Une série d'articles consacrés à la pensée de Geoffrey Cornelius | |
La perspective divinatoire en Astrologie selon Geoffrey Cornelius, par Kirk Little | |
L’article d’Oslo : astrologie et divination, par Geoffrey Cornelius | |
Le moment d'astrologie : |
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Partie 1 : Rétablir l’attitude divinatoire | |
Partie 2 : La question soulevée par l’Astrologie Horaire | |
Partie 3 : Katarche | |
Partie 4 : Le coup d’État métaphysique de l'astrologie natale | |
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Partie 5 : La divination et la fracture sujet/objet |
Partie 6 : L’homme qui a l’œil ouvert | |
L’astrologie est une divination ? Quelle importance… par Geoffrey Cornelius |
Le but de cette partie est de démêler les principaux éléments qui ont contribué à l’ascension primitive de l’astrologie natale. Ces éléments seront traités sous trois parties. La première en importance est l’autorité inhérente investie dans le moment natal. La deuxième considération est l’impact de la capacité croissante de l’humanité à prédire les mouvements des cieux, et l’effet que cela a éventuellement eu pour affaiblir la qualité "participative" de l’astrologie. Troisièmement, dans ce contexte, le projet ptolémaïque peut être considéré comme fournissant une définition approfondie de l’astrologie, en lien avec une justification de l’horoscope natal, en termes d’un modèle rationnel qui est la réussite durable de la philosophie grecque.
La discussion sur le katarche entreprise préalablement dans la partie III, a localisé sa logique fondamentale comme un acte d'"association spontanée" entre un événement ou un problème et un instant dans le temps - et donc la configuration céleste définie ou remarquable à l'intérieur de ce même instant. L'instant du temps est naturellement et généralement contemporain du problème avec lequel il est identifié. Cependant, le"même-instant" n'est pas une exigence définitive, comme certaines pratiques d’astrologie horaire nous le rappelleront. Le moment horaire, comme son précurseur katarchique, est généralement l'instant de l’interrogation plutôt que l'heure du sujet concerné par l’interrogation. Mais il peut tout aussi bien être entièrement décalé sur un autre moment, si ce moment devient significatif.
La logique de cette association spontanée constitue la base de la "causalité magique", longuement débattue en anthropologie comme une catégorie de mentalité primitive. Divers éléments de perception sont identifiés en raison de leur co-occurrence ou de leur ressemblance. L'homme est identifié par son ombre et les empreintes de ses pieds, par l'arbre qu'il plante, par l'oiseau qui passe le jour de sa mort, et par le dieu du jour de sa naissance. Selon le point de vue moderne qui rejette la divination, les éléments de perception réunis de cette façon n'ont aucun lien inhérent nécessaire ; ce n'est certainement pas suffisant pour établir une signification "objective" pour qu'ils soient perçus ensemble, dans le cas où ils sont simplement réunis "par hasard".
Il n'y a aucune raison de douter que la signification originale du moment natal est enracinée dans cette même logique archaïque. Ainsi, la configuration céleste observée le jour de la naissance, comme tout autre présage, prend une identité avec le fait de la naissance, et révèle à son tour une interprétation de la vie qui s'ensuit.
Parvenir à l'espérance habituelle de signification céleste à la naissance requiert une étape de sophistication dans la méthode divinatoire. Il s'agit d'une objectivation, un pas au-delà de l'observation directe d'un présage céleste qui s'annonce comme significatif et qui est associé à des événements d'importance humaine qui se déroulent en même temps.
Il semble qu'un rôle intermédiaire important dans le développement de l'astrologie natale ait été joué par le frère de sang de l'astrologie, la divination chronocratique - la divination à travers le calendrier et la signification des unités de temps. La divination par calendrier est fondée sur le concept du "temps sacré". Le néo-platonicien Proclus (Ve siècle après J.-C.) déclare :
"L'opinion générale fait des Heures des déesses et du Mois un dieu, et leur culte nous a été remis : nous disons aussi que le Jour et la Nuit sont des divinités, et que les dieux eux-mêmes nous ont appris comment leur faire appel." (1)
Dans cette compréhension, il peut y avoir un héritage véritablement égyptien, car ce peuple excellait dans la science de la construction du calendrier, une science qui faisait partie intégrante de leur cosmologie sacrée. L'observation céleste égyptienne s'est tournée vers cet objectif plutôt que celui d'observer des présages astraux, ce qui préoccupait pleinement les Mésopotamiens.
La divination personnelle est très proche de cette conception du temps sacré. Hérodote raconte que "les Égyptiens ont été les premiers à assigner chaque mois et chaque jour à une divinité particulière, et à prédire à la date de naissance d'un homme son caractère, sa fortune et le jour de sa mort - une découverte que les poètes grecs ont valorisée" (2). Les Égyptiens n'étaient pas seuls à le faire ; un texte babylonien d'avant 1000 av. J.-C. indique des prédictions personnelles basées sur le mois de naissance (3), et l'usage du temps sacré, les jours chanceux et malchanceux, se retrouve dans toutes les cultures.
La divination du calendrier basée sur le jour de naissance emploie la logique divinatoire qui est sous-jacente à l’observation de présage. Cela pose également la base de l'étape la plus sophistiquée de l'association de la configuration céleste particulière avec le jour ou l'heure de la naissance.
Les commentaires d'Hérodote préfigurent une caractéristique du développement classique de l'astrologie natale : celle de la prédétermination. La possibilité de prédire les événements de la vie jusqu'au jour de la mort suggère une voie du destin, un ordre immuable établi à l'avance. En quoi cela réside-t-il ? Cela peut sembler être, de façon superficielle, le produit inévitable de la croyance aux pouvoirs des dieux, couplé à un calendrier sacré par lequel ils manifestent leur volonté. Mais ce n'est pas une explication adéquate. La trame katarchique de l'astrologie démontre la possibilité d'un choix humain dans l’élection de la configuration ou de l'heure du dieu qui portera les initiatives. De quelqu’un. La divination de la forme katarchique suggère une libre participation à la destinée, et non une réception passive du destin.
La qualité prédéterminée de la divination à partir du moment de la naissance n'est donc pas inhérente à l'idée du temps sacré. Son fondement réside dans l'attitude à l'égard de la naissance elle-même. La naissance est unique parmi les évènements de la vie humaine, car c’est le seul événement de la vie d'une personne qu'elle n'a jamais eu la possibilité d'influencer. La propre histoire de quelqu’un commence ici. Elle est antérieure à et derrière tous les autres événements et souvenirs, elle "se trouve» à l'origine de chacun d'eux. Elle s’est toujours déjà produite. Puisque nous ne sommes pas nous-même par nos choix projetés dans l'existence, ce moment se montre comme un destin immuable au-delà de notre appel.
Maintenant, si la propre histoire de quelqu’un commence à la naissance, c'est tout aussi vrai quand on observe les naissances des autres. La naissance est le marqueur temporel définitif pour leur être-dans-le-monde ; avant cela, ils ne sont pas. Seul le moment de la mort, la possibilité ultime devant chaque mortel, le fait correspondre en signification émotionnelle pour la communauté de l'humanité. La naissance signifie le Passé, la mort signifie le Futur. Ensemble, ils portent le mystère d'Être (4).
En examinant les fondements de la pratique natale, il est important que le modèle d'association divinatoire ne soit pas inversé. L'astrologie natale aura tendance à porter une qualité de non-liberté, de destin, dans la mesure où cela est perçu dans la naissance elle-même. L'importance profonde de l'événement de naissance, l’arrivée-dans l’être, investit ses associations divines avec sa propre qualité. La naissance du Christ donne de l'importance au jour de Noël et à l'étoile de Bethléem, pas l'inverse.
Comme la naissance est un marqueur temporel définitif de la vie d'un homme, le moment natal est nécessairement investi d'une possibilité définitive de description de cet homme, de son caractère et de son destin. Depuis les temps les plus anciens, l'horoscope natal a démontré ses possibilités en tant que véhicule de divination en ce qui concerne les spéculations indéfiniment fascinantes sur la typologie du caractère. De même, lorsqu’une interrogation touche à la notion de la place de l'individu dans un schéma des choses plus grand, l'horoscope natal le suggère irrésistiblement.
Le thème avec lequel le moment de la naissance est spontanément associé - toute la vie de l'homme – englobe dans son ensemble toute initiative particulière procédant de l'homme.
Le katarche - le moment d'initiative - promet toujours plus de possibilités et un modèle non fixe de présages ; aucun moment katarchique ordinaire ne peut offrir la finalité du moment de la naissance qui, dans le motif céleste qui le définit, devient un présage donné à l’avance et absolu. Compte tenu du statut unique de la naissance, il devient donc compréhensible que l'astrologie natale devrait développer vis-à-vis d’elle-même une attitude et une méthode distinctes et appropriées.
En astrologie grecque et romaine, il semble qu'il a été possible que les méthodes katarchiques et natales furent pratiquées côte à côte. La question de savoir si cet assemblage est un héritage de Babylone reste une question inexplorée, qui attend les travaux à venir des traducteurs des textes cunéiformes. Cependant, il n'y a aucune raison de supposer que les deux formes étaient généralement considérées comme mutuellement exclusives. La vie elle-même est généralement perçue comme un mélange paradoxal d'éléments prédestinés et libres, et ces attitudes conflictuelles trouveront différentes expressions de la même religion pour les soutenir. Les premiers critiques de la divination astrale se sont empressés de souligner le comportement"illogique" des astrologues et des gens ordinaires, qui cherchaient la propitiation et des soulagements magiques ou spirituels en même temps qu'ils acceptaient la notion de destin (5).
Si ce mélange de méthodes est possible, cela suggère que l'analyse précédente de la prééminence innée du moment natal n'est pas allé suffisamment loin pour expliquer la désintégration du katarche. Pourquoi le katarche n’aurait-il pas pu survivre, intégral et autosuffisante dans l'astrologie arabe et européenne ?
La réponse tient à un grand changement de pensée et de croyance qui s’est manifesté en deux aspects connexes. Le premier d'entre eux est l’arrivée de la science grecque - un concept nouveau et ordonné du cosmos révélé par une enquête rationnelle. Main dans la main avec cela, il y a eu le retrait des dieux, le monde divin entrelacé avec l'homme, intimement sensible à sa propitiation. En commençant par les écoles grecques primitives, il y a eu un mouvement pour situer l'action du divin dans le domaine de principes abstraits, et loin du panthéon anthropomorphique homérique. Le Zeus du philosophe devient une créature différente du Zeus de la croyance populaire.
La combinaison d'un cosmos ordonné et de l'abstraction des dieux s'est avérée destructrice pour la croyance divinatoire archaïque à la fois avec et sans l'astrologie. Au sein de l'astrologie, la dernière conséquence de ce développement a été la réduction de l’apparente connexion entre l'horoscopie et la divination. Son stade préparatoire était à l’œuvre antérieurement à l'origine de l'horoscopie, et peut en effet avoir induit son développement. Cette première étape est un pression inexorable vers un concept d'astrologie qui pourrait être décrit au mieux comme "la machine du destin".
La "Machine du destin" est la compréhension que le destin de l'humanité, collectivement et individuellement, est prédéterminé avec un ordre et une précision similaires à ceux qui se manifestent lors de l’observation des cycles des planètes. L'ordre majestueux des cieux, calculable en principe de l'antiquité lointaine jusqu’à un avenir lointain, ne permet aucune déviation. C’est la loi mathématique technique qui détermine les mouvements des dieux eux-mêmes. C’est même au-delà de leur pouvoir de commander.
Cette conception, comme l’abstraction des dieux, va de pair avec l’élargissement de l’imagination géographique de l’homme, comment il perçoit les tribus, les races et les nations bien au-delà de la sienne, lesquelles sont toute couverts par un seul grand ciel. Vue sous cet angle, l’astrologie va au-delà des dieux locaux, ses présages ne peuvent pas seulement être juste "pour nous, ici, maintenant". Par sa grandeur et son inévitabilité infaillible, la machine réduit en poussière tout espoir d’intervention directe dans son décret, à moins que l’homme n’atteigne l’union la plus haute et la plus transcendante avec son lointain créateur.
Depuis son premier passage dans la pensée grecque, l’astrologie a sinué dans la Machine du Destin. Les profonds concepts platoniciens, qui ont imprégné l’astrologie ultérieure, sont révélateurs en la matière. Dans le "Timée", Platon exprime l’attitude qui coupe le cordon ombilical entre l’astrologie grecque et la divination archaïque (6) :
"Dire lequel des dieux vient en ligne avec un autre à leurs conjonctions, et lequel en opposition... et à quelles périodes ils sont solidairement cachés à notre vue pour réapparaître ensuite envoie des craintes paniques et des présages pour l’avenir aux hommes qui sont incapables de calculer".
"Les hommes qui sont incapables de calculer"… pour l’astrologie ultérieure, le terme «mathematicii» devait devenir synonyme d’astrologues. Les hommes qui peuvent calculer peuvent déterminer à l’avance la danse des dieux ; ils sont maîtres d’une vision sublime de l’ordre de tout le cosmos. Il est clair que Platon déclasse une réponse directe à un présage céleste s’il n’a pas été amené dans un cadre d’ordre mathématique : "les craintes panique et les présages". Le contexte du passage cité ci-dessus est également révélateur : Platon a devant lui une sphère armillaire, "un modèle visible de ces mouvements". À partir de cette époque, la philosophie peut se revendiquer un modèle du cosmos, ouvert à l’inspection, à la mesure et à la recherche, où le mouvement le plus fondamental - le mouvement diurne du Primum Mobile - est lui-même la demeure de la Raison.
Timée, manuscrit du Xe sicèle - Source : Wikipedia |
L’ordre rationnel observé dans les cieux a agité la science et la philosophie grecques ; l’interprétation de ce vaste thème pour le destin de l’homme a inspiré l’astrologie grecque. Bien que le modèle classique de l'astrologie qui en résulte porte la marque du génie grec, la Machine du destin doit néanmoins être replacée à une origine pré-grecque. Dès les premiers temps, les astrologues mésopotamiens ont fidèlement recueilli des documentations de phénomènes célestes, dans le cadre de leur enquête générale sur la correspondance entre présages et événements. On peu présumer que les cycles les plus simples, le jour, le mois et l'année, ont été compris dès l'aube de l'humanité. Ils forment l'origine de la conception cyclique du temps sacré. Cependant, ce n’est que tard dans l'histoire de l'astrologie que toute l'étendue de la nature périodique des phénomènes célestes est devenue évidente.
La capacité de prédire des éclipses impressionnantes ainsi que les apparitions et les disparitions des grands dieux : cela a dû susciter l’exaltation parmi les astrologues qui atteignaient cette connaissance. Cumont suggère qu’ "on ne peut pas surestimer l'importance religieuse qu'un peuple éminemment superstitieux attachait à ces découvertes... en établissant le caractère immuable des révolutions célestes, les Chaldéens se sont imaginé comprendre le mécanisme de l'Univers et avoir découvert les lois véritables de la vie" (7). Les Chaldéens n'avaient pas conceptualisé leurs dieux, et les planètes physiques n'étaient donc pas séparables de ces dieux. Grâce à une puissante association imaginative, le développement de la certitude prédictive des cycles astronomiques a conduit à une certitude calculable de l'ordre du destin lui-même. Cette possibilité a donné à la divination astrale une suprématie sur toutes les autres formes - y compris la lecture du foie - bien avant la propagation de l'astrologie à la période hellénistique.
Les savants modernes suggèrent que les astrologues de Babylone ne sont pas parvenus à une chronologie fiable, le fondement d'une astronomie scientifique, avant l'ère de Nabonassar au VIIIe siècle av. J.-C. La documentation sur les éclipses antique utilisée par Ptolémée commence à cette période avec l'éclipse de mars 721 av. J.-C. Les éphémérides mensuelles précises, calculés à l'avance, datent du VIe siècle av. J.-C. Le développement technique au cours des siècles suivants semble avoir été pérennisé jusqu'à la fin du IIe siècle av. J.-C., date à laquelle des éphémérides perpétuelles ont été construites.
L’extraordinaire capacité technique permettant de construire une éphéméride à l'avance, chose sur laquelle l'astrologue moderne s'arrête rarement pour la considérer comme significative, est donc intégralement liée à une attitude philosophique puissante qui sous-tend beaucoup de pratiques astrologiques : la compréhension que le destin se déroule en cycles ordonnés, périodiques et -"en principe" - calculables.
La destruction de la cohérence interne du katarche astrologique découle inévitablement de la pleine acceptation d'une telle conception. Vettius Valens (2e siècle après J.-C.) traite la question de manière succincte :
"Il est impossible de vaincre par le sacrifice ce qui a été établi depuis le début des temps". (8)
Si l'astrologie parle d'un ordre divin établi pour toujours, alors en quoi est-ce utile pour l’homme qu’il imagine que ses propitiations puissent le modifier, qu'il puisse courber un destin déjà déterminé pour lui ? Les dieux n'écouteront pas. Même s'ils le faisaient, ils ne pourraient venir en aide, car eux aussi sont limités par une loi sans âge. Le destin n'est plus négociable.
Un siècle et demi plus tôt, Manilius délivrait le même message dans son beau poème :
"Le destin règle tout, tout est soumis à ses lois immuables; tous les événements sont irrévocablement liés aux temps qui doivent les produire. L'instant qui nous voit naître a déterminé celui de notre mort; notre fin dépend du premier moment de notre existence… Ce que le destin nous prépare ne peut nous manquer ; nous n'acquerrons jamais ce qu'il nous refuse. En vain essaierions-nous de prévenir par nos désirs les faveurs ou les menaces de la fortune : il faut que chacun se soumette au sort qui lui est réservé."
Manilius : "astronomica" 4:14 et suivants. (9)
L'astrologie de Manilius est conforme à la philosophie du stoïcisme, qui eu un certain prestige à Rome à son époque. Parmi les écoles grecques, les stoïciens étaient, à quelques exceptions près, des défenseurs des anciennes pratiques de divination. L'astrologie en particulier semble avoir capté leur attention. Les fragments de la philosophie stoïcienne qui ont survécu suggèrent que leur vision du destin a été complètement modélisée dans le sens de la Machine du destin. La divination a fonctionné en raison de l'harmonie absolue qui existait dans tout le cosmos, où un signal était prédestiné pour indiquer ce qu’il présageait. Bien que cette attitude fataliste ait permis aux pratiques de divination de se perpétuer, Elle est à la racine incompatible avec le katarche. Du point de vue stoïcien, l'homme doit porter son lot avec sérénité philosophique : d'où la signification du mot "stoïque" qui survit à l'usage moderne.
Le stoïcisme a trouvé une forme d’expression appropriée dans l'interprétation fataliste de l'horoscope natal et ses motifs récurrents dans l'astrologie ultérieure. Il a finalement abouti à une conception plus flexible dérivée d'Aristote et portée dans l'astrologie par Ptolémée. Cela permet plus de liberté pratique à l'homme que la position stoïcienne. Pour l'astrologue aristotélicien, le modèle "inévitable" des cieux ne fonctionne pas directement avec chaque petit détail de la création. Les circonstances contingentes peuvent entraver ou faciliter la direction générale produite par la causalité primaire : c'est dans cette formulation que nous pouvons dire, "les astres inclinent, mais n’obligent pas". Il y a donc quelques différences importantes dans l'approche de l'horoscope natal selon l’obédience stoïcienne ou aristotélicienne. Cependant, sur un thème anti-katarchique, les différentes écoles seront unies. Qu'elles soient platoniciennes, aristotéliciennes ou stoïciennes, elles sont susceptibles de trouver absurde toute pratique suggérant que la propre conduite de l'homme puisse influencer le modèle cosmique de la causalité primaire.
L'astrologie katarchique offre une pratique divinatoire, mais pas de théorie pour assister le développement de l'horoscopie grecque. Par la simple inertie de la tradition, soutenue par des attitudes religieuses ou magiques, ses pratiques se sont perpétuées. Aussi importante qu’ ait pu être l'attitude katarchique à un moment donné, il est évident que, nulle part dans la pensée grecque ou influencée par les Grecs, elle n’a abouti à une expression philosophique articulée. Si une telle expression a été obtenue quelque part, alors elle n'a pas survécu à la pratique ultérieure de l'horoscopie. Le développement adéquat de ce problème aurait impliqué, dans le cadre de sa mission, la prise en considération de l'évolution de la pensée grecque sur la question de la divination. Cela va au-delà de l’objectif de la présente étude, bien qu'une compréhension plus complète des origines de l'astrologie classique nécessitera un jour une telle entreprise.
Par rapport à la qualité spontanée et chaotique de l'observation des présages astraux, la conception induite par la Machine du destin encourage une attitude plus contemplative et "objective". Par dessus tout, elle est associée à un modèle, le modèle physique des cieux, concevable selon l'œil de l'esprit et capable de démonstration visuelle. Il sert de base à la théorie. La participation de l'astrologue se transforme en une capacité à visualiser un ordre universel de tous les destins, présenté "en théorie" au regard alors qu'il déroule les cycles sans fin des cieux.
L'exemple des arguments de Nigidius Figulus éclairera le probable style d’une importante pensée philosophique fondée selon la nouvelle conception. Nigidius, qui a déjà été brièvement mentionné dans la partie III, est un représentant important de l'horoscopie première, car il se trouve à un point de contact et de transition entre les pratiques archaïques et classiques. Homme érudit, il utilisait à la fois l'astrologie natale et katarchique, ainsi que l'haruspice et, peut-être, des formes de magie. Un aperçu de son attitude à l'égard du moment natal a survécu. Saint Augustin, dans son attaque substantielle contre l'astrologie, documente l'argument proposé par Nigidius pour expliquer comment il se fait que des jumeaux ayant des horoscopes presque identiques peuvent montrer de grandes différences. En réponse à ce fait troublant, l'astrologue a fait une démonstration qui lui a valu le surnom de "Figulus", le potier. Il a fait tourner une roue de potier en y faisant deux marques avec de l'encre, en succession rapide, apparemment au même endroit. Lorsque la roue s'est arrêtée, les marques se sont avérées éloignées. Nigidius a fait valoir par analogie que "le ciel tourne si rapidement que, bien que les jumeaux aient pu naître en succession aussi rapide que mes deux marques sur la roue, cela correspond à une très grande étendue du ciel. Cela expliquerait toutes les grandes divergences alléguées dans le caractère des jumeaux et dans les événements de leurs vies (10).
Saint Augustin considère cet argument comme encore plus fragile que la poterie faite sur la roue de Nigidius. Si un tel changement se produit dans un aussi bref moment, cela invaliderait toute certitude quant à un jugement spécifique dans le cas de ceux qui ne sont pas jumeaux. Cette objection a été soulevée aux astrologues "natal" dès le début de l'horoscopie, et elle n’a pas changé depuis. Les astrologues modernes font rarement mieux que Nigidius pour convaincre les critiques.
La question des horoscopes des jumeaux est un test d’attitude décisif à l'égard du moment d'astrologie, et sera reprise plus tard dans cette étude. Pour la présente discussion, il suffit de souligner le modèle d'astrologie natale adopté par les astrologues classiques. Nigidius ne considère en aucun cas l'horoscope natal comme un présage observé occasionnellement et associé à la naissance. Il le considère comme nécessairement et, dans tous les cas possibles, opérationnel. Il est alors limité pour offrir une vision théorique d'un modèle continu de correspondances célestes universellement opérationnelles, et il prend pour cela comme modèle le mouvement continu de la roue du potier, l'analogue de la Machine du destin.
Reflétant l’impressionnante découverte de la périodicité de tous les mouvements planétaires, la Machine du Destin s'est déplacée au cœur de la croyance astrologique. Les pratiques katarchiques n’ont pu offrir aucune conception indépendante et se sont donc retrouvées dans une position ambiguë. Avec le déclin général de la croyance en la divination rituelle et les anciens dieux anthropomorphes, le katarche aurait lui-même nécessité une justification par une extension de la Machine du Destin, et par des analogies empruntées à l'astrologie natale.
Le contexte de l’œuvre de Ptolémée a maintenant été établi. Diverses philosophies ont été en concurrence pour attirer l'attention et auraient pu revendiquer l'allégeance de l'astrologue. Cependant, la tendance générale allait dans le sens d'un cadre rationnel pour les phénomènes astrologiques, même si cette explication avait pu prendre comme première prémisse un principe mystique pythagoricien ou platonicien.
La grande réussite de Ptolémée est d’avoir donné une explication rationnelle convaincante à la pratique horoscopique la plus importante, celle de l'astrologie natale. La façon dont il l'a fait a été discutée dans la première partie de cette étude ; cependant, les grandes lignes de la structure ptolémaïque seront résumées ici. Il tenait pour acquis un processus continu d'influence céleste, jouant à tous instants sur les affaires terrestres (voir la partie I). Cette influence est générée par les phénomènes périodiques du Soleil, de la Lune et des planètes. Elle produit un ordre universel d'effet, qui peut être repéré dans les cycles de l'astrologie mondiale et dans l'astrométéorologie.
Le processus de correspondance continue n'explique en aucun cas les destins particuliers. Le modèle d'un destin particulier est estampillé par les étoiles au moment unique de l'origine de la créature individuelle. C'est pourquoi l’horoscope pour le moment d'origine peut être interprété pour la vie de l'individu. C’est n’est que ce type d’horoscope qui pourrait produire des jugements particuliers pour l'individu : je l’ai appelé la "doctrine d'origine" (partie I). Ptolémée justifie la doctrine en postulant un mécanisme causal. C'est l’ "hypothèse des graines". Les graines sont si impressionnables à l'instant de leur germination qu’elles sont puissamment impressionnées par l'influence céleste de cet instant. Par un ambigu déplacement au cours de son argumentation, Ptolémée prolonge cette hypothèse pour justifier le moment natal comme une origine d'importance égale à celle du moment de la conception (partie I).
Le modèle de Ptolémée marque l'aboutissement d'un long développement qui rassemble et objective l’objectif premier de l'horoscopie autour du moment de la naissance. À partir de ce moment, l'identification du "moment d'astrologie" comme moment d'origine a été fermement établie, le moment natal étant son représentant prédominant. Ce développement a produit un clivage entre l'astrologie katarchique et l’astrologie natale,
"…par le coup d’État métaphysique des généthlialogues, qui ont prétendu intégrer dans un moment unique la totalité des causes prédéterminant la destinée".
Bouché-Leclercq, "L’astrologie grecque", p462 (11)
Les diverses pratiques rassemblées sous le katarche ont survécu, malgré l’opposition de Ptolémée. Chacun d’elles, astrologies horaire, électionnelle et inceptionnelle, avait de fortes traditions de pratique derrière elles, et elles ont probablement continué à fonctionner dans l’estime de leurs praticiens. Cependant, elles ont perdu toute puissance de théorie indépendante du modèle ptolémaïque, c’est pourquoi le katarche est devenu simplement un terme générique pour une multitude de moments non-natals. Après l’époque de Ptolémée, le débat philosophique sur l’horoscopie a été presque entièrement consacré à la doctrine de l’origine, et la doctrine de l’origine s’est elle-même plus communément exprimée dans l’imagerie de la naissance.
Ptolémée montre relativement peu d’incohérences, il est minutieux dans sa poursuite du coup d’État. Beaucoup d’intéressants détails de son astrologie se mettent en place quand on garde cela en tête. Bouché-Leclercq attire l’attention sur le développement prudent de Ptolémée concernant la méthode de lecture de la prédisposition à la maladie dans l’horoscope natal, et en particulier de sa VIe Maison (12). Il est probable qu’il essaie de libérer l’astrologie de sa dépendance à une très vénérable variante katarchique - le système d’astrologie médicale attribué aux Égyptiens . Cette forme divinatoire a survécu comme la doctrine de Décombitures, où un horoscope est interprété pour le moment où un patient tombe malade. Les jugements horaires pour la réception d’un échantillon d’urine proviennent également de cette tradition. L’une ou l’autre de ces pratique sont assurées d’être un anathème pour les astrologues de toute période qui sont imprégnés de l’attitude ptolémaïque.
La redéfinition rationnelle de l’astrologie de Ptolémée a finalement garanti un cadre théorique sécurisant pour l’horoscope natal. Il a ainsi remodelé une ancienne logique divinatoire dans les catégories éminemment raisonnables de la pensée aristotélicienne. Le succès de ce programme a été remarquable, car il a très possiblement permis la survivance même du jugement horoscopique. D’autre part, son succès a nécessairement garanti que d’autres formes de l’horoscopie semblent non fondées et "irrationnelle" au point qu’elles ne pouvaient pas être adaptées à la structure protectrice à l'intérieur de laquelle Ptolémée soutient la pratique de l'astrologie natale. Ce dilemme a parcouru toute la tradition et se trouve encore avec nous aujourd'hui. Il ne peut être résolu que si les astrologues sont prêts à explorer un mode de discours plus complet et fondamental sur les phénomènes qui se posent, jour après jour dans chaque élément d'astrologie qu'ils rencontrent. Cela nécessitera la libération de la forme divinatoire entremêlée dans la Machine du destin, et déguisée dans le "coup d'État métaphysique".
La décadence du katarche astrologique : note complémentaire
À
partir de la "preuve interne" de la description des pratiques de
l’astrologie grecque tardive, associée au changement d’attitude à
l’égard de la divination à l’époque classique, il a été suggéré que la
signification du "katarche" en tant que terme astrologique avait subi
des changements bien avant le Ve siècle après J.C. (voir partie II).
Cette décadence sémantique expliquerait le fait que l’astrologie
médiévale et moderne ne peut faire appel à aucun terme technique
comparable. Le professeur Richard Lemay (City University of New York) a
aimablement confirmé que l’astrologie arabe ne traduit pas le terme
"katarche" comme un terme générique pour les pratiques individuelles
précédemment rassemblées sous son aile. Au lieu de cela, nous trouvons
des mots arabes distincts pour les interrogations horaires, les
élections et les inceptions. La relation générique de ces pratiques est
ainsi effacée.
Il serait intéressant d’établir si la même
désintégration s’est produite dans la transmission de l’astrologie
hellénistique à l’Inde.
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Notes
- Proclus "In Timaeum" 248D, cité dans Cumont, op. cit. note 30, conférence IV, p 61.
- Hérodote "Histoires', Livre II, 82 (op. cit. Note 26, p. 132). L'affirmation d'Hérodote a perturbé certains historiens qui imaginent qu'il se réfère à la divination purement astrologique, car il n'y a aucune preuve consistante en faveur de l'astrologie grecque à une période aussi ancienne. Cependant, la remarque fait presque certainement référence à la divination chronocratique.
- "Monthly prognostics" (Pronostics mensuels) : "Origins of Astrology" (Origines de l'astrologie), op. cit. Note 28, p. 48.
- "Birth and death" (Naissance et mort) : j'ai été influencé et guidé ici par l'analyse existentielle pénétrante entreprise par Martin Heidegger dans "Being and Time" (Être et temps) (publ. Basil Blackwell, Oxford, 1973).
- "Illogical" attitude to divination (attitude illogique à l'égard de la divination) : voir par exemple le commentaire du péripatéticien Alexandre d’Aphrodise cité par Cumont, op. cit. note 30, conférence V, p. 87.
- "Timée", Platon, 40 C & D, traduction de Warrington, Every man's Library n° 493 (Dent, London & Dutton, New York, 1965), p. 35.
- "The laws of life" (Les lois de la vie) : Cumont op. cit. note 30, conférence I, p. 13.
- Vettius Valens, cité par Cumont op. cit. note 30, conférence V, p. 86.
- Manilius, "Astronomica", traduction de Goold, Loeb Classical Library n° 469, 1977, p. 223-5.
- St. Augustin, "City of god" (La cité de dieu), Livre V, ch. 3, traduction de Bettenson, Pelican Classics (1972), p 182. Augustin écrivait vers 415 après J.-C.
- "Coup d'État métaphysique" : Bouché-Leclercq, op. cit. note 31, ch. XIII, p 462.
- Ptolémée sur la maladie : voir la Tétrabible III.12 ; voir également la discussion respectueuse de Ptolémée sur l'astrologie médicale égyptienne, I.3. (op. cit. note 1).
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