ÉSOTÉRISME ET ASTROLOGIE 
DANS LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG

Fixer les dates des fêtes liturgiques telles que Pâques, l'Ascension ou la Pentecôte passe par l'observation des positions dans le ciel du Soleil, de la Lune et des planètes. C'est pourquoi les bâtisseurs de la cathédrale ont eu pour préoccupation de mesurer le temps qui passe. Il s'agissait aussi de rappeler aux fidèles les tâches qu'ils avaient à accomplir au fil des saisons et des signes. La cathédrale de Strasbourg, avec ses horloges et ses paraboles astrales, est exemplaire de cette volonté.

© Textes et photographies : Angèle Sinke, Didier Castille, Francis Perrin
 
En Alsace, le développement de l’architecture gothique a connu de multiples influences politiques, religieuses et économiques, ce qui en explique les vagues successives. Là où se trouve la cathédrale Notre Dame, au cœur du centre historique de la ville, entourée par la rivière Ill, trois édifices religieux se sont succédé, un premier austrasien, un second carolingien, et un troisième ottonien. Celui-ci, bâti à partir de 1015 après treize années de remblaiement du terrain sur des pieux de bois encore visibles aujourd'hui dans le sous-sol de crypte, fut la proie des flammes en 1176.

"La cathédrale de Strasbourg",
par ijliao, sur Flickr
L'évêque de Strasbourg de l'époque, Henri de Hasenbourg, décida alors la construction d'un nouvel édifice avec la forte ambition d'en faire un monument aux caractéristiques inégalées. Les travaux commencèrent en 1180 par le chœur et le transept nord en style roman, et prirent fin en 1439, aboutissant à une cathédrale représentative du style gothique, notamment sous l’influence de Chartres et de Reims au début du treizième siècle. Un siècle plus tard, le premier maître d'oeuvre connu du chantier, Erwin de Steinbach, démarra la façade gothique et la rosace, richement ornées, à la double influence française et germanique. Notre Dame de Strasbourg est remarquable, notamment, par sa couleur rouge, qu'elle doit au Grès des Vosges, et par son clocher unique qui culmine à 142 mètres. Elle est restée longtemps l'édifice le plus haut du monde, visible des Vosges comme de la Forêt Noire, loin devant, par exemple, la flèche de la cathédrale Notre Dame de Paris, qui atteint 96 mètres.
La cathédrale a été classée au Monuments historiques en 1862, et au patrimoine mondial de l’Unesco en 1988.

Dans la Genèse, il est dit : "Dieu dit qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit. Que ce soient des signes pour marquer les époques, les jours et les années. Qu’ils servent de luminaires dans l’étendue du ciel pour éclairer la terre. Et cela fut ainsi. Dieu fit les deux luminaires, le plus grand pour présider au jour et le plus petit pour présider à la nuit. Il fit aussi les étoiles." On ne s'étonnera donc pas de trouver une horloge dans les lieux de culte chrétiens, et celle de Strasbourg est exceptionnelle.

De la première horloge, construite au milieu du quatorzième siècle, il ne subsiste qu'un coq exposé désormais au musée des arts décoratifs de Strasbourg. On l'appelait l'horloge des Trois-Rois en raison des Rois Mages automates qui s’inclinaient devant la Vierge et l’enfant au coup de chaque heure.
Celle que l'on peut admirer aujourd'hui, chef d’œuvre de la renaissance, a été conçue un siècle plus tard par les frères horlogers Habrecht, à qui l'on doit également l'horloge d'Heilbronn, sous la direction des mathématiciens Herlin et Dasypodius. Les peintures sont l’œuvre de Tobias Stimmer. Après une longue panne de cinquante ans, l'horloge a été transformée et améliorée par Jean-Baptiste Schwilgué.


L'horloge de la cathédrale, par andrew smith,sur Flickr

Ses fonctionnalités sont innombrables : 
  • horloge, elle précise le jour et l’heure, le temps Sidéral, le temps Vrai, le temps Moyen et le temps local Vrai, l’heure du lever et l’heure du coucher du soleil.
  • astrolabe, elle indique le déplacement apparent du Soleil, des planètes, de la Lune et de ses phases. 
  • calendrier perpétuel et comput ecclésiastique, elle indique les fêtes mobiles et prévoie les éclipses.
  • motif d'inspiration spirituelle avec ses automates et ses symboles, elle suscite la réflexion sur le temps qui passe et sur la vie, le cycle des saisons, du parcours de l'enfance à la vieillesse, des divinités planétaires qui rythment la semaine, des âges de la vie, etc. Une riche iconographie illustre le temps sous ses aspects cosmologique, historique ou théologique. 
Les automates s'activent tous les jours à 12 heures 30 et attirent chaque jour de nombreux visiteurs.
 
© De Sphæris – association Météores
 
Le globe céleste et l'étoile polaire, le globe terrestre centré sur le pôle nord, l'horizon marqué par les lignes de lever et de coucher du Soleil, la Lune à droite, vêtue de sa robe noire constellée.
 
© De Sphæris – association Météores
 
Représentation du jour et du Soleil, rayons lumineux autour de la tête, Apollon revêtu d'or, le métal de la lumière. Il est représenté avec arc et flèches, autres rayons, l'une d'elles pointant le saint du jour, Rémi, au premier octobre.
 
© De Sphæris – association Météores
 
Cet angelot symbolise l'horloge à lui seul, tenant entre ses mains le sablier du temps qui passe. Dans son dos, les signes du Capricorne et du Verseau, dont la maîtrise revient à Saturne, la divinité du temps.
 
© De Sphæris – association Météores
Saturne, muni de sa faux et dévorant un enfant, tiré par un dragon, indique le samedi.
Il est suivi d’Apollon, le Soleil, divinité du dimanche
 
À l'extérieur de la cathédrale, du côté Sud, le portail le plus ancien, de conception romane, est décoré de plusieurs statues. Au dessus d'elles, une autre horloge indique les jours de la semaine en désignant le symboles des sept divinités des jours.

Le portail sud de la cathédrale, de style roman

© De Sphæris – association Météores
Une horloge qui indique le jour : le doigt pointe "Lundi",
le jour de la Lune, indiquée par la base de l'aiguille.
 
Le décor de la façade, tout en dentelles et statues de grès rouge des Vosges, est d'une finesse précieuse et remarquable. Les statues du portail sud attirent notre regard...

© De Sphæris – association Météores
Le portail sud et la parabole des vierges sages et des vierges folles.
 
Ces douze personnages illustrent la Parabole des dix vierges qui apparaît dans l’évangile selon Matthieu. Dix vierges, munies d’une lampe à huile, vont à la rencontre de l’époux ; cinq d’entre elles prennent de l’huile avec elles, les autres non. La nuit venue, les vierges sages, qui ont la lumière, sont accueillies dans la salle des noces, contrairement aux cinq vierges folles qui partent à la recherche d’huile.

On voit donc à droite, à côté du mari idéal , homme modeste et simple, trois vierges sages puis deux autres un peu plus loin, dignes et graves, tenant à la main une lampe orientées vers le haut. À gauche, les vierges folles, groupées elles aussi par trois et deux, ondulantes et hagardes, tenant à la main leurs lampes vides, sont séparées par le tentateur, couronné, montrant une pomme.

Aux pieds de chacun de ces personnages, un cube sculpté représente un signe du zodiaque et une scène des travaux qui lui correspondent.
 
© De Sphæris – association Météores
L'époux idéal et les cinq vierges sages
 
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De gauche à droite, sous les pieds de l'époux, les Gémeaux, puis le Cancer (Écrevisse), le Lion et la Vierge
 
© De Sphæris – association Météores
Le Lion et la Vierge
 
© De Sphæris – association Météores
Le tentateur et trois vierges folles
 
© De Sphæris – association Météores
De gauche à droite, sous les pieds du Tentateur, le Verseau puis les Poissons
 
© De Sphæris – association Météores
Le Bélier et son buisson, suivi du Taureau, le temps des jardins en fleurs
 
© De Sphæris – association Météores
La scène du repas correspond au Verseau, celle du personnage qui sèche ses chausses
et réchauffent ses pieds devant l'âtre correspond aux Poissons
 
Selon certains chercheurs, le calendrier zodiacal qui sert de support aux Vierges serait à l'image de la grande année platonicienne, celle qui s'étale au rythme solaire sur 25 920 ans, soient douze mois cosmiques de 2 160 ans terrestres chacun, les douze ères zodiacales. Mais les conjectures sont nombreuses. Par exemple, l'ordre des signes n'est pas habituel et on se demande pourquoi la Balance et le Scorpion sont inversés. De même, le séquencement des signes pose question : pourquoi la série commence-t-elle à gauche par le Sagittaire, signe mutable, alors qu'en général elle commence par un signe cardinal (Bélier, Cancer, Balance ou Capricorne) ; on pourrait évoquer pour cela la précession des équinoxes ou le décalage dû au passage du calendrier Julien au calendrier Grégorien mais cette option est contredite par les scènes qui correspondent aux signes et qui, elles, ne sont pas décalées (le Capricorne lié à la saignée du cochon, le Bélier lié au dessouchage, etc.).  Et enfin, on se demande pourquoi les époux sont installés sur deux signes d'air (Gémeaux et Verseau) qui, traditionnellement, ne symbolisent ni l'engagement amoureux ni la passion diabolique.
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Pour en savoir plus

"La Cathédrale de Strasbourg et l’Astrologie", Ferdinand David - Éditions du Rocher
"La Cathédrale de Strasbourg", Michel Zehnacker -  Éditions Robert Laffont