut excepter les anges saints et les féroces démons; car leurs deux classes sont à part. Ils vivent, opèrent et dominent chacun selon leur propre qualité. Les anges purs vivent et opèrent dans la lumière, dans la qualité bonne, dans laquelle règne l'esprit saint; les démons vivent et dominent dans la qualité fougueuse, dans la qualité de la fureur, de la colère ou de la destruction.

Mais les deux classes d'anges bons et mauvais ont été formés des qualités de la nature d'où toutes choses sont provenues. Seulement les qualifications [ou les opérations] qui se passent en eux ne sont pas les mêmes.
 
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Anges, la Lune et Mercure à la Collégiale de Berne, en Suisse

Les anges saints vivent dans la douce et joyeuse vertu de la lumière, et les démons vivent dans la vertu irritable et superbe de la fureur, dans l'effroi et dans les ténèbres; et ne peuvent atteindre à la lumière d'où ils ont été bannis pour avoir voulu s'élever au-dessus d'elle, comme je l'exposerai en son lieu, quand je traiterai de la création.

Mais au cas que vous ne puissiez pas croire que tout dans ce monde découle des étoiles, je vais vous le démontrer , si toutefois vous n'êtes pas dépourvu de sens et de raison. Remarquez donc ce qui suit [L'auteur développera davantage par la suite son système astronomique].

Considérez d'abord le soleil; il est le cœur ou le chef de toutes les étoiles, il leur donne à toutes la lumière depuis l'orient jusqu'à l'occident; il éclaire tout, il échauffe tout. C'est dans sa force que toutes les créatures puisent leur vie, leur croissance et leur bien-être.

Or donc, si l'on retranchait le soleil, tout deviendrait ténébreux et froid, il ne croîtrait aucun fruit; ni les hommes, ni les animaux ne pourraient se reproduire, car la chaleur s'éteindrait et leur semence deviendrait froide et congelée.

De la qualité du soleil

Si vous êtes un philosophe curieux des connaissances de la nature, et que vous cherchiez dans la nature ce que c'est que l'essence divine, et comment toutes choses ont été formées, invoquez Dieu pour que son esprit saint daigne vous éclairer sur ces objets.

Car avec la chair et le sang vous ne pourriez pas les comprendre. Quelque chose que vous lussiez sur cela, ce ne serait devant vos yeux que comme une vapeur et une obscurité ténébreuses. Ce n'est que par l'esprit saint qui est en Dieu, et dans la nature universelle d'où toutes choses sont provenues, que vous pouvez pénétrer jusque dans le corps universel de la Divinité, (lequel corps est la nature) et jusque dans la trinité sainte. Car l'esprit saint procède de la trinité sainte et règne partout dans le corps de Dieu, c'est-à-dire, dans la nature universelle.
 
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De même que l'esprit d'un homme règne dans tout son corps, dans toutes ses veines et remplit l'homme tout entier, de même aussi l'esprit saint remplit la nature universelle; comme étant le cœur de la nature et dominant dans toutes choses, dans les qualités bonnes. Si vous l'avez en vous cet esprit saint, en sorte qu'il éclaire et remplisse votre esprit, alors vous pourrez comprendre ce qui va suivre dans cet écrit. Si cela n'est pas, il en sera de vous comme des doctes païens qui, émerveillés de la création, veulent la scruter et l'analyser avec les lueurs de leur propre raison; ils s'avancent par leurs fictions jusque devant la face de Dieu, mais ils ne peuvent point la regarder, et ils sont absolument aveugles dans connaissance divine. C'est ainsi que les enfants d'Israël, dans le désert, ne pouvaient regarder la face de Moïse, et qu'il était obligé de se couvrir d'un voile quand il se présentait devant le peuple. Aussi ne surent-ils pas connaître le vrai Dieu ni comprendre sa volonté quoiqu'il marchât cependant avec eux; c'est pourquoi le voile était un signe de leur aveuglement et une figure de leur peu d'intelligence. Aussi peu l'œuvre comprend son maître, aussi peu un homme comprend et reconnaît Dieu son créateur, à moins qu'il ne soit éclairé par l'esprit saint; et cela n'est réservé qu'à ceux qui ne se reposent pas sur eux-mêmes, mais qui mettent toute leur espérance et toute leur volonté en Dieu et se meuvent dans l'esprit saint; ce sont ceux-là dont l'esprit est un avec la Divinité.

Si l'on considère donc attentivement le soleil et les étoiles avec leurs corps, leurs opérations et leurs qualités, on aura là une juste idée de l'être divin, en ce que les vertus des étoiles sont la nature.

En effet, si l'on observe le cercle total ou la circonscription entière des étoiles, on verra bientôt qu'elle est la mère de toute chose, ou la nature dont toutes choses sont provenues; dans laquelle toutes choses vivent et subsistent; par le moyen de laquelle tout se meut, et par les vertus de laquelle tout est formé pour demeurer en elle éternellement; et quoiqu'à la fin de ce temps les choses doivent être changées, lorsque le bien et le mal se sépareront, cependant l'ange et l'homme demeureront éternellement dans Dieu, dans la vertu de la nature, d'où ils ont tiré leur première origine.

Mais il faut ici porter votre pensée jusqu'à l'esprit, et considérer que toute la nature, avec toutes les puissances qui sont en elle; que la largeur la profondeur, la hauteur, le ciel, la terre et tout ce qu'elle contient, et ce qui est au-dessus du ciel, que toutes ces choses, dis-je, sont le corps de Dieu, et que les vertus des étoiles sont les fontaines, ou les veines du corps naturel de Dieu dans ce monde.

Il ne faut pas croire que dans la circonscription des étoiles, soit l'universelle et triomphante trinité sainte, Dieu, le père, le fils et l'esprit saint, dans lequel il n'y a aucun mal; qui est au contraire la lumière sainte, et l'éternelle source de joie; qui est indivisible et immuable; qui est tel qu'aucune créature n'a assez de capacité pour le comprendre et l'exprimer, ni pour en sonder la profondeur; qui demeure en lui-même, et est à part de la circonscription des étoiles.

Mais il ne faut pas croire non plus qu'il ne soit point du tout dans cette circonscription des étoiles et dans ce monde. Car, lorsque l'on dit: Tout, ou d'éternités en éternités, ou tout en tous, on entend par-là l'universalité divine. Prenez-en une comparaison dans l'homme, qui est formé à l'image et à la ressemblance de Dieu, selon que Moïse l'a écrit. (Gén. I. vers. 27.)

La capacité intérieure et creuse du corps d'un homme, est et représente la profondeur qui est entre les étoiles et la terre; le corps entier, avec tout ce qui le constitue, représente le ciel et la terre. La chair représente la terre, et aussi est-elle de terre. Le sang représente l'eau, et aussi vient-il de l'eau. L'haleine représente l'air, et aussi est-elle l'air. La vessie dans laquelle l'air qualifie [ou opère], représente l'espace entre les étoiles et la terre, dans lequel le feu, l'air et l'eau qualifient d'une manière élémentaire, et aussi la chaleur, l'air et l'eau qualifient-ils dans la vessie comme dans l'espace, au-dessus de la terre. Les veines représentent le jaillissement de la vertu des étoiles, et sont aussi ce jaillissement de la vertu des étoiles: car les étoiles, dans leurs puissances, dominent dans les veines, et font que l'homme acquiert sa forme. Les entrailles et les boyaux représentent l'opération des étoiles ou la destruction, tout ce qui est provenu de leurs puissances, tout ce qu'elles ont fait elles-mêmes, elles le redéfont elles-mêmes, et le tout reste dans leurs puissances; et aussi les boyaux sont-ils la destruction de tout ce que l'homme entasse dans ses intestins, et qui universellement n'est provenu que de la vertu des étoiles.

Le cœur dans l'homme représente la chaleur ou l'élément feu, et aussi est-il la chaleur : car la chaleur qui est dans tout le corps, a son origine dans le cœur. La vessie représente l'élément air, aussi c'est dans elle que l'air domine. Le foie représente l'élément eau, et aussi est-il l'eau, car c'est du foie que le sang va dans tout le corps et dans tous les membres, le foie est la mère du sang.

Les poumons représentent la terre, et aussi sont-ils de sa qualité.

Les pieds représentent la proximité et l'éloignement: car dans Dieu, ce qui est près et ce qui est loin, n'est qu'une même chose; et l'homme, par le moyen de ses pieds, peut aller près et loin: mais à quelqu'endroit qu'il soit, il ne se trouve ni près, ni loin dans la nature; car dans Dieu cela na fait qu'un.

Les mains représentent la toute puissance de Dieu; car de même que Dieu peut tout varier dans la nature, et en faire ce qu'il lui plaît; de même aussi l'homme peut-il, avec ses mains, changer tout ce qui croît et provient de la nature, et le manipuler à sa volonté; par le moyen de ses mains, il dispose de la substance et des œuvres de toute la nature; et elles sont réellement l'image de la toute-puissance de Dieu.

Maintenant portez plus loin vos remarques.

Le corps entier jusqu'au col, représente la sphère circulaire de la circonscription des étoiles, aussi bien que la profondeur qu'embrassent les étoiles, et dans laquelle règnent les planètes et les éléments. La chair représente la terre qui est compactée et n'a aucune mobilité; aussi la chair n'a-t-elle en elle-même ni mobilité, ni compréhension, ni raison; elle n'est mue que par la vertu des étoiles, qui règne dans la chair et dans les veines.

Et, en effet, la terre ne produirait aucun fruit, aucun végétal; il ne se formerait dans son sein aucuns métaux, ni or, ni argent, ni cuivre, ni fer, ni même aucunes pierres, sans le concours et l'opération des étoiles. La tête représente le ciel; elle a poussé au-dessus du corps, par le moyen des veines et par le jaillissement des forces virtuelles. Aussi ces forces virtuelles retournent-elle de la tête et de la cervelle dans le corps, et dans les sources vaineuses de la chair.

Or, le ciel est une aimable et délicieuse demeure, dans laquelle résident toutes les puissances comme dans toute la nature, dans les étoiles et les éléments; mais non pas si âpres, si impétueuses, et si bouillonnantes [Par le mot ciel l'auteur n'entend pas ici le ciel divin.] Car chaque puissance dans le ciel n'a qu'un seul caractère et qu'une seule espèce de propriété, qui est d'être radieuse, et d'avoir une impulsion infiniment douce, simple et pure, et non pas bonne et mauvaise comme dans les étoiles et les éléments. II tire son existence du milieu des eaux; mais ces eaux ne qualifient ou n'opèrent point de la même manière que l'eau qui est dans les éléments : car elles n'ont point en elles la qualité colérique.
Mais le ciel n'en est pas moins lié à la nature, car c'est du ciel que les étoiles et les éléments tiennent leur origine et leurs forces virtuelles. En effet, le ciel est le cœur de l'eau, comme l'eau est le cœur de tout ce qui est dans ce monde. Rien n'y existe sans l'eau; et, soit dans les animaux et les plantes de la terre, soit dans les métaux et les pierres, l'eau est le noyau et le cœur de toute choses.

Ainsi, dans la nature, dans les étoiles, et dans les éléments où se trouvent toutes les puissances, le ciel est le cœur. [Si l'on voulait le comparer à quelque chose de sensible, on pourrait dire :] Qu'il est une essence molle et douce de toutes les puissances, comme la cervelle dans la tête de l'homme.

De même que le ciel par son pouvoir excite et allume les étoiles et les éléments, jusqu'à les faire bouillonner et jaillir; de même la tête fait-elle dans l'homme cette fonction du ciel. De même que dans le ciel toutes les puissances ont des qualifications ou des opérations suaves,  gracieuses et réjouissantes; de même aussi toutes les puissances dans la tête ou la cervelle de l'homme, sont-elles susceptibles de douceur et de joie; et de même que le ciel a une enceinte ou un firmament au-dessus des étoiles, et que cependant toutes les forces virtuelles vont du ciel dans les étoiles; de même aussi la cervelle a-t-elle une enceinte ou un firmament au-dessus du corps, et cependant toutes les forces virtuelles vont de la cervelle dans le corps et dans l'homme tout entier


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Le Bélier dans les arches de Santa Maria del Azogue, Benavente, Espagne
 
La tête a en soi les cinq sens, savoir la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le tact, dans lesquels qualifient ou opèrent les étoiles et les éléments. C'est là que se forme [ou s'originise] l'esprit sidérique, astral ou naturel dans les hommes et les animaux, et dans cet esprit, bouillonne le bon et le mauvais: car il est une maison des étoiles. Les étoiles puisent dans le ciel une telle puissance, qu'elles ont le pouvoir de former dans la chair, un esprit vivant et agissant dans l'homme et la bête. L'activité du ciel fait mouvoir les étoiles, comme celle de la tête fait mouvoir le corps.

Ici ouvrez les yeux de votre esprit, et considérez Dieu, votre créateur. On se demande d'où le ciel tire une semblable puissance, pour qu'il produise une si grande activité dans la nature?

Il faut ici porter vos regards au-dessus et  au-delà de la nature, dans la lumière sainte, dans la virtualité souveraine et divine, dans la trinité incommutable et sacrée, qui est, par excellence, l'essence triomphante, bouillonnante et active et qui, comme la nature, a en soi toutes les puissances; car elle est l'éternelle mère de la nature, de laquelle nature sont provenus le ciel, la terre,  les étoiles, les éléments, les anges, le démon, les animaux, et tout ce qu'elle contient.

Lorsque l'on nomme le ciel et la terre, les étoiles et les éléments, tout ce qui y est renfermé, ainsi que tout ce qui est au-dessus de tous les cieux, on exprime par là le Dieu universel, lequel par la propre puissance qui procède de lui, s'est rendu créaturel dans tous ces objets dont nous venons de faire l'énumération

Dieu est incommutable dans sa trinité; mais tout ce qui est dans le ciel, sur la terre ou au-dessus de la terre, tire sa source et son origine de la vertu qui sort de Dieu.

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La Terre de l'hiver, vitrail de la cathédrale de Cologne, en Allemagne

Gardez-vous de croire pour cela qu'il y ait et qu'il source en Dieu du bien et du mal. Dieu est lui-même ce qui est bon; et il tire son nom de ce qui est bon, de la souveraine et éternelle allégresse. Ce n'est que de lui que procèdent toutes les puissances, que vous pouvez observer dans la nature et qui sont répandues dans toutes choses.

On dira que s'il y a du bien et du mal dans la nature, il faut donc que le bien et le mal viennent de Dieu, puisque tout vient de lui? 

Faites attention. L'homme a en lui un fiel qui est un poison. Il ne peut pas vivre sans le fiel qui est un bouillonnement de la joie et rend l'esprit sidérique, actif, triomphant, satisfait et riant: car c'est une source de l'allégresse; mais s'il s'allume dans un des éléments, alors il altère l'homme tout entier; car c'est du fiel que vient la colère dans les esprits sidériques.

Cela vient de ce que, quand le fiel s'épanche et se porte vers le cœur, alors il allume l'élément feu; et l'élément feu allume l'esprit sidérique, qui  règne dans le sang et les veines dans l'élément eau: car tout le corps tremble à cause de la colère et du poison du fiel. La joie a aussi la même source que la colère, et provient de la même substance; car si le fiel s'enflamme dans une qualité douce, gracieuse, et dans laquelle se trouve ce qui plaît à l'homme, alors tout le corps frissonne de joie, ce qui fait que l'esprit sidérique est aussi aiguillonné, quand le fiel s'élève et s'enflamme trop fortement dans la qualité douce.

Mais Dieu n'a point en lui une pareille substance; il n'a ni chair, ni sang; mais il est un esprit dans lequel résident toutes les puissances (Jean. 4 : 2) ainsi que nous le disons dans le pater : À toi appartient la puissance (Math. 6.) et comme Isaïe le dépeint: il est l'admirable, le conseiller, la puissance, le héros, l'éternel père, le prince de la paix. (Isaïe. 9.)

À la vérité, la qualité amère est aussi dans Dieu; mais non pas de la même manière que le fiel est dans l'homme: c'est une puissance éternellement préservatrice; une source de glorification dans le triomphe et dans l'allégresse.

Et quoiqu'il soit écrit dans Moïse: (Exode 20. Deuter. 4: vers. 24.) Je suis un Dieu jaloux, un feu dévorant; il ne faut pas cependant penser pour cela que Dieu s'irrite en soi-même, ou qu'un feu colérique s'élève dans la trinité sainte. Non, cela ne peut pas être, car il est écrit: quant à ceux qui me haïssent, dans ceux-là même s'élève le feu colérique.

Toute la nature serait incendiée à l'instant, si Dieu s'irritait en lui-même, comme cela arrivera un jour, au jugement dernier, dans la nature, et non pas dans Dieu : car dans Dieu il n'y aura que la joie triomphante qui sera allumée, comme elle l'a été de toute éternité, et comme elle ne peut pas cesser de l'être.
Ainsi donc c'est la Joie triomphante, ascendante et sourçante de Dieu, qui rend le ciel mobile et le remplit d'allégresse. Le ciel rend mobiles les étoiles et les éléments, et les étoiles et les éléments rendent mobiles les créatures.

Des vertus de Dieu provient le ciel, du ciel proviennent les étoiles, des étoiles proviennent les éléments; des éléments proviennent la terre et les créatures. Ainsi tout a son commencement, sans en excepter les anges et les démons, qui, avant la création du ciel, des étoiles, et de la terre, ont été produits de cette même source, d'où le ciel, les étoiles et la terre sont descendus.

Dans cette courte introduction, on voit comment il faut considérer l'être divin et l'être naturel. Désormais je pourrai décrire la véritable base, dans la profondeur; ce qu'est Dieu, et comment tout a été créé dans l'être de Dieu.

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