TRADITION ET SIGNIFICATION DE LA PART DE FORTUNE, par Michel de SOCOA

C’est seulement en remontant aux éléments symboliques premiers que l’on pourra comprendre et corriger les recettes données par les anciens auteurs, qui ne sont que les conséquences fragmentaires et incomprises des principes. Eux seuls pourraient suppléer aux lacunes de la tradition. C’est ce que nous allons essayer de montrer à propos d’un des éléments les plus incompris et des plus ignorés de la tradition astrologique : la part de fortune.


Extrait de "La part de fortune", Michel de Socoa, Éditions traditionnelles - Paris


LA PART DE FORTUNE DANS LA TRADITION 

La part de fortune est un des éléments astrologiques dont les anciens tenaient grand compte, mais que les modernes négligent. Tandis que Ptolémée lui consacre trois pages, sur lesquelles nous reviendrons, les astrologues de la Renaissance, sauf Junctin qui a parlé de tout, n’en traitent pas spécialement. Villon dit même : "Cardan n’en fait pas grand cas et plusieurs la rejettent tout à fait". Wilson, astrologue anglais réputé du début du XIX° siècle l’appelle "un fantôme conçu par le cerveau imaginatif de Ptolémée, qui n’a aucune influence, à moins que l’on n’en tire du néant".

Or, dans un livre très remarquable sur L’Astrologie selon J.-B. Morin de Villefranche, un astrologue connu, Jean Hieroz, remarque justement que l’on trouve mention de la part de fortune dans le livre de Manilius (Astronomicon, livre III, traduit au XVIIIe siècle par le génovéfain astronome Pingré) qui vivait avant Ptolémée.

En effet les anciens plaçaient la part de fortune au même rang que l’ascendant et les luminaires. C’était un des cinq significateurs de la méthode des directions. Et la défaveur où elle est tombée est liée à une dégénérescence de son sens premier. Aujourd’hui trop d’astrologues tendent à en diminuer l’intérêt et à en rétrécir la portée, en donnant au mot fortune le sens restreint que lui attribue le langage courant, c’est-à-dire qu’ils le considèrent comme synonyme du mot argent.

Il convient à cet égard de distinguer les différents mots latins dont le sens est lié au mot destinée. Ce sont les mots providentia, fatum, fortuna et casus. Providentia signifie étymologiquement la voyance du futur, c’est-à-dire la prescience qui, supposant la suprême sagesse et la science infuse, a été prise pour caractériser la divinité elle-même. Fatum signifie, non pas ce qui a été prévu, mais ce qui a été dit et prédit (de fatuor = parler, prophétiser), notamment la parole divine (fas) transmise par voix oraculaire. Fortuna, c’est le destin individuel, qui correspond au mot grec tyché. Fortuna a rapport avec le hasard, la chance, avec tout ce qui arrive de fortuit. Mais ce sort et cette chance n’étaient pas forcément favorables à l’origine. Et le mot demandait à être qualifié par un adjectif. C’est ainsi qu’à Rome, où son culte a rencontré le plus de faveur, la fortune reçut une multitude d’épithètes, aussi nombreuses que ses statues et ses temples.

Mais par suite d’une association psychologique bien naturelle, fortuna prit bientôt le sens exclusif d’événement heureux et fut assimilée à Cérès et à la Lune, c’est-à-dire aux richesses et aux moissons et prit comme attribut la corne d’abondance. Quant au mot casus, il signifie ce qui tombe (chance = cadentia = chute des dés) et il met particulièrement l’accent sur ce qu’il y a de plus imprévisible, de plus fâcheux dans le hasard.

Puisqu’il s’agit seulement ici de fortune, l’ancien français possédait un terme qui traduirait dans sa signification parfaite le sens premier du latin, c’est le mot "heur", qui signifiait jadis aussi bien un événement favorable que décevant et qui par l’adjonction de deux adjectifs nous a fourni les mots "bonheur" et "malheur". Aujourd’hui le mot fortune s’est restreint par dégénérescence à devenir l’équivalent du mot argent et à désigner l’ensemble des biens matériels qui peuvent échoir à un homme.

L’expression "part de fortune" étant la traduction’ du latin pars fortunae, on doit lui restituer son ancienne signification si l’on veut l’interpréter correctement. On devra ainsi constater que loin d’être toujours favorable, elle peut, comme tout autre significateur astrologique, devenir l’indication d’une absence de chance. Elle donne, en somme, pour chaque nativité, le quotient de faveur que lui réserve le ciel, sans oublier ce qui arrive trop souvent, sa carence même. On comprend maintenant pourquoi cet élément astrologique a subi tant de vicissitudes, puisque lui attacher une unique signification favorable devait conduire forcément à des déboires.


À consulter les anciens astrologues, on peut en effet inférer ce que nous avons dit. Mais il me semble que ces auteurs supposaient chez les lecteurs une connaissance du sens des mots qui a forcément disparu dans une traduction. Et le souci de donner aux préceptes une application exclusivement humaine et immédiatement pratique, a voilé petit-à-petit la signification vraie du terme. Cependant, si l’on avait fait attention à la manière d’obtenir la place de la part de fortune dans un thème, on aurait pu constater que seule la signification ancienne était valable.

LA PART DE FORTUNE ET SA PLACE DANS LE THÈME


Wilson, attribuant la paternité de la part à Ptolémée, comme nous l’avons dit, ajoute que celui-ci l’inventa par amour de l’analogie et de l’uniformité. Comme l’ascendant était en rapport avec le Soleil puisque c’est ce dernier qui détermine la place de l’horizon par sa rencontre avec l’écliptique, il parut nécessaire de donner à la Lune un ascendant particulier, c’est la part de fortune.

"La part de fortune, dit Ptolémée, est calculée d’après les degrés qui existent entre les luminaires et placée à un nombre de degrés égal, à partir de l’ascendant selon la succession des signes". Or cette définition, Wilson eût pu la trouver parfaitement énoncée dans le traité de Manilius, l'"Astronomicon", le plus ancien des traités latins d’Astrologie et antérieur de plus d’un siècle au livre de Ptolémée.

"Comptez, dit Manilius, combien il se trouve de degrés du Soleil à la Lune en suivant l’ordre des signes. Portez ces degrés à partir de l’ascendant dans le même sens, sur le cercle des signes. Le point du cercle où vous arriverez sera le lieu de la fortune". La place de la part étant, comme on s’en rend compte, fictive et, symbolique, il est absurde, comme le dit cette fois avec raison Wilson, de lui attribuer, par analogie avec la Lune, une latitude et une déclinaison. "L’opinion de Placide, dit Wilson, avant qu’il n’ait connu celle de Negusantius, était que la part de fortune suivait la latitude de la Lune et il avait raison si l’on peut appeler juste ce qui dérive correctement d’une base fausse. Car si le Soleil, qui ne-possède pas de latitude, est en relation avec l’ascendant selon sa course sur l’écliptique, la Lune devrait être en relation analogue avec la part de fortune, ce qui oblige à tenir compte de la latitude.

"Négusantius inventa celle méthode, qui est complètement inintelligible, continue Wilson. Elle donne à la part de fortune la déclinaison de la Lune à la fois en nombre et en direction... Il trouva que la mort s’ensuit fréquemment quand l’anérète acquiert la même déclinaison que la part de fortune et celle de la Lune.

"Mais il est très certain, remarque pertinemment. Wilson, que la part de fortune ne peut avoir uniformément la déclinaison de la Lune. D’après Ptolémée lui-même, la part de fortune est placée d’après la distance qui existe entre la Lune et le Soleil... Ce que la Lune est au Soleil, la part de fortune l’est à l’ascendant. Mais, continue Wilson, le Soleil a rarement la déclinaison de l’ascendant, et jamais sans qu’il y soit lui-même placé. En conséquence la Lune ne devrait pas avoir la déclinaison de la part (ou inversement), excepté quand elle lui est conjointe ; ou alors elle ne peut être à la part de fortune ce que le Soleil est à l’ascendant".

Toute cette discussion provient à notre avis d’une fausse conception du symbolisme astrologique, d’une conception "astronomique" de l’astrologie. L’astrologie ne s’occupant que des apparences et non des réalités physiques et prenant ces apparences comme des signes de réalités psychiques, il est absurde de donner à des points fictifs de la sphère de projection des coordonnées astronomiques. Et c'est sans doute ce que voulait dire Wilson dans sa critique pertinente.

Cependant il critique également la manière habituelle de calculer la place de la part de fortune, qui consiste à ajouter la longitude de la Lune à la longitude de l’ascendant et à retrancher de cette somme la longitude du Soleil.

"Car, dit-il, la place de la Lune devrait toujours être calculée en tenant compte de sa latitude et de sa déclinaison. Il serait aussi inexact de confondre une position "dans le monde" avec une position dans le zodiaque, parce que les positions des luminaires sont prises dans le zodiaque, alors que la position de l’ascendant est prise "dans le monde". La seule façon correcte consiste à calculer les ascensions obliques de ces positions au lieu des positions elles-mêmes et d’opérer sur ces nombres comme précédemment".

Nous laisserons les chercheurs expérimenter les deux méthodes. Cependant, comme nous l’avons dit, les plus anciens astrologues ne parlent que d’un point fictif obtenu, par une simple soustraction des longitudes zodiacales. Il nous semble sans intérêt de tenir compte de la latitude et de la déclinaison de la Lune pour calculer la place de la part.

La part de fortune, étant liée à l’ascendant, sa position dans les maisons est de beaucoup plus importante que sa position dans les signes. Or la part de fortune entre dans une "quarte" différente environ tous les sept jours. À la nouvelle lune, elle est invariablement à l’ascendant, dont elle s’éloigne graduellement à travers la seconde et la troisième maison jusqu’au premier quartier qu’elle atteint lorsqu’elle arrive à la cuspide de la quatrième maison. De là elle se meut vers la septième maison, où elle arrive à la pleine lune. Au dernier quartier, elle occupe la cuspide de la dixième maison d’où elle passe à l’ascendant à la lune suivante. Une connaissance de ceci sera utile pour corriger toute faute susceptible d’être faite en la plaçant.

Donc chaque fois que le Soleil se trouve en conjonction avec l’ascendant, la part est conjointe avec la Lune. Au point de vue de ses effets, la part renforce la signification de ses éléments générateurs. Le Soleil qui représente la personnalité placé à l’ascendant indique généralement une personnalité puissante, quelle qu’en soit la nature. Il est bon que, dans ce cas, l’individualité représentée par la Lune offre le support matériel nécessaire à son expansion. C’est ce qu’indique le renforcement de l’influence lunaire par sa conjonction avec la part.

Il est également caractéristique que dans le cas de conjonction des luminaires, la pari de fortune reste liée à l’ascendant. La conjonction des luminaires est un aspect dangereux et plutôt maléfique, quelle que soit la maison où elle se produise. Dans ce cas, la part liée à l’ascendant apporte à l’individu un secours de libre arbitre, de décision et de confiance en soi bien nécessaires, pour compenser la malfaisante nouvelle lune.

Comme la conjonction est l’origine de tous les aspects, il est facile de poser cette règle : les aspects des luminaires entre eux et avec l’ascendant sont renforcés immédiatement par les mêmes aspects de la part de fortune. Pour illustrer ces différentes considérations, nous pouvons citer l’exemple de la famille des Médicis. La conjonction du Soleil et de l’ascendant, que présente le thème de Cosme l’Ancien, fondateur de la famille, se retrouve chez plusieurs de ses descendants : chez le plus illustre, Laurent le Magnifique, chez le duc Alexandre et même chez Lorenzaccio. Bien entendu, la conjonction complémentaire de la Lune et de la part se retrouve dans chaque thème dans des maisons différentes. Chez Cosme, le banquier, elle se place à la pointe de la seconde maison. Chez Laurent, l’héritier, à la pointe de la quatrième. Chez Alexandre, le duc sanguinaire mort assassiné, dans la huitième. Chez Lorenzino, l’assassin, à la pointe de la douzième. Leur destin leur imposa à chacun sa façon d’être illustre.

En résumé et pour obtenir la place de la part de fortune dans un thème, il faut et il suffît de connaître la longitude zodiacale de l’ascendant, celle de la Lune et celle du Soleil, sur un zodiaque chiffré de 0° à 360°.

Prenons, par exemple, le thème dont les chiffres sont les suivants :

  • Longitude de l’ascendant         350°
  • Longitude de la Lune               335°
  • Longitude du Soleil                  331°

Ceci posé, il suffît d’additionner les longitudes de l’ascendant et de la Lune et de soustraire du total la longitude du Soleil : Longitude de l’ascendant 350° + Longitude de la Lune 335° = Total 685°. De ce total déduisons la longitude du Soleil : 685° - Longitude du Soleil 331° = Longitude de la part 354°, soit 24° des Poissons.

Au cas où le total des longitudes de l’ascendant et de la Lune ne permettraient pas la soustraction, il suffirait d’ajouter 360°.

LA PART DE FORTUNE ET SA SIGNIFICATION TRADITIONNELLE

Ptolémée dit que les richesses sont indiquées par la part de fortune. Leur importance et leur durée doivent être estimées d’après les dispositeurs de la part ; la force de ceux-ci, leurs dispositions et les planètes en aspects. S’ils sont puissants et particulièrement en bon aspect avec les luminaires, ils apporteront de grandes richesses.

Cependant, comme nous l’avons dit, nous ne croyons nullement que la part indique toujours la richesse. Pour la bonne raison que tout thème possède une part de fortune et que rares sont les vrais riches. Et puis la richesse suppose un système social basé sur la propriété privée, ce qui n’est pas forcément la règle dans toutes les sociétés humaines.

Si la part de fortune dépend pour sa place des luminaires et de l’ascendant, il est naturel que sa signification dépende également d’eux. Il serait donc invraisemblable qu’elle se rapportât seulement à la fortune matérielle. Sans doute on a pu dire que le Soleil et la Lune avaient eu toujours pour symboles l’or et l’argent. Mais cet or et cet argent sont eux-mêmes des signes de plus large signification que leur emploi monétaire.

Comme ascendant lunaire, la part a beaucoup plus de chance de représenter un élément instinctif et volontaire de l’individu. On comprend donc que toute destinée étant l’aspect extérieur d’un caractère, la part puisse indiquer l’élément de chance individuelle de chacun. En effet même dans son acceptation de sort heureux, la part n’est pas restreinte à désigner l’élément de fatalité passive d’une vie. Son sens est plus général encore. Il existe d’ailleurs une formule latine qui dit "audaces fortuna juvat", la fortune sourit aux audacieux. Équivalent de la fameuse formule de saint Matthieu : "les violents ravissent le ciel". Le mot fortune suppose donc implicitement un élément d’action et de volonté qui modifie profondément le sens courant attribué à la chance. Si l’ascendant solaire présente une synthèse de la personnalité, l’ascendant lunaire, c’est-à-dire la part de fortune, présente une synthèse de l’élément instinctif et volontaire de l’homme, c’est-à-dire une synthèse de son individualité.

D’ailleurs quelques-uns s’en sont déjà doutés. Placide, dans l’un de ses ouvrages, cite le cas d’un enfant princier chez lequel il suppose que la part de fortune a joué le rôle d’hyleg. Dans le thème radical de cet enfant, la Lune possédait la déclinaison de Saturne et subissait le carré de Mars. Les effets de ces aspects étaient tels que depuis sa naissance on s’attendait à sa mort et qu’il fut emporté à trois ans. La cuspide de la XIe était à 10° de la Balance et la XIIe au 4° du Scorpion. La part, dit Placide, était dans la XIe, près de la cuspide de la XIIe, subissant le carré cosmique de Saturne et l’opposition de Mars qui était à 1°26 du Taureau.

Il observe qu’à l’heure de la mort de l’enfant, Mars passait sur l’opposition de la part de fortune, dans la Ve maison. De quoi il conclut que la part de fortune peut quelquefois servir d’hyleg, conclusion peut-être hâtive, mais qu’il n’est pas impossible d’admettre, étant donné la liaison de la part avec la Lune, qui est généralement, et presque toujours, hyleg.

En résumé, la part, quant à sa place et à sa signification, est liée aux plus importantes parties du thème, les luminaires et l’ascendant. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit affligée en même temps que les trois éléments qui la génèrent et qu’au moment de la mort on trouve des directions et des transits qui paraissent lui faire jouer le rôle d’hyleg.

1 commentaire:

  1. pour ma part,elle est bien situee,par rapport aux luminaires,je fais tres attention,comment et par qui elle est aspectee,elle m a toujours apporte que des bienfaits !!!!!

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