VÉZELAY ET L'ASTROLOGIE, par Pierre TREUIL

Il n'est pas rare que certaines églises fassent un clin d'œil à l'astrologie dans les bas-reliefs des tympans, par une représentation des quatre évangélistes associés aux quatre signes astrologiques fixes : Luc à coté du Taureau, Marc près du Lion, Jean de l'Aigle (symbolisant le Scorpion avant la chute) et enfin Mathieu près d'un personnage rappelant le signe du Verseau. Rien de tel à l'extérieur de l'abbatiale romane de Sainte Marie Madeleine de Vézelay. Il faut chercher pour trouver, et l'esprit pénétrant et curieux d'Hadès nous est indispensable.


Pour commencer, on peut noter que l'abbatiale repose sur une colline au nom évocateur, que l'on trouve dans les archives franciscaines du XVIe siècle : le «Monte Scorpio ». Il est vrai que la vision aérienne de la colline, en fournit la preuve indiscutable : la forme de l'arachnide est évidente.

"VÉZELAY", par Frans Peters sur FlickR

Le promontoire sur lequel s'élance l'abbaye nous invite à nous élever davantage. Le ciel étoilé de l'été, un 22 juillet par exemple, date anniversaire de Marie Madeleine, est particulièrement propice à cette recherche. C'est donc tout naturellement que nous découvrons au dessus de la basilique, la constellation… du Scorpion.
Ajoutons que, à l'image d'Hadès, condamné à errer la moitié du temps dans les entrailles de la Terre et l’autre moitié au-dessus, cette constellation n'est visible sous notre latitude qu'à moitié! Et pour conclure sur ce point, rappelons que l'étoile la plus brillante du Scorpion est Antarès. Rouge comme Mars, Antarès est son rival, d'où son étymologie: anti-Ariès. Et elle finira par arriver à ses fin avec le remplacement de Mars par Pluton.




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La Basilique Sainte Marie Madeleine de Vézelay, en France

La construction de Vézelay est également plutonienne en ce sens que la transformation est omniprésente. Ainsi l'abbatiale sera dans un premier temps construite au pied de la colline, sur la vallée de la Cure (ça ne s'invente pas !) avant d'être définitivement édifiée sur le mont Scorpion. Son fondateur est aussi dans cette logique, puisque Girard de Roussillon, Vassal du Roi de France, va abandonner sa mission "marsienne" de guerrier pour se consacrer à son projet de construction d'un monastère.

La porte centrale, dans le narthex de Sainte Marie Madeleine, à Vézelay, en France

Une fois devant l'abbatiale, rien ne nous fait songer à l'astrologie. Il faut pénétrer dans le narthex (ou avant-nef) pour réaliser que l'astrologie est bien présente à Vézelay. C'est là que l'on découvre la première allusion en notant que le narthex est basé sur le carré de Saturne: 3 X 3. N'entrons pas dans le détail, qui relève des bâtisseurs et du plan énergétique, mais notons simplement cette appellation. Ensuite attachons-nous au tympan.
On découvre que chaque signe zodiacal est relié à un travail quotidien. Ainsi en décembre, période du Sagittaire, le paysan tue son porc. Avec 12 signes et 12 travaux nous obtenons la situation temporelle de 24 heures. Il faut ajouter 5 médaillons et demi qui ne concernent pas réellement l'astrologie (mais sur lesquels nous reviendrons dans quelques instants) et on obtient: 29 médaillons et demi gravés sur ce tympan. Il est surprenant que l'on puisse lire dans de très sérieux ouvrages que les constructeurs se seraient trompés puisque la courbe ovoïde ne serait pas divisées harmonieusement en deux partie égales ! Qu'en est-il réellement de ce chiffre de 29,5, parce que l'on saurait croire en regardant cette dentelle de pierre que les tailleurs de pierre se soient tout bêtement trompé.

Délaissons les motifs relevant d'autres sciences comme le cycle de maturation réelle alchimique, pour rappeler que 29,5 correspond exactement à la durée entre deux pleines lunes (29,5 jours) et à la révolution de Saturne (29,5 ans). Le calendrier zodiacal couronne une composition certes très intéressante, mais qui ne préoccupe pas l'astrologie. En revanche, on observe que les contraintes de l'architecture empêchent son habituelle représentation en cercle. Et ce qui nous interpelle davantage est qu'elle ne commence pas par le point vernal, le signe du Bélier. Nous trouvons donc une courbe ovoïde avec une sorte d'effet miroir. En effet, à la base, face au Verseau, nous trouvons le Capricorne, face au Poissons le Sagittaire, etc. Il est difficile d'avancer avec certitude les raisons de ce choix. On peut y voir une symbolique chrétienne parce que les signes qui encadrent le Christ dans ses mains sont ceux de l'été, où le Soleil du Lion est au plus haut en Cancer. Ou encore alchimique parce que l'on commence des signes les plus froids pour aller vers les plus chauds. Il est délicat de répondre aux motivations des bâtisseurs. Pour l'astrologue, on pourrait avancer que c'est une façon très simple d'apprendre les maîtres des signes à une époque ou l'on travaille seulement avec les seules planètes visibles à l'œil nu. Nous partons donc de la planète la plus éloignée pour arriver aux luminaires. Ainsi on a : Verseau-Capricorne (Saturne) ; Poissons-Sagittaire (Jupiter) ; Bélier-Scorpion (Mars) ; Taureau-Balance (Vénus) ; Gémeaux-Vierge (Mercure) et enfin Cancer-Lion pour la Lune et le Soleil. Une pédagogie initiatique intéressante que l’on retrouve parfois dans certaines représentations médiévales des maîtrises planétaires.
 
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Sur la gauche, le Bélier et le Taureau, à droite les Gémeaux

L'astrologie est donc connue et reconnue dans l'abbatiale de Vézelay. N'est-ce pas l'occasion de souligner cette union de l'astrologie avec l'art sacré, d'être surpris de la reconnaissance officielle de cette discipline et surtout de la populariser au point qu'elle fasse partie de la vie quotidienne de tous ? Effectivement le pouvoir royal ne la censure pas. Pas encore. On sait que ce sera Colbert en 1666, (quel chiffre!) qui interdira l'enseignement de l'astrologie. Mais qu'en est-il de l’Église en ce XIe siècle? Dans le contexte de l'époque, Bernard de Clairvaux, (qui viendra à Vézelay prêcher la deuxième croisade), critique l'abbatiale pour sa longueur exagérée et ses somptueux ornements. Néanmoins, s'il réserve une architecture monastique austère encadrant une vie spirituelle exigeante, il accepte l'architecture épiscopale destinée à attirer le peuple. Mais il est pour le moins surprenant d'autoriser, et même d'officialiser l'astrologie, pourtant mis au ban de la société par l’Église lors du concile de Tolède dès 447 ! Quoi qu'il en soit Vézelay (et Autun qui possède le même zodiaque) intègre l'astrologie dans le quotidien de tous, en accouplant chaque signe zodiacal à un travail particulier.

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Le Verseau

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Le Sagittaire

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La Balance

Ainsi on taille la vigne en Bélier, on fauche en Gémeaux et on moissonne en Lion. Si l'on ne sait pas décrypter un livre à cette époque, en revanche on lit l'astrologie! On n'ignore donc pas que, lorsque le temps des vendanges arrivera, le Soleil sera dans la constellation du Scorpion. L'adjonction aux médaillons des travaux des mois, rappelle l'union de l'homme avec le cosmos. Ce n'est pas théorique : on vit différentes forces, on les ressent et on parcourt ces 12 étapes consciemment. A cette époque l'homme n'a pas notre actuelle vision analytique. Il sait qu'il fait partie d'un tout. Pour lui les signes communiquent entre eux. Est-ce ce que nous suggère ce Bélier pisciforme qui semble faire la jonction entre le dernier signe du point vernal avec sa queue de poisson et son corps de Bélier ?

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Bélier, très particulier avec sa queue de poisson

L'agriculteur ou le vigneron traversent le zodiaque comme un parcourt initiatique. Plus que de savoir à quel signe ils appartiennent, leur préoccupation est de s'harmoniser avec tous les signes qu'ils traversent. Tous. Et cette harmonie est sans doute symbolisée par le médaillon central, qui figure juste au-dessus du Christ et que l'on appelle le retournement ou encore l'acrobate. En effet, le personnage amenant avec ses mains ses pied à sa tête, l'astrologue comprend parfaitement le symbolisme de ce médaillon: la boucle est bouclée. L'Homme a été capable de parcourir le zodiaque de la tête (Bélier) aux pieds (Poissons.) L'analogie avec le très ancien Ouroboros est évidente.

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Au centre, le médaillon du retournement ; à gauche, une grue dans un médaillon tronqué

Clin d'œil à la grue, oiseau migrateur gravé dans le « demi-médaillon », il renferme en même temps les idées de mouvement, de continuité, et d'éternel retour. Aujourd'hui les médaillons zodiacaux ne sont guère plus qu'une curiosité touristique ou un moment d'admiration devant cette dentelle de pierre. Pour l'astrologue, une attention particulière peut être donnée à certains. Ainsi on marque un temps d'arrêt devant le signe du Cancer, qui est représenté par une écrevisse

Le mot Cancer vient du latin “cancri”, qui signifie d'abord écrevisse, puis crabe, tumeur ou chancre. On peut regretter qu'il soit à notre époque synonyme de maladie, ce qui n’est guère encourageant pour les natifs de ce signe. Symboliquement il est difficile de ressentir le Cancer : en quoi l'Eau, par exemple serait-elle contenue dans le Cancer ? En revanche l'écrevisse est d'une richesse extraordinaire dans sa symbolique et correspond bien au Signe et à la Maison IV. Citons par exemple son déplacement qui, s'effectuant de nuit, nous fait songer à son gouverneur : la Lune. De même, en creusant des puits dans le sol, elle indique sa position sur le zodiaque : le bas ; elle préfère les cours d'eau allant vers l'est ou l'ouest car elle n'aime pas la Lumière de midi (son opposé, le Fond du Ciel) ; elle se déplace à reculons en repliant sa queue, ce qui nous fait songer au retour vers le passé. Et pour conforter ces quelques exemples, citons encore les jeunes écrevisses qui s'accrochent aux pattes de la mère, symbolisant la famille. Enfin son domaine aquatique nous rappelle bien qu'il s'agit d'un signe d'eau (salée !) et donc des émotions : on rit aux larmes… quand on ne rougit pas ! Ce début de réflexion indique clairement que les bâtisseurs n'avaient pas choisi la première étymologie latine par hasard. Il semble qu'elle soit toujours aussi pertinente. Enfin on peut s'interroger sur la représentation pisciforme des certains signes: le Bélier, comme on l'a évoqué, mais aussi le Taureau, le Capricorne.

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De haut en bas, la Balance, la vendange, le Scorpion, l'abattage du porc, le Sagittaire

Les ouvrages touristiques - et même artistiques - nous renseignent : ce sont des « créatures imaginaires », « exotiques » etc. Pour l'astrologue, une supposition peut être avancée : en soulignant l'aspect « Poissons » de plusieurs signes, les tailleurs de pierres n'ont-ils pas souligné l'ère de l'époque ? Les astrologues égyptiens déjà avaient noté ce point, comme on le voit sur le zodiaque de Dendérah avec un Capricorne à queue de poisson.

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Le Capricorne, le Sagittaire et le Scorpion sur le zodiaque de Dendérah, au Musée du Louvre, à Paris

Il semble qu'il vaille mieux raisonner en terme d'ère, plutôt qu'à partir de la notion d'humain. Autrement dit, la date de naissance, probablement très symbolique de 25 décembre, ne nous intéresse pas ici. Rien à Vézelay ne met en avant le signe du Capricorne. C'est en tout cas ce que nous indique le zodiaque de pierre : d'une part avec les Bélier, le Taureau et le Capricorne pisciformes, ensuite avec le signe lui-même qui souligne la dualité avec un poissons lisse et un avec écailles, et enfin avec cette sirène mise en exergue de par sa position au dessus du Christ. Et justement, que lit-on « en Poissons » dans le ciel de 1037 date de la fondation de l'abbatiale, et le 22 juillet 1037 plus particulièrement puisqu'il s'agit de la date anniversaire de Marie Madeleine ?

Le Soleil est logiquement en Lion, Vénus est en Gémeaux, Mars en Cancer. Mais puisqu'il s'agit d'une construction qui devait marquer les générations (la basilique a été inscrite au patrimoine mondial de l'Humanité par l'Unesco en 1979), on préférera s'interroger sur les trans-saturniennes. Invisible à l'époque, Uranus est en Lion. Planète rebelle, elle semble remettre le pouvoir royal (Lion) en question, même si celui-ci est omniprésent (Soleil en domicile). Il faut reconnaître qu'il était révolutionnaire à l'époque de présenter un travail plus mystique que religieux. Pluton en Capricorne nous invite, comme Neptune, à un parallèle avec le retour de ces deux planètes dans ces signes dans les années à venir. Pluton a sans doute aidé à bousculer l'autorité politique, malgré l'énorme difficulté de contourner cette force politique représentée par le pouvoir royal et la religion. Mais c'est sur l'axe Poissons-Vierge que notre intérêt se porte. D'une part, Mercure (en domicile) et Saturne sont en Vierge. Ensuite les deux maîtres des Poissons sont en domicile : Jupiter (conjoint à la Lune Noire), et à 13° du futur gouverneur: Neptune. Le signe de la Vierge nous fait naturellement songer à Marie, et la constellation s'efface pour laisser la place au Poissons que l'on peut symboliquement associer à Jésus de Nazareth. Personne n'ignore qu'il est justement très lié aux Poissons : il fait ses disciples « pêcheurs » d'hommes, distribue des poissons à la foule affamée, lave les pieds (zone du corps correspondant au signe), et le mot «poisson» (Ichtus en grec) était le cryptogramme qui servait de signe de reconnaissance aux premiers chrétiens lors des persécutions. Si en 1037 Neptune indique la piété de l'époque, et la basilique concrétise la foi et la prière des Poissons, son retour dans ce signe en 2012 posera sans doute une question d'importance à l'humanité. Choisirons nous l'aide de Neptune pour développer notre sensibilité, notre médiumnité ou la voie de l'autodestruction? La question n'était pas si capitale pour les Anciens du premier millénaire, pour qui Neptune était aussi invisible que les drogues, le tabac ou la photographie. Malgré tout son influence était là, comme l'attestent les bâtisseurs qui ont dépassé la religion caractérisée par Jupiter Poissons pour orienter la construction vers une décoration plus neptunienne, plus mystique. Nous trouvons également en Poissons, la conjonction Lune Noire-Jupiter. Cette conjonction indique un aspect collectif et donc transcendant. Elle implique aussi une possibilité de conflits avec les ordres bien pensants mais aussi une chance à saisir. On peut imaginer les bâtisseurs agir dans les brumes neptuniennes pour réaliser une œuvre en apparence conforme au dogme, mais avec une lecture subtile à plusieurs degrés. Ainsi, le Christ est bien représenté, mais jamais en croix. Au lieu de la tristesse qu'inspire un supplicié, on voit une scène extrêmement... énergétique.


On conviendra que cette représentation est très vivante pour une représentation en pierre. On voit les vêtements des apôtres et du christ flotter. Par ailleurs, on détaille bien l'énergie sortir des mains ainsi qu'une frise ondulée au sol pour bien montrer le « bain énergétique ». Les pieds sont nus. Habituellement les disciples se distinguent de Jésus en portant des sandales. Ici il semble que les pieds nus favorisent le contact avec le sol et ses énergies. Enfin, rappelant la molécule A.D.N, une spirale sur la hanche droite tourne dextrogyre tandis qu'une autre tourne dans l'autre sens sur le genou gauche.

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Les spirales sur la hanche droite et du genou gauche tournent en sens inverses

Bref, les énergies subtiles des Poissons semblent bien représentées. Jupiter en Poissons ajoute une dimension plus mystique et dépasse la vision dogmatique de l’Église romaine. Il y a du rêve dans cette position mais aussi un aspect visionnaire indéniable. Pouvait-on ressentir au XIXe siècle, que des Évangiles apocryphes seraient accessibles à tous et que des livres comme celui de Dan Brown (Da Vinci Code), des lieux comme Rennes-le-Château, interpelleraient le monde entier, chrétien ou pas, mille ans plus tard ? En plaçant, chose rarissime, sur un même plan Jésus, Marie et Myriam de Magdala sur le portail ouest de Vézelay, les bâtisseurs étaient-ils sensibles à cette énergie inspirée du signe des Poissons ? Pouvait-on pressentir que l'homme de l'an 2000 évoquerait une intimité entre le Maître et cette femme, qui passerait du statut de prostituée à celle qui est la dernière à le voir avant sa mort sur la croix, et la première après ? La Lune en Scorpion, trigone à Jupiter pourrait avoir, au premier abord, une connotation sexuelle. Mais n'est-ce pas plutôt le symbole de la transformation de l'homme, non plus uniquement par la mère (Marie) mais aussi par la femme (Madeleine)?

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Les médaillons sculptés qui ornent la première voussure du tympan
de la porte centrale de la basilique Sainte Marie Madeleine, à Vézelay, en France

Décidément, Vézelay n'a pas fini de nous amener à nous poser des questions. Sans doute en fonction de nos transformations… scorpionesques !

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