LE MOMENT D'ASTROLOGIE : KATARCHE, par Geoffrey CORNELIUS

L'astrologie hellénistique ne peut être comprise en dehors de l'immense mouvement des mentalités qui s’est caractérisé et exprimé en premier lieu dans les écoles philosophiques grecques. L'horoscopie s'est développée à une époque où les perceptions et les croyances de l'antiquité subissaient de profonds changements. Même avant la naissance du christianisme, qui a assimilé avec succès la pensée grecque dans son système, les anciens dieux étaient devenus absurdes. Il aurait été en effet surprenant que la pression de ces changements n'ait pas affecté la pratique de l'astrologie et les descriptions données par ses praticiens.


Une série d'articles consacrés à la pensée de Geoffrey Cornelius



La perspective divinatoire en Astrologie selon Geoffrey Cornelius, par Kirk Little

L’article d’Oslo  : astrologie et divination, par Geoffrey Cornelius

Le moment d'astrologie :

    Partie 1 : Rétablir l’attitude divinatoire

    Partie 2 : La question soulevée par l’Astrologie Horaire

    Partie 3 : Katarche

    Partie 4 : Le coup d’État métaphysique de l'astrologie natale
  
    Partie 5 : La divination et la fracture sujet/objet

    Partie 6 : L’homme qui a l’œil ouvert

L’astrologie est une divination ? Quelle importance… par Geoffrey Cornelius


L’intention de ce chapitre est de tracer le contour, et d'en évoquer la caractéristique essentielle, d'une attitude divinatoire archaïque, qui a finalement été affaiblie et remplacée selon l'évolution de la pensée grecque. L’astrologie primitive est apparue en conformité avec cette attitude archaïque , et en est une expression. En outre , il y a de bonnes raisons de supposer que cette attitude a continué à avoir une influence partielle tard dans le développement hellénique, tout au moins dans la perception et la description de l’astrologie. Les véhicules de son expression manifeste étaient destinés à l’atrophier, sous la pression du changement, vers un modèle rationnel. Pourtant, sa trace a perduré dans ces branches de l’astrologie, notamment horaire, qui ont été réunies sous le nom de "katarche".
Ce projet mène loin des préoccupations apparentes d’aujourd’hui. Cependant, allant au-delà de l’examen historique, le but sera de soutenir la thèse suivante : que l’"attitude katarchique" révèle un terrain pour toute la pratique astrologique, ancienne ou moderne. Une compréhension de son obscurcissement historique aidera à la difficile tâche de rétablir cette même base dans l’astrologie moderne.

Il est fréquent que des mots très courants prennent un sens technique spécifique dans une discipline particulière. Le sens spécifique a souvent une relation sémantique étroite avec les autres usages non techniques. En astrologie, des mots tels que "élection" et "maîtrise" en sont des exemples typiques. Il en va de même du mot "katarche" lorsqu’il était employé comme terme technique en astrologie grecque primitive.
En dehors du sens spécifiquement astrologique de "prévision d’entreprise, de voyage, etc.", le terme a plusieurs significations selon le contexte. Parmi celles-ci, le sens le plus général est "début" . Il peut aussi faire référence à : "la primauté, la souveraineté et la base"; "la partie de la victime sacrificielle qui est offerte en premier"; et, "commencer les rites de sacrifice". Cette dernière utilisation semble être la plus ancienne, remontant à Homère (1).
Le mot "katarche" porte donc un fil sémantique de primat sacré et d’autorité. Cela a-t-il une incidence sur le katarche astrologique ? Il pourrait sembler que tout lien entre les débuts, ou initiatives, astrologiques et les rites sacrés est bien plus qu’un jeu de langage sans importance. Cependant, le modèle sémantique de deux mots latins à significations liées suggère que la connexion dont on discute est essentielle. Les mots latins nous sont plus accessibles dans la mesure où ils sont passés en français en "auspice" et "augure". La qualité parallèle des trois termes est illustrée par la synthèse de leurs principales significations comme suit :

Il reste à ajouter que l’auspicium est, selon l’usage d’une autorité moderne au moins, une traduction valide pour le "katarche" astrologique (3). Je n’ai pas vu de preuve indiquant comment les premiers auteurs auraient décidé de la traduction.
Pour les termes latins, "début" est un dérivé métaphorique plutôt qu’un sens premier (d’où les crochets dans le tableau). Cependant, cette utilisation dérivée était assez courante, en particulier au cours de la période la plus tardive de l'Empire romain. Quelles que soient les distinctions qui pourraient être faites entre les significations premières et métaphoriques, ces trois mots partagent un modèle sémantique global, reliant l'observance rituelle et l'initiative humaine. Ce modèle reflète le changement progressif des attitudes au fur et à mesure de la diminution des pratiques de divination. Pour les cultures du Proche-Orient antique, peu de questions de grande importance auraient commencé sans l’invocation des dieux et la consultation des auspices. Le recours à la divination "autorisait" un plan d'action dès sa conception, en lui donnant la sanction des dieux. Prendre un auspice, ou discerner un présage de bonne ou mauvaise fortune, revenait à prendre l'initiative humaine sous le guidage des dieux. Alors que la nécessité d'un dialogue sacré diminuait avec le changement de perception et l'érosion de la croyance, les mots finirent par s'appliquer simplement au début de l'initiative humaine.
Le même modèle sémantique peut être retracé dans l'usage français de ces termes. Le verbe "inaugurer" au sens strict suggère la conception rituelle d'une question majeure. Le mot est désormais couramment utilisé en dehors de sa signification originale, simplement pour indiquer un début important, généralement d'intérêt public. Cela vaut la peine de réfléchir au fait que, même à notre époque irréligieuse, le mot ne perd pas totalement sa connotation rituelle ; cette même connotation devait ainsi avoir une bien plus grande résonance à l'époque de l'Empire romain.
"Auspice" est tout aussi révélateur. Comme le lecteur peut le voir en tournant la couverture, ce petit journal est "publié sous les auspices de Astrological Lodge of London (Loge astrologique de Londres)". Cela signifie que le journal bénéficie du patronage de cette auguste instance et qu'il tire son origine de cette autorité. Le mot a perdu de son poids au profit de ces significations : le vieux sens divinatoire est passé dans l'ombre.
La principale tâche ici est d'évaluer jusqu'où cette attitude divinatoire archaïque pouvait s’exprimer dans l'horoscopie primitive. Avant cela, il est nécessaire de tenter de mettre en lumière les caractéristiques de la divination antique, considérées indépendamment, tout d’abord, de la question de l’astrologie.

Le sacrifice d'un animal pour louer un dieu ou pour gagner sa bénédiction : il s'agissait d'une pratique répandue dans les cultures antiques, pas simplement limitée aux initiateurs mésopotamiens de l'astrologie. Qui sont les dieux ? Ils peuvent être décrits comme des entités autonomes ou partiellement autonomes, animés de volonté, et constituant un domaine numineux au-delà de la connaissance ou du contrôle immédiat de l'homme. Bien que ce royaume se trouve "au-dessus", il interpénètre en même temps le cosmos, la nature et l'homme lui-même, et se situe au plus profond de ses préoccupations. Cette interpénétration est à la fois soutenue et exprimée dans la célébration du rituel, du culte et de la divination.

La Pythie à Delphes - source Wikipedia
La divination doit ici être comprise comme l'interprétation de la volonté des dieux, comme le suggère la racine latine de ce mot, "divinus". Les dieux communiquent leur volonté de différentes manières. Ils peuvent agir directement par inspiration. Ils peuvent apparaître dans les rêves et les visions, directement ou déguisés, ou se révéler par le symbolisme des signes et des présages, les occurrences remarquables du monde naturel. Une réponse pourrait être recherchée dans les célèbres oracles, tels que celui d'Apollon à Delphes, durant l'un des jours sacrés assignés à cet effet. À Delphes, le demandeur faisait un sacrifice animal, et le dieu, s’incorporant dans la prêtresse, répondait par sa parole extatique. Ces réponses oraculaires, souvent sous forme d’énigmes, avaient un statut prophétique.
Venant du latin, il existe une distinction utile entre les présages spontanés (omina oblativa) et les présages sollicités (omina impetrativa). Les présages spontanés sont la démonstration du dieu dans un événement dramatique inattendu, tel qu'une naissance prodigieuse. Les présages sollicités sont ceux où la réponse du dieu est activement recherchée.
Il y a des preuves très anciennes de l'impétration rituelle des présages en Mésopotamie. Au troisième millénaire av. J.-C. existait la pratique d'examiner les entrailles de l'animal sacrificiel pour déterminer la volonté du dieu invoqué. Des exemples détaillés de l'art de lire des signes dans le foie ont été trouvés vers 1900 av. J.-C. À partir de ce moment, la lecture du foie est devenue de plus en plus codifiée, et une vaste littérature aphoristique s’est développée, ainsi que la documentation minutieuse de cas réels (4).
D'autres formes reconnues de divination comprenaient l'observation des présages, sollicités ou non, à partir du comportement des oiseaux. Celles-ci, avec la divination du foie, ont été transmises aux Étrusques de l'Italie centrale. De ce peuple, l'art des foies et la sagesse des oiseaux sont passés dans les observances du Collège romain des Augures.
L'attitude professée à l'augurie de l'État romain, par exemple, est une caractéristique fondamentale de la divination antique :

"L'art augural n'a jamais fourni de réponse à la question "que va-t-il se passer ?" mais seulement à la question, qui est beaucoup plus religieuse, "les divinités sont-elles disposées à ce que nous fassions ceci ou cela ?" (5)

La divination était comprise comme sacrée. Bien que dans les systèmes développés, les présages puissent porter en de nombreux points sur les détails du monde, l'effet de la divination consistait à amener les sujets en question, les préoccupations vitales de l'homme, sous le guidage du sacré. Une prédiction par la divination n'était autre que la révélation de ce que les dieux souhaitaient qu’il se passe.
Il ne faut pas en déduire que la divination antique était entièrement décrite comme une observance religieuse. L'intérêt personnel cherche son intérêt dans les manipulations de la prédiction, et la "volonté des dieux" est susceptible d'une interprétation flexible selon des exigences politiques dominantes. Cependant, le processus essentiellement sacré décrit ci-dessus était en permanence affirmé par tout le fin réseau de croyance et d'autorité sacerdotale dans lequel la divination était socialement acceptable. Le divorce entre les formes extérieures de la divination, y compris l'astrologie, et royaume du sacré a nécessité un déclin général de la croyance dans les dieux.
Une véritable démarche de l'imagination est nécessaire pour rétablir la signification du "dialogue avec les dieux". Cette attitude est opaque à la pensée moderne. Pour exprimer un peu de sa qualité, l'exemple suivant, rapporté par l'historien grec Hérodote, sera plus utile que de nombreux paragraphes de discussion abstraite. La circonstance est la victoire de l'alliance maladroite d’États grecs, comprenant Tégée et Sparte, contre les Perses et leurs alliés grecs, en 479 av. J.-C. Cette victoire a garanti de manière décisive l'indépendance future des Grecs. Les Perses étaient dirigés par Mardonios, les États grecs indépendants étaient menés par Pausanias. L’issue de ce conflit avait déjà été prophétisée à Delphes, mais l'ambiguïté de l'oracle avait incité Mardonios à l'ignorer ou à le mal comprendre. Les deux parties avaient employé des rites de divination sacrificielle similaires. Ni l'une ni l'autre n'avait reçu de bons présages quant à une bataille totale, mais Mardonios, avec des forces plus importantes, avait décidé d'ignorer les conseils de son devin. Voici le moment critique, le moment décisif du destin, pour Pausanias et les Grecs indépendants :

"Une fois de plus, alors qu'ils étaient sur le point de s'engager aux côtés de Mardonios et ses hommes, ils accomplirent le rituel du sacrifice. Les présages n'étaient pas favorables, et pendant ce temps, beaucoup de leurs hommes avaient été tués, et beaucoup d'autres blessés, car les Perses avaient fait une barricade de leurs boucliers d’osier sous la protection de laquelle ils tiraient des flèches en tel nombre que les troupes de Sparte étaient en grande détresse ; cela, ajouté aux résultats défavorables du sacrifice, amena finalement Pausanias à tourner les yeux vers le temple d’Héra et à en appeler à la déesse pour de l’aide, la priant de ne pas autoriser que les Grecs soient privés de le espoir de victoire. Alors, pendant que les mots étaient encore sur ses lèvres, les Tégéens se lancèrent pour mener l'assaut, et un instant plus tard, les victimes sacrificielles promirent le succès. À ce stade, les Spartiates aussi, avancèrent finalement contre l'ennemi..."

Hérodote, "Histoires", Livre IX (6)

Qui donne la victoire aux Grecs ? Remarquons le changement d'avis participant à l'appel à Héra, suivi du renversement immédiat des présages. Malgré l'accomplissement, inexorable, sinon paradoxal, de prophéties majeures, néanmoins, dans les circonstances particulières où les hommes se trouvent, il ne peut y avoir de destin garanti ou absolu au-delà de l'influence humaine, ou indépendant de la participation de l'homme. Il peut changer d'un moment à l'autre, d'un présage à l'autre. Les hommes trouvent le courage et invoquent les dieux : le destin est négociable. Une attitude vraie dans le rituel et dans la divination peut en effet faire partie de cette initiative.
On déduit ici que ce mode de pensée a coloré le katarche astrologique. Avant que cette influence puisse être évaluée avec exactitude, il est nécessaire de délimiter la forme générale du "moment de divination" implicite dans les pratiques antiques.
À quelle instant et à quel endroit la divination se produit-elle ? Sur quelle base le devin renvoie-t-il le présage à l'événement ? Il le fait dans le "templum", l'espace sacré créé dans le rituel. L'espace sacré est celui où un dieu peut être présent. Par le rituel, la préoccupation de l'homme est mise en avant, les affaires du monde passées, présentes ou futures, dans lequel se discerne l’œuvre du sacré. La réponse du dieu se produit dans l'espace sacré du rituel, bénissant spontanément ou approchant ce qui a été présenté rituellement . L’"instant" n'appartient pas à l'événement littéral, mais au moment sacré où un présage est donné selon l'événement.
Là où le présage est donné spontanément, le dieu parle dans un espace de son choix, bénissant ou approchant les événements actuels au présage. De tels présages sont généralement liés par le temps avec les événements, en cela ils se produisent simultanément.

Procession en vue du sacrifice d'un agneau aux Charites. Source Wikipedia

La contemporanéité est l’expression d'une perception réelle et non d'un lien "objectif" abstrait et théorique entre l'espace et le temps. Avant tout, la signification n'est pas un événement de nature physique, mais une qualité humaine, individuelle ou sociale, et dépend du sachant humain. Peu importe ce qui est significatif "dans l’esprit", peu importe ce qui obscurcit l'horizon, l'incertitude dominante de l'attention actuelle : c'est ce qui s'associera spontanément à l'apparition d'un présage. Alors, lorsque les présages n'ont pas encore été donnés et que l’un d’eux se révèle, la principale préoccupation devient le probable lieu de référence. Si une éclipse est observée pendant que le roi est en expédition, alors prima facie l'expédition du roi est l'actuelle incertitude dominante à laquelle le phénomène se réfère. S'il n'y a pas d'association évidente pour un événement remarquable reconnu comme un présage, alors ce présage lui-même devient le centre de l'incertitude actuelle. Il y aura alors une espérance pour l'avenir immédiat, une chose inconnue mais "juste au coin de la rue", qui sera supposée par les devins. Dans ce cas, l'"avenir" et son signe deviennent l’objet d’une préoccupation actuelle, demandant une compréhension humaine et une réponse rituelle.
Dans les traditions développées de divination, il existe une fine discrimination des détails du présage, par analogie, similitude ou précédent historique. Ainsi, une part spécifique de la préoccupation actuelle peut devenir lieu d'association. Alternativement, le devin peut rechercher un lieu spécifique et améliorer, confirmer, ou infirmer sa compréhension originale dans le processus par l’offre d’un nouveau présage de divination rituelle. Ce processus peut être discerné tout au long de la pratique divinatoire. Un "signe solaire" non spécifié perçu au début de l'expédition militaire du roi Mursili II, vers 1330 av. J.-C., avait émis des craintes à la fois pour le roi et l'expédition. Une nouvelle consultation par divinisation avait déplacé le présage vers ce qui concernait la reine (4).

Étant donné qu'un présage n'est un présage que s’il est reconnu comme tel, il est clair que sa signification dépend de la participation de ceux pour qui il se présente. Sa validité ne dépend en aucun cas d'une loi générale ou théorique régissant la production de présages. Son pouvoir vient précisément de son apparence unique "pour nous, ici, maintenant". Pour cette raison, la signification dérivée des présages et incarnée dans la divination antique peut être appelée signification participative. Elle est significative pour quelqu'un qui la perçoit comme significative. Cette notion nous aidera à discerner le fossé immense entre les modes de pensée archaïques et modernes. Elle contraste avec l'attitude moderne non divinatoire qui attribue une signification théorique apparemment non participative aux événements :

" Nous comprenons les phénomènes, non par ce qui les rend particuliers, mais par ce qui fait d’eux des manifestations des lois générales. Mais une loi générale ne peut pas rendre justice au caractère individuel de chaque événement. Et le caractère individuel de l'événement est précisément ce que l'homme primitif ressent le plus fortement."

Frankfort et al. "Before philosophy" (Avant la philosophie). (7)

L'observation des présages météorologiques et célestes s'est réalisée parallèlement au développement de la divinisation du foie est issue de la même matrice de compréhension "participative". Sans réduire l'astrologie à une extension de la lecture du foie, on peut néanmoins s'attendre à des points de contact. Des régions du ciel étaient identifiées à des zones du foie (8). Comme les marques dans les entrailles de l'animal sacrificiel, les présages célestes étaient perçus dans le royaume du sacré, et ils nécessitaient une réponse rituelle. Les présages astrologiques étaient la substance de la divination. Par conséquent, ils pouvaient faire référence à d'autres formes de divination, comme dans le cas du roi hittite déjà mentionné. En des temps très anciens, le foie semble avoir été l'arbitre final dans les cas d'ambiguïté.
Le passage à la pensée grecque a finalement superposé la signification participative à la compréhension théorique. Le fondement d’origine de l'astrologie est ainsi devenu problématique. Cependant, les vestiges de l'ancien mode de compréhension sont restés longtemps à l'œuvre dans le ferment spirituel et intellectuel. Delphes a conservé des traces de son autorité après l'époque du Christ. La pratique sacerdotale de la divination du foie a survécu à la ruine de Babylone et est référencé au moins jusqu'au cinquième siècle après J.-C. (9).
Les deux différents modes de pensée, anciens et modernes, peuvent être retracés dans l'astrologie de cette période :

"Dans les temples des dieux orientaux, l'astrologie assumait, ou plutôt maintenait, un caractère très différent de celui sous lequel elle se présentait dans les écoles et les observatoires..."

Cumont (10)

Cumont met en contraste l’attitude la plus vieille religion avec celle "d’un traité didactique tel que le Tétrabible de Ptolémée où les effets des planètes sont attribuées à des causes physiques."

Le peu de choses connues des premiers astrologues confirme le fait que l'augurie et l'astrologie étaient des compagnons intimes. Un Chaldéen, Soudinès, qui jouait le rôle de conseiller d'Attale de Pergame vers 240 av. J.-C., était une autorité en matière de divination - y compris la lecture du foie – ainsi qu’un astrologue. Ses tables lunaires étaient encore utilisées par les astrologues grecs plusieurs siècles plus tard. Posidonius, habile dans divers arts divinatoires, y compris l'astrologie, représente de manière prééminente la fusion de ces pratiques avec la philosophie stoïcienne au premier siècle av. J.-C. Un contemporain, Nigidius Figulus, faisait partie de la première génération d'astrologues romains. Il était immergé dans la tradition étrusque, et parmi ses écrits se trouvent des essais sur les présages du tonnerre et la divinisation des entrailles.
Selon Bouché-Leclercq, cette période de la culture romaine a vu une concurrence pour la croyance, sur des conditions à peu près égales, entre l’art antique de l’haruspice (qui couvre plusieurs anciennes formes d'observation des présages, y compris la divination des entrailles) et l'astrologie :

"Il y a eu à Rome un contact, une rivalité et une adultération réciproque entre la divination étrusque et l'astrologie, mais nous ne pouvons pas dire dans quelle mesure ils ont réagi, l'un envers l'autre."

L'astrologie Grecque (11)

Sorties de cette image obscure, certaines inférences peuvent être provisoirement tirées. Il semble probable que la formation de ces premiers astrologues, au moins une partie de leur expérience astrologique, ait été reconnue comme en association directe avec l'augurie : cette association serait l'héritage des deux attitudes étrusque et mésopotamienne. D’où la vraisemblance d’un "adultère réciproque." La matrice d’interprétation qui permet l’augure aura donc servi également de justification aux éléments de la pratique astrologique.
L’astrologie grecque s’est développée à partir d’une interaction réciproque complexe de divers aspects antiques, qui comprennent la cosmologie égyptienne et la science du calendrier avec l’astronomie mésopotamienne et la religion astrale. Au temps de Ptolémée, le développement de la "doctrine d’origine" (décrite dans la partie I de cette étude) avait effectivement éclipsé toutes les autres justifications possibles pour l’horoscopie. Dans la définition ptolémaïque, l’ancienne signification participative a été remplacée par la structure théorique d’Aristote. Il s’ensuit que la rationalisation ultérieure, ptolémaïque, est un indicateur incomplet et peu fiable des attitudes formatives de la période antérieure.
En lisant Bouché-Leclercq sur le sujet, on est amené à considérer l’astrologie horaire primitive comme une sorte de corruption, montant en puissance comme une réponse peu scrupuleuse ou faible d’esprit à la concurrence d’autres formes de divination. La corruption est considérée comme résidant dans la nature apparemment arbitraire du "moment" choisi par l’astrologue pour fournir l’horoscope pertinent. Une telle censure n’est valable que du point de vue de l’orthodoxie ptolémaïque, et oublie le fait essentiel que l’horoscopie primitive est ancrée, dans une proportion significative, dans la pratique divinatoire, et a tendance à exprimer une logique divinatoire. Cette logique a déterminé le caractère du "moment d'astrologie" katarchique, et à travers cela, a influencé le fondement interprétatif du plus complexe des présages, l'horoscope.
Il est possible d’écarter le cadre de la rationalisation ptolémaïque et de revoir les pratiques primitives de l'horoscope à la lumière de l'augure. Cela révèle la trame commune de la collection variée rassemblée sous le nom de katarche. Contrairement à la compréhension la plus habituelle de l'astrologie natale, où un destin semble être déterminé à la naissance, ces pratiques katarchiques partagent avec l'augure une qualité de participation humaine. Lorsque Nigidius Figulus juge un katarche pour le début de la guerre civile entre César et Pompée, tout comme les autres lecteurs de présages, il cherche non seulement une prédiction de résultat, mais plus fondamentalement un jugement sur la légitimité ou sur l'accord divin de l'action de César : c’est la réponse des dieux à cette initiative humaine librement prise (12). Malgré l'autorité incommensurable du royaume numineux appelé par la divination, la question du destin est en effet un projet fluide et ouvert - les dieux peuvent être se concilier, le sacré peut être approché. Contrairement aux indications fixes attribuées à un horoscope natal - ou à un horoscope inceptionnel traité à la manière d'une nativité - les présages du katarche ne peuvent être garantis, ils ne constituent pas un ordre inaltérable des choses. Comme les auguries de Pausanias, ils sont ouverts au changement selon que l'initiative change.
Comme pour l'astrologie inceptionnelle, les premières primitives d'astrologie électionnelle et horaire prennent un jour nouveau lorsqu'elles sont considérées selon l'attitude katarchique. Une élection prend la qualité de la recherche d'une bénédiction, l'autorisation des divinités astrologiques élues. Choisir le jour ou l'heure du dieu, choisir l'heure de sa configuration bénéfique en ce qui concerne un vœu propre à quelqu’un : un tel acte d'élection est cohérent avec une attitude religieuse archaïque et en est l’expression. Cette même attitude trouve également à s'exprimer sous des formes plus actives : l’adresse de la prière ou du rituel au dieu, ou la création d'emblèmes ou de talismans pour invoquer la participation du dieu. Cela suggère ici que cette attitude est le principe actif qui façonne l’expérience primitive de l’astrologie katarchique.
C'est une caractéristique distincte de l'élection astrologique qui ne se permet pas la voie de la réponse par les dieux, dans la mesure où elle n'a pas abandonné son symbolisme majeur "à la chance". Cela reflète donc la pratique de l'invocation d'un dieu, sans chercher à déterminer une réponse par le sacrifice. Ce modèle de l’autorisation sacrée à procéder sans l'offre spécifique d'un présage en réponse est assez courant dans l’antiquité, comme par exemple dans les rituels grecs documentés par Homère, antérieurement au contact avec la divination mésopotamienne.
Vue à la même lumière, l'astrologie horaire reflète parfaitement la pratique divinatoire antique. C’est la recherche d’un présage astrologique pour indiquer la volonté des dieux - et donc le résultat en termes de bonne ou mauvaise fortune – à l’égard de l'initiative humaine portée devant ces dieux. Le thème d’astrologie horaire est l'équivalent de la réponse offerte par la divination rituelle : pratiquer l'astrologie horaire est comme "commencer les rites du sacrifice".
Il a été avancé plus tôt à propos du cadre de l'acte rituel de divination, que l'acte lui-même crée l'espace sacré, le "templum" dans lequel un présage peut apparaître. Le présage appartient à cet espace, et n'est pas une propriété "objective" de l'événement dans le monde avec lequel il est spontanément associé. Traduire cela en un instinct résiduel qui peut même être discerné l’astrologie horaire moderne, le moment horaire est précisément et seulement significatif parce que c'est le moment où quelqu'un a posé une question horaire. La décision que sera prise en tant que moment horaire repose sur l'astrologue. Pour appliquer le langage de l'augure, c’est l'astrologue qui a l'autorité du templum.

La principale caractéristique du moment katarchique est qu'il se présente avec l’objet de l’interrogation, "l'incertitude dominante dans l'attention actuelle". Sa signification est participative - c'est-à-dire qu'elle dépend de la participation de l'astrologue, ou de celui qui soumet une interrogation à l'astrologue. Le moment est donc associé à ce qui mobilise quelqu'un, à ce qui a un impact sur son expérience. Le katarche, contrairement au moment natal tel qu'il est habituellement compris, ne nécessite pas de structure théorique pour le soutenir. Il n’a pas besoin d'une loi d'influences ou de signatures astrologiques "objectivement existantes", indépendante de la participation de l'astrologue. Étant donné que qu’il n'est pas tenu par les limites de la doctrine d'origine, où un commencement littéral est l’exigence "théorique" définitive, le katarche trouve à s’exprimer à travers un éventail de moments possibles pour lesquels un horoscope peut être jugé. Cette gamme considère naturellement les débuts comme possibilité prééminente. Cependant, le moment qui est retenu dans chaque cas particulier dépend entièrement de la circonstance et de l'astrologue. Il ne peut pas être prédéterminé par une règle fixe, à moins que l'astrologue lui-même n'ait fixé une telle "règle" dans le cadre du rituel de la pratique de l'astrologie.
Bien qu’aucun moment ne pourrait se suggérer lui-même, dans la pratique les moments "présentés significativement" et donc "associés spontanément" tombent généralement dans l'une ou l'autre de quelques catégories évidentes. Les exemples cités de Palchus dans la partie II en sont des illustrations.
Puisque les configurations célestes définissent le passage du temps, l'astrologie dans sa nature traite le temps comme son champ divinatoire. Dans le katarche, toute initiative ou événement qui est résolument marqué par un instant critique est associé au temps - et donc à la configuration céleste - de cet instant. Un moment n'est pas "théoriquement" plus important que tout autre - c’est le moment qui se présente dans les circonstances particulières qui compte. Quand Palchus juge le katarche au moment de la réception de lettres, ce n’est pas un moment secondaire qui reflète une origine un peu plus primale, comme le moment non connu où elles ont été écrites. Si ce moment avait été disponible, et non le moment de réception, alors il aurait sans aucun doute pu servir pour le katarche. Le fait même que ce moment antérieur n’est pas "présenté" le soustrait entièrement de la signification participative.

La question du statut et de la contribution du katarche dans l'horoscopie primitive est clarifiée lorsque la relation essentielle avec la divination antique est révélée. Les différences entre la rationalisation ptolémaïque et les pratiques du katarche sont beaucoup plus profondes que les questions de technique ou des différents domaines d'application. Le katarche incarne une certaine position, qui permet à l'astrologue la liberté - et l'incertitude - de la signification à laquelle il participe directement. La transmission de cette attitude antique dans une pratique horaire ultérieure est facile à reconnaître. Dans la partie II de cette étude, il a été indiqué que l'art moderne de l’astrologie horaire ne peut pas être correctement décrit sans inclure la participation de l’astrologue dans cette description. Nous revenons à la "signification participative" de la pensée antique, et probablement de la divination dans son ensemble.
Cela laisse irrésolue la question du développement de l'astrologie natale, qui depuis des temps très anciens semble s'être éloignée de l'"attitude katarchique". La prochaine partie de cette étude met l'accent sur ce crucial changement de direction du projet d'astrologie.

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Notes

  1. Le katarche chez Homère : Odyssée III. 445.
  2. Dictionnaires consultés : voir en particulier le "Greek-English" Lexicon, Liddell & Scott, en versions complète et abrégée (Oxford University Press), et pour le latin, Lewis & Short et Ainsworth.
  3. Latin pour katarche : je fais référence à Pingree (op. cit. note 19) p. XV, à A. Ludwich "Maximi et Ammonis carminum de actionum auspiciis reliquiae". "Actionum auspiciis" peut être traduit par "katarche".
  4. "Mesopotamian Divination" (Divination mésopotamienne) : essai de O. R. Gurney dans "Divination & Oracles" (Divination et oracles), éd. M. Loewe & C. Blacker (Allen & Unwin 1981). "Early liver reading" (Lecture du foie primitive), p. 148 ; "Solor sign" (Signe solaire), p. 161.
  5. "Roman Augury" (Augurie romaine) : citation de W. Warde Fowler "The roman Religious Experience of the Roman People" (L'expérience religieuse du peuple romain), Macmillan & Co. Londres (1911). Conférence XIII, p. 298.
  6. Hérodote : Livre IX, 61-2. J'ai utilisé la traduction vivante d'Aubrey de Sélincourt (Penguin Classics L34, p. 576).
  7. "Before Philosophy" (Avant la philosophie) par H. A. Frankfort et al. Publié chez Pelican A198 (1949). Publié à l’origine par University of Chicago Press sous le titre "The Intellectual Adventure of Ancient Man" (L’aventure intellectuelle de l’homme antique). Citation des p. 24-5 de l’édition Pelican. Surtout dans le premier chapitre de "Myth and Reality" (Mythe et réalité), cet ouvrage donne un vue remarquable et lucide de la logique de la pensée "mythopoéique" archaïque, de laquelle l'astrologie dérive en définitive.
  8. "Origins of Astrology" (Origines de l'astrologie), Jack Lindsay publ. Muller, Londres (1971), p. 18. Une compilation précieuse et complète de sources savantes.
  9. "5th Century Haruspicy" (Haruspice du 5e siècle) : Warde Fowler, op. cit. note 25. Conférence XIII, p. 309.
  10. Franz Cumont : "Astrology & Religion Among the Greeks and Romans" (Astrologie et religion chez les Grecs et les Romains) (1912), réédité par Dover, New York (1960). Conférence V, p. 87.
  11. Bouché-Leclercq, "L'astrologie Grecque" (Paris, 1899), réédition en 1963 (éditions"Culture et civilisation", Bruxelles). La citation provient du ch. XVI, p. 550. Merci à Denis Labouré pour son aide concernant ce matériel. Cette oeuvre est toujours une source irréfutable ; plus de 650 pages d’un érudit qui détestait son sujet.
  12. Nigidius Figulus sur la guerre civile - voir "Origins of Astrology" (Origines de l'astrologie), op. cit. Note 28, p. 220-1, citant Lucain.

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