ZODIAQUES ET DRAGONS AUX SOURCES DU RHIN

Les horloges astronomiques sont nombreuses en Europe. De Rostock à Berne, de Münster à Strasbourg ou encore de Lübeck à Ulm, ces somptueuses œuvres d'art construites entre le Moyen-âge et de la Renaissance rendent compte avec beaucoup de subtilité et d'ingéniosité des mécanismes célestes qui rythment le temps qui passe: mouvements apparents du Soleil, de la Lune, des étoiles. Celles qu’on trouve aux abords de la Forêt Noire et des rives amont du Rhin ont une particularité bien déroutante : l’une des aiguilles représente un dragon cracheur de feu.


Haguenau

Quatrième ville d’Alsace par sa population, Haguenau est une agréable sous-préfecture située dans le Bas-Rhin, à une trentaine de kilomètres de Strasbourg. C'est là que se trouve la forêt la plus vaste de la région. La cité s'est développée à partir du XIIe siècle autour d'un château que Frédéric II de Souabe avait fait construire sur les rives de la Moder, un affluent du Rhin. Ville libre allemande jusqu'au XVIIe siècle, elle est devenu française avec le Traité de Münster.

Une horloge astronomique y est installée sur la tour de ce qui fut Chancellerie de 1486 à la Révolution. Propriété de la ville depuis 1838, le bâtiment abrite désormais le Musée alsacien depuis 1972. La magnifique façade rouge orangé porte le sceau de la ville, des armoiries et des blasons locaux.
L’horloge parait très ancienne mais elle a, en fait, été réalisée en 1904 par la Maison Hörz pour orner la tour du musée historique. Par la suite, en 1958, elle fut transportée vers son emplacement actuel. Elle est une copie de la seconde horloge astronomique de l’hôtel de ville d’Ulm, en Allemagne, imaginée par le mathématicien Conrad Dasypodius et réalisée en 1581 par la famille horlogère suisse Habrecht, à qui l’on doit également l’horloge de la cathédrale de Strasbourg ainsi que celle de Schaffhouse.
Les zodiaques sont toutefois différents, les sujets à Haguenau sont plus stylisés, le dragon d’Ulm est doré, le Sagittaire est représenté par un archer à genou en France, par un centaure en Allemagne.
Les deux horloges représentent la course des étoiles et des deux luminaires tels qu’on peut les percevoir de la terre. L’une des aiguilles pointe d’un doigt l’heure légale tandis qu’un soleil d’or marque lui-même son heure, en décalage d’une trentaine de minutes. On peut y voir également le lever et le coucher du Soleil, le jour, le mois, la phase de la Lune, les signes du zodiaque ainsi qu’un étrange dragon noir dont la queue touche les Gémeaux tandis que la gueule crache une flamme rouge vers le Sagittaire.

Un étrange dragon barre le centre de l'horloge astronomique de Haguenau, entre les Gémeaux et le Sagittaire
   
Tübingen

Traversée par le Neckar, une rivière qui délimite l’est de la Forêt Noire et se jette ensuite dans le Rhin, Tübingen est une ville du Land de Bade-Wurtemberg. Elle doit en partie sa réputation de son université, l'une des plus anciennes d'Allemagne, qui fait d’elle une ville particulièrement jeune et vivante. Son centre historique s’appuie depuis cinq siècles sur les anciennes murailles, au pied de nombreuses collines boisées, telles que le Schlossberg, l’Österberg ou encore le Schnarrenberg.

L'horloge astronomique de Tübingen est installée depuis 1849 sur le pignon de l'Hôtel de ville, sur la place du marché, la Marktplatz. Elle était, auparavant, installée au premier étage, à la place de l'actuelle chaire.

Parmi les trois cadrans qui décorent la somptueuse façade peinte de la mairie, deux d’entre eux proviennent de l’horloge originale que Johannes Stöffler, célèbre mathématicien, physicien et astronome de l’université de la ville, avait construite 1511. Ils affichent encore le calendrier de lune et donnent des instructions sur la position des planètes, sur des éclipses et beaucoup d'autres phénomènes célestes.

Le mécanisme, quant à lui, a été rénové et fournit aujourd'hui une précision réglée au quartz depuis 1979.

L'orbite de la Lune autour de la Terre et celle de la Terre autour du Soleil ne se situent pas sur un même plan. La droite d’intersection de ces deux plans s’appelle l’axe des nœuds lunaires. Lorsque la Lune franchit le plan de rotation de la Terre autour du Soleil pour s’élever vers le Nord, en d’autres termes quand elle est montante, elle se situe à son Nœud Nord, encore appelé Nœud Ascendant. Ce point peut être localisé sur le zodiaque. Quand elle franchit le plan de l’orbite terrestre pour regagner le Sud, en d’autres termes quand elle est descendante, elle se situe à son Nœud Sud, encore appelé Nœud Descendant. Une Lune ascendante, ou descendante, ne doit pas être confondue avec une Lune croissante, ou décroissante.


Le temps qui s’écoule entre deux passages de la Lune au même Nœud de son orbite, soit 27,2 jours en moyenne, s'appelle la révolution draconitique. L’étymologie grecque de ce mot vient de dragon et, pour les astronomes arabes du Moyen âge, un dragon se trouvait à proximité des Nœuds lunaires. Dans l'astronomie antique, les Nœuds lunaires Nord et Sud étaient appelés respectivement la Tête et la Queue du Dragon.

S’il est question ici d’un dragon, c’est pour évoquer le monstre qui régulièrement dévore la Lune ou, plus exactement, qui provoque les éclipses. Quand la tête du Dragon et la Nouvelle Lune coïncident, c’est-à-dire quand le Soleil et la Lune se rencontrent sur ce point précis du zodiaque, cela signifie qu'une éclipse se forme et que son cône d’obscurité est perceptible quelque part dans le monde.

Les horloges astronomiques qui affichent la position de l’axe du Dragon permettent à la fois de présager les chances de survenue d’une éclipse, de repérer les parcours ascendants ou descendants de la Lune, et de planifier les travaux agricoles en fonction de ces phénomènes naturels.

Esslingen-am-Neckar

Esslingen est une ville du Bade-Wurtemberg, située sur le Fleuve Neckar, au sud-est de Stuttgart. C’est ici que le médecin Paracelse s’installa entre 1529 et 1530, notamment pour y poursuivre ses travaux occultes. C’est un peu plus tard, en 1581, que Marx Schwarz, un enfant du pays, commença à travailler à la construction de l’horloge. À sa mort, en 1586, Jakob Diem poursuivit l’oeuvre en y ajoutant un mécanisme astronomique et des automates. C’est Heinrich Schickardt qui acheva les travaux trois ans plus tard. 
Elle fut ensuite restaurée en 1753, déménagée en 1841 puis réinstallée à sa place originale en 1889, agrémentée d’un cadran de secondes. Après plusieurs tentatives de restauration ou de remplacement par du matériel plus moderne, l’ancien mécanisme a été réparé, adapté et réinstallé sur la façade de l’hôtel de ville en 2007. Avec son dispositif de poids de grès et de pendules, c’est la plus ancienne horloge d’Allemagne avec celle de Rostock, installée à l’intérieur de l’église St. Marien.

L'axe du Dragon effectue une révolution complète sur le plan de l'écliptique en 19 ans. Ici, la tête du Dragon, le Nœud Ascendant, se trouve dans le signe du Sagittaire. La Lune est dans les Poissons. Elle est passée sur le Nœud Nord il y a 7 jours, elle passera sur le Nœud Sud 8 jours plus tard : elle est ascendante. 

Schramberg
   
Encore appelée la ville des cinq vallées, Schramberg est une petite cité allemande blottie au beau milieu de la Forêt Noire et dont l’histoire est marquée par la production de céramiques et surtout par l’horlogerie, et en particulier les montres Junghans. Son musée propose aux visiteurs d’impressionnantes collections de montres et d’horloges.

Rien d’étonnant donc à ce que son Hôtel de ville soit pourvue d’une imposante horloge décorée d’étoiles, Soleil, Lune, signes du Zodiaque et Dragon. Cette œuvre d'art complexe et subtile a donné sa première heure le 5 Juillet 1913. Elle est l’œuvre de la fabrique d’horloges d’extérieur Philipp Hörz, à qui l’on doit également la rénovation de l’horloge d’Ulm. Les motifs des deux astrolabes sont d’ailleurs très semblables. La particularité de Schramberg réside dans son cercle des heures, au nombre de vingt-quatre et non douze.


   
Le lansquenet et l'horloge
Schaffhouse

Cette ville de Suisse, Schaffhausen en allemand, est un important centre industriel, principalement connu pour sa situation géographique, sur la rive droite du Rhin naissant et à proximité de ses célèbres et spectaculaires chutes.
Indépendante au Moyen-âge, elle se libéra de la domination des Habsbourgs au cours du XVe siècle pour s'allier à Zurich et devenir ensuite membre de la Confédération helvétique.
Au pied du Munot, un impressionnant donjon moyenâgeux, le centre historique de Schaffhouse offre d'agréables promenades le long d'immeubles Renaissance aux riches fresques extérieures, entre sculptures et fontaines ornées de statues polychromes.
Sur la place principale de la vieille ville, la Fronwagplatz, on trouve deux de ces fontaines, en particulier la Landsknechtbrunnen, la fontaine du lansquenet, nom qu'on donnait aux mercenaires allemands qui, à la Renaissance, se mettaient au service de la France ou de l'Empire. Derrière lui, au sommet de l'immeuble, on remarque une horloge. Celle-ci présente en son centre un premier cercle sur lequel figurent les symboles du Soleil, de la Lune et des cinq planètes classiques. Les douze signes du Zodiaque se suivent sur un second cercle, représentés non pas par une image allégorique mais par leur symbole. Un doigt d’or montre l’heure, une petite flèche montre la planète du jour, le Soleil et la Lune sont chacun dans leur signe… Un très discret dragon bleu ciel montre, de la flamme qu’il crache, la position du Nœud Nord, ici en Sagittaire.

Le dragon bleu nous montre le Nœud Nord en Sagittaire
Pour l’astrologie occidentale, Caput et Cauda Draconis, la tête et la queue du dragon, sont figurés dans les thèmes astrologiques depuis des temps très lointains mais sans pour autant jouer un rôle décisif dans l’interprétation.
Pour l’astrologie indienne, le Nœud Nord et le Nœud sud s’appellent respectivement Rahu et Ketu et font partie, bien que n’ayant pas d’existence matérielle, des neuf figures utilisées dans la lecture d’un thème astral au côté du Soleil, de la Lune et des cinq planètes traditionnelles.
L’astrologie karmique, apparue au cours du XXe siècle en occident, en fait grand cas et attribue aux Nœuds un rôle très puissant quant aux cycles de réincarnation.

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© Didier Castille, Francis Perrin
À découvrir sur  De Sphæris : "Les Zodiaques du Bade-Würtemberg"
Retrouver les dragons astronomiques dans leur environnement habituel sur FlickR

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