ASTROLOGIE ET RELIGION, par Alexandre RUPERTI

L’astrologie véritable, dont l’approche humaniste et transpersonnelle de Dane Rudhyar, que je préconise, est une expression, reconnaît la réalité et la primauté de l’environnement spirituel dans un univers intégré et significatif, où l'homme doit jouer un rôle central, indispensable, et responsable. On ne peut étudier l’astrologie sans comprendre que l’homme a évolué, évolue et évoluera encore. Le rapport de l’Église à ses fidèles doit aussi évoluer.
 
 
Article paru dans "Trigone" n° 26

L’astrologie, il y a trois ou quatre mille ans, était la base même de la civilisation et les astrologues occupaient une position de grande importance dans la hiérarchie de la société : aujourd’hui tout a changé. Le déclin de l’astrologie commença avec l’ascension de la culture Grecque. Puis le développement du Christianisme en Occident et le pouvoir croissant de l’Église, conduisirent à une répudiation de l’emploi par des individus de conseil astrologique. Pourquoi ? Parce que l’Église estimait que l’astrologie faisait concurrence à la direction spirituelle fournie par l'exemple de la vie de Jésus et plus particulièrement par l’Église.

Néanmoins, l’Église absorba une bonne partie du symbolisme et de la philosophie astrologique. Elle incorpora dans ses fêtes annuelles et dans nombre de ses concepts sociaux le principe d’ordre cyclique qui était, autrefois, uniquement la propriété de l’astrologie.

Malgré cela, l’emploi personnel de l’astrologie a persisté et, bien qu’occultée pendant le soi-disant "Siècle des lumières" (le XVIIIe siècle), l’astrologie a peu à peu ressuscité pendant la dernière moitié du XIXe siècle ; et, depuis la fin de la première guerre mondiale, elle a pris une importance grandissante dans la vie de nos sociétés.

Quelle peut être la raison de cette vitalité extraordinaire ? Si elle est périmée, désuète, pourquoi a-t-elle persisté, non seulement dans sa forme superficielle de "bonne aventure" mais aussi dans la philosophie de grands esprits tels que Kepler, Paracelse ou Boehme? Pourquoi y a-t-il aujourd’hui en dépit du mépris et de la condamnation de tous ceux qui sont conditionnés par des valeurs socioculturelles en vogue, un nombre croissant de personnes érudites et intelligentes qui exposent, étudient et pratiquent l’astrologie d’une manière ou d’une autre ? À mon sens, c’est parce que l’astrologie, non pas telle qu’on la perçoit en se limitant à ces applications diverses à travers les siècles, mais en tant que système de pensée, offre à l’homme, et surtout à l’homme moderne, un message fondamental qui lui montre comment intégrer sa vie et ses activités à la vie totale d’un environnement cosmique harmonieux. L’astrologie réinsère l’homme dans l’univers dont la science matérialiste l’avait éloigné. Elle peut redonner un sens créatif et intentionnel au rapport de l’homme avec l’univers et avec Dieu, en lui montrant qu’il est l’univers ou Dieu, vus d'un angle particulier, et que son but dans la vie et d’incorporer de manière individuelle la "volonté de Dieu".

L’astrologie révèle essentiellement comment chacun peut individuellement retrouver le sentiment d’ordre et de sécurité, non pas en usurpant le rôle de l’Église, mais en individualisant le genre de rapport que chacun devrait établir avec la "volonté de Dieu."

Jésus a eu pour mission d’attirer l’attention sur l’ordre du "Royaume des Cieux." Il a souligné le fait que ce Royaume est au-dedans de l’individu, même s’il est en même temps transcendant et inclut tous les hommes. Croire en ce Royaume, c’est ouvrir la porte sur un nouveau genre d’environnement, un environnement spirituel au sein duquel une humanité unifiée pourrait se développer.

L'Église catholique, héritière du sens d’ordre qu'avait l'Empire romain, a fait un effort concerté et relativement réussi pour être une manifestation concrète du Royaume des Cieux pendant l’Âge des Ténèbres qui a suivi les invasions Barbares. Elle a créé un environnement en partie spirituel et est en partie matériel et politique, qui a donné la possibilité à des hommes et des femmes, dans des Églises et des monastères, de sentir la "communion des saints" ; une unanimité transcendante qui répétait d’une manière céleste l’ancienne unanimité tribale. On sentait cette communion mystique comme une réalité intérieure enveloppante qui donnait aux hommes une occasion de ressentir la sécurité, le bonheur, et de s’accomplir. Pendant ce temps l’Église incorporait dans son cycle annuel de rituels de nombreuses traditions anciennes, agricoles et vitalistes, ce qui permettait d’harmoniser les mondes naturel et spirituel. Elle établissait ainsi une compensation pour le chaos politique et les déprédations féodales. Le chaos social était vaincu par un ordre mystique naturel.
 
La passage d'une année à l'autre, marqué par la figure de Janus, et le Verseau - Cathédrale de Chartres, France

Mais entre-temps, pendant les derniers trois ou quatre siècles, l’homme a changé de "dieu". Nous avons eu la croissance du rationalisme, de l’intellectualisme et de la science empirique matérialiste. Rien ne reste de cet ordre antérieur qu’on a remplacé par les lois scientifiques universelles, déshumanisées, sans finalités, sans signification humaine. On nous promet plus de pouvoir, plus de machines, plus de données analytiques, statistiques, intellectuelles - pour des spécialistes. Mais on ne nous offre aucun "savoir vivant" (i.e. sagesse) et l’homme moderne se trouve isolé dans un monde d’énergies aveugles, sans but, dans un environnement qui ne lui offre que lutte et matières premières destinées à des machines et à des accomplissements intellectuels.

Cette situation nous met devant deux possibilités : soit une société individualiste essentiellement matérialiste et anarchique, soit une société collectiviste sous la dictature idéologique ou religieuse qui vise une unanimité obligatoire. L’appel à un retour à l’Église traditionnelle et maternelle est une manifestation dans le sens de la deuxième possibilité.

Il y a actuellement une troisième possibilité, plus en harmonie avec les besoins de l’individu tel que la psychologie des profondeurs l’envisage. L'Église a senti le besoin d’assimiler les données psychologiques pour pouvoir être plus efficace dans ses rapports avec les problèmes de plus en plus personnalisés des fidèles. Pourquoi, au lieu de la combattre aveuglément et sans connaître encore sa véritable portée, ne fait-elle pas l’effort d’assimiler et d’utiliser l’astrologie ?

L’astrologie véritable, dont l’approche humaniste et transpersonnelle de Dane Rudhyar, que je préconise, est une expression, reconnaît la réalité et la primauté de l’environnement spirituel dans un univers intégré et significatif où l'homme doit jouer un rôle central, indispensable, et responsable. On ne peut étudier l’astrologie sans comprendre que l’homme a évolué, évolue et évoluera encore. Le rapport de l’Église à ses fidèles doit aussi évoluer. Pourquoi toujours considérer ces derniers comme des enfants, spirituellement parlant, au lieu de comprendre qu’il y a toujours plus d’hommes et de femmes qui sont devenus des adultes capables d’œuvrer, en tant qu’individus avec l’Église, à la spiritualisation de notre Terre? L’homme moderne n’a plus besoin de l’attitude paternaliste de l’Église. Il est de plus en plus capable d’agir en tant que penseur, ce qui l’empêche de rester au niveau enfantin de croyant. L’attitude coercitive et dogmatique de l’Église ne fait que maintenir les fidèles dans un environnement collectif "social" : elle ne permet pas un véritable rapport à un environnement spirituel. L’individualisation de l’homme, qui est le fait nouveau de son évolution, permet et nécessite une expérience et une réalisation individuelles de l’environnement spirituel. De plus en plus de personnes peuvent établir un rapport individuel avec cet environnement spirituel, devenir des intermédiaires conscients et particuliers de la "volonté de Dieu". Un retour passif au sein spirituel et maternel d'une religion encore dogmatique n’est utile que pour la masse des gens encore psychologiquement et spirituellement "enfants". L’Église se doit d’assimiler les données de la psychologie des profondeurs pour pouvoir faire une distinction entre les besoins spirituels différents de ces deux catégories de gens.

L’astrologie humaniste transpersonnelle s’adresse justement à ceux qui sont prêts à jouer un rôle personnel, significatif est conscient, dans l’environnement spirituel, à ceux qui ont dépassé le niveau d’un rapport passif inconscient et pourrait-on dire tribal, à l’Église et à Dieu. Actuellement cette astrologie comble une lacune qui n’existerait pas si l’Église était plus consciente des besoins nouveaux de l'homme moderne, besoins qui existent parce que l’homme a évolué et pose à l’Église le défi d’évoluer aussi. 
 
L’astrologie véritable n’est pas l'ennemie de la religion véritable qui propose un moyen d’établir un lien vrai et conscient avec le divin. Mais elle peut être l’ennemie d’une attitude religieuse qui veut maintenir l’homme dans un état de dépendance inconsciente à des dogmes qui ont pris la place de l’expérience réelle du divin. "La lettre tue, mais l'esprit vivifie" (Corinthiens II-3.6).

Au lieu de s’adresser à une foule passive de croyants, l’Église doit aujourd’hui modifier son langage pour porter à des individus, en reconnaissant qu’ils ont des besoins et des capacités spirituelles différents. Au lieu de continuer à accentuer l’aspect transcendant du Christ, on devrait maintenant mettre l’accent sur le Christ dans le cœur de chacun de nous. En fait, le message de Jésus s’adresse à des individus et non à une foule anonyme par l’intermédiaire d’une Église.

À cause d’une théologie dogmatique et opprimante, la religion est devenue une servitude spirituelle plutôt qu'une incitation dynamique à devenir "plus que l’homme". Elle ne montre pas aux hommes comment devenir individuellement semblable à Dieu, car être semblable à Dieu ne signifie nullement être un type d’homme passif. Être chrétien de nom, en suivant régulièrement les rites traditionnels de l’Église, n'est pas la même chose que d’être chrétien en esprit et en actes, en sentiment et en pensée. L’attitude conventionnelle et dogmatique de notre religion envers l’esprit, envers Dieu et le Christ, ne peut éveiller chez ses adhérents la capacité de développer individuellement la maîtrise spirituelle créatrice. Il faut aujourd’hui un éclatement des formes traditionnelles qu'ont pris les valeurs chrétiennes. On a besoin d’une nouvelle image du Christ, d’un Christ vivant. "L’élan Christ", tel qu’il rayonnait de la personne de Jésus, n’a pas perdu son dynamisme spirituel. Notre tâche aujourd’hui est de réaccordé au rythme créateur de cet "élan-Christ", de produire et de répandre une solution spirituelle fondamentale aux besoins, problèmes et conflits du monde actuel. Les formes religieuses encore employées par les Églises répondent aux besoins des cultures passées ; elles sont incapables de vivifier l’homme du XXIe siècle. La forme nouvelle de s’adresser à l'individu, pas à la masse. Mais à l'individu conçu comme un homme plus évolué que par le passé. Il faut envisager l’individu comme potentiellement capable d’être un agent créateur spirituel à travers lequel le pouvoir créateur universel unique de l’esprit peut se dégager. Ce n’est pas possible tant qu’on persiste à nous dire que nous ne sommes que de pauvres pêcheurs qui devons nous soumettre passivement au dogme de l’Église.

Il faut absolument que la religion conçoive l’homme autrement. Chacun doit réaliser que le Royaume des Cieux se trouve essentiellement "au-dedans" de lui et qu’il doit chercher à le laisser agir dans l’expérience consciente de sa mort quotidienne au passé.

Il est triste de constater que chaque fois qu’un individu ose proposer une nouvelle interprétation du rapport Homme-Dieu, l’Église cherche à le faire taire et à minimiser la valeur de sa contribution à l’évolution de l’humanité. On critique non seulement l’astrologie mais aussi un Teilhard de Chardin. Malgré les pourparlers œcuméniques, l’Église catholique n’accepte pas l’accent protestant sur le devoir qu’a l'individu, en tant que tel, de faire face à Dieu. Pour le catholique, pas de salut sans l'Église. Il faut s’adresser en premier lieu à l’Église, pas directement au Christ et à Dieu. Pourtant toute vie spirituelle véritable, où l’on cherche à agir comme expression de l’esprit, exige que l’on soit un véritable individu s’adressant, en tant que tel et de façon positive, à l’esprit. L’Esprit Saint répond toujours à un besoin individuel, mais suivant le caractère de ce besoin et le degré de conscience dont l’individu fait preuve dans sa demande. Il ne suffit pas de croire ; il faut se développer et agir consciemment, en visant son état futur en tant que fils de Dieu. Jésus était le "premier-né" mais non le seul et unique "Fils". La Filiation divine est "une" mais il doit venir une multitude de Fils. La Maîtrise est une, mais il y a beaucoup de "Maîtres."

Dans son livre, "Le roc enflammé", le grand philosophe américain Dane Rudhyar dit que l’Église, lorsqu’elle insiste sur l’idée que Jésus est le Fils unique, traduit le mot grec "monogenes" au sens étroit du terme. Ce terme signifie plutôt "engendré seul" ou mieux "engendré par un seul acte de création". Le Christ, le Fils, est une création directe et immédiate du Père dans l’esprit, tandis que les hommes sont des créations indirectes et graduelles, formées dans la sombre matrice de la vie sur terre, créations qui nécessitent une "intervention divine" - la manifestation du Christ comme exemple et comme guide - pour être capable d’arriver à l'état de Filiation divine.

Ce besoin moderne de devenir un véritable individu a été compris par la psychologie des profondeurs, surtout grâce à Jung et à Maslow, et par l’astrologie humaniste et transpersonnelle, grâce à Rudhyar. En psychologie aussi bien qu'en astrologie, l'accent est mis sur l'intégration de toutes les énergies et qualités de l'être en vue d'agir comme un Soi, agent de la volonté de Dieu révélée par le thème de naissance.

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