LES "ASTROLOGICA NONULLA" DE GALILÉE, par Grazia MIRTI

Il est fort probable que Galilée a appris les secrets de l’art astrologique à l’université. En fait, à l’époque où il était étudiant, le titulaire de la chaire d’Astrologie avait pour habitude de rédiger le thème natal de chacun de ses étudiants ; en plus, il avait l’obligation de publier chaque année un almanach prévisionnel. Bien qu’il n’y ait aucune preuve de la formation astrologique de Galilée, plusieurs volumes d’astrologie appartenant à sa bibliothèque apparaissent à nos yeux avec des commentaires directs de sa propre main. Nous possédons en outre des preuves incontestables de son activité d'astrologue.


Extraits de l'article paru en français dans "l'astrologue" n°103 
Traduction de Danielle Flamant Paparatti

Galilée : l'homme, le savant, le philosophe
    
Homme de science génial, mathématicien innovateur, chercheur "moderne", provocateur de la culture officielle "congelée" par les aristotéliciens, astronome, versé dans l'art de l'astrologie, Galilée vécut une existence inquiète, difficile et tourmentée. Souvent pressé de payer par famille et prêteurs, obligé de louvoyer entre les banales nécessités de la vie et l'envol de l'esprit, il fut persécuté par les inquisiteurs du Saint Office, lesquels, le 24 février 1616, lui intimèrent de ne pas persister dans l'hérésie copernicienne. Fameux est son acte d'obéissance remis entre les mains du jésuite et cardinal Bellarmino, surnommé "le marteau des hérétiques". Sur la vie et sur l'œuvre de Galilée, des milliers de volumes ont été écrits (on en dénombre plus de cinq mille), sans toutefois que soit épuisée la fascination que le personnage exerce toujours sur les historiens. Notre lecture est insolite, elle scrute l'aspect astrologique de son œuvre.
    
Jeune, Galilée laisse Pise, sa ville natale, pour Florence où a été vivre sa famille ; étudiant en médecine, il aime les mathématiques, mais s'aperçoit très vite que ses intérêts convergent tous sur les problèmes du mouvement. De l'oscillation de la lanterne sur le dôme de Pise, jusqu'à la lecture du Cosmos dans le Dialogue, un tel pôle d'intérêt émerge dans ses études. Son itinéraire de chercheur n'aura pas de fin.
  
Page autographe de Galilée provenant des « Astrologica Nonnulla ».
 À remarquer la division en maisons avec la vérification
des aspects les plus significatifs pour chacune d'elles.

La bibliothèque de Galilée

Antonio Favaro, le plus précis et attentif des biographes de Galilée, a attentivement analysé la bibliothèque du savant dont hérita son fils Vincenzio, lequel suivit de peu le père dans la tombe (sept ans après). Les enfants de Vincenzio, petits-enfants de Galilée, n'augmentèrent pas la bibliothèque d'origine qui fut incorporée dans sa presque totalité à celle de Vincenzo Viviani, en particulier les œuvres annotées de la main même de Galilée. Les volumes ont été regroupés en trois grandes catégories: Sciences, Lettres, Arts. L'examen de ces œuvres nous permet d'observer les sources bibliographiques que possédait Galilée dans le domaine astrologique. À dire la vérité, il n'afficha son érudition que durant sa jeunesse, préférant, plus tard, s'exprimer en italien, et éviter les références littéraires spécifiques. Les secteurs qui peuvent nous intéresser sont le n° 5 (Astronomie et Gnomonique), et le n° 6 (Astrologie et Philosophie occulte).
   
La Sphère du Bois Sacré faisait partie des best-sellers d'alors, dans diverses éditions commentées. En outre, il y avait les "Tables Alphonsines", éphémérides que le roi espagnol Alphonse X avait fait rédiger un siècle environ auparavant, et qui étaient répandues dans toute l'Europe. La bibliothèque de Galilée contenait aussi les œuvres de Kepler, Tycho-Brahe, Robert Fludd, le célèbre ésotériste anglais, munies de leurs relatives critiques. Deux œuvres intéressantes d'Alexandre Piccolomini se rapportaient à la Sphère du Monde et à Des Etoiles Fixes. Ce dernier ouvrage contenait toutes les figures célestes en détail, ainsi que les symboles et mythes inhérents à ces configurations. Il y avait en outre l'Almageste de Ptolémée, un exemplaire des Ephémérides du temps, de 1563 à 1580, publiées à Venise. Présentes également étaient les Tables rodolphines, éphémérides rédigées grâce aux observations de Tycho-Brahe, très précises.
    
D'autres éphémérides étaient l'œuvre de Magini et comprenaient la période 1598-1610, avec ajournements successifs. D'autres encore provenaient de Bologne, auxquelles il faudrait ajouter un volume de Regiomontanus, célèbre pour ses Tables des maisons. Comme on peut le constater, les instruments de rédaction des horoscopes ne manquaient certainement pas et Galilée était, en outre, parfaitement capable de vérifier directement la position des planètes en un quelconque moment du jour ou de la nuit. Sa bibliothèque ne manque pas d'ouvrages significatifs inhérents à l'astrolabe et à son fonctionnement. Dans la section spécifique d'Astrologie et Philosophie occulte, règnent des classiques comme Tommaso Campanella, Luca Gaurico, Antonio Magini, Filippo Melantone, Ptolémée avec son Tétrabible, commenté de la main même de Galilée. À ajouter à cela, des almanachs avec des prédictions, des œuvres d'astrologie variées, et des manuels techniques d'astrologie, ayant rapport à la Domification. La bibliothèque que nous venons d'analyser ne représente qu'une partie limitée de l'entière série de volumes, s'adressant à toutes les disciplines connues de son temps, sujet d'étude du Quadrivium universitaire, venant derrière le Trivium. Celui-ci couvrait la Grammaire, la Rhétorique et la Dialectique.
    
Le Quadrivium comprenait l'Arithmétique, la Géométrie, la Musique et l'Astrologie. Cette dernière; avec le temps, se mua en Astronomie, à la suite justement des découvertes d'hommes de sciences comme Galilée, Kepler, Tycho-Brahe, et plus tard Newton.
   
Imaginer Galilée astrologue au travail est maintenant plus facile! 

La tombe de Galilée à Santa Croce, Florence,
par 
Richard Carter, sur FlickR  

Galilée astrologue

Il est fort probable que Galilée a appris les secrets de l’art astrologique à l’université. En fait, à l’époque où il était étudiant, le titulaire de la chaire d’Astrologie avait pour habitude de rédiger le thème natal de chacun de ses étudiants ; en plus, il avait l’obligation de publier chaque année un almanach prévisionnel.
   
Bien qu’il n’y ait aucune preuve de la formation astrologique de Galilée, plusieurs volumes d’astrologie appartenant à sa bibliothèque apparaissent à nos yeux avec des commentaires directs de sa propre main.
   
Nous possédons en outre des preuves incontestables de son activité d'astrologue. Avant tout, il nous faut citer les Livres Comptables méticuleusement rédigés de la main de Galilée, sur lesquels il avait pris l'habitude de reporter toutes ses ressources financières pour chaque année. Il était plutôt méticuleux. Pour l'année 1608, nous lisons:
  • Au jour un de janvier, de la part de l'illustre sieur Sweitnitz per sortem L. 116.12.
  • Au jour 28 de février, de la part du sieur Jean Sweinitz, pour les leçons de la Sphère .. L. 70
  • et de la part de son frère, per sortem... L. 60
Au cours de la même année, la même formule se représente le 2 mars, pour la même somme, cette fois-ci étant débiteur le sieur Lerbac. Le 22 octobre, nous avons une entrée de L. 120 per sortes, relative cette fois-ci aux sieurs Christophe et Marc Stattner.
On peut déduire de tout cela que Galilée, même s'il l'a fait de façon sporadique, a dressé, quand il en avait l'occasion, des horoscopes payants. Il s'agit là d'une preuve non équivoque, non seulement de sa connaissance de l'art royal, mais aussi du fait qu'il la pratiqua surtout dans les périodes où sa situation économique était précaire.

Thème de Côme II de Médicis
exécuté par Galilée
Malheureusement, ces horoscopes n'ont pas été conservés. La preuve la plus significative est constituée par une section spéciale des manuscrits galiléens conservés à la Bibliothèque nationale de Florence. Ceux-ci ont été recueillis par Galilée, et intitulés par lui-même Les petits riens astrologiques. Ils comprennent quelques graphiques, des interprétations, des listes de positions des planètes, des évaluations préliminaires (avant que de commencer une analyse astrologique). Il s'agit d'une série de notes relatives à une vingtaine de thèmes natals. Le titre même Les petits riens astrologiques indique avec évidence que Galilée y attribuait peu d'importance; mais constitue une preuve indéniable de son travail dans ce domaine. D'autres preuves ressortent de l'habileté avec laquelle Galilée a rédigé les horoscopes de ses deux filles et celui, plus célèbre, du Grand Duc de Toscane. Nous sommes surpris par l'extrême attention avec laquelle il menait ses analyses, et par les notions techniques assez recherchées dont il se servait, comme par exemple les Termes, les Directions, la Rectification de l'heure de naissance. Quand il s'agissait de personnes qui lui étaient particulièrement chères, Galilée demandait leur aide à des professionnels du métier afin que d'établir une confrontation sur l'analyse des thèmes. Outre cela, il conservait dans sa correspondance privée les horoscopes qui lui avaient été faits par d'autres, y compris celui rédigé par le Père Morandi, très utile pour la démonstration de l'heure exacte de la naissance de Galilée.
De nombreuses preuves de l'intérêt de Galilée dans le domaine de l'astrologie, proviennent justement de cette correspondance avec des experts en la matière et avec des personnages illustres qui recouraient à son aide sur ce terrain astrologique (par exemple la duchesse Christine de Lorraine).
   
Les horoscopes des filles de Galilée
   
Thème astrologique natal de Virginia,
exécuté par Galilée et en partie interprété
(« Des moribus Virinae ») 
Galilée a eu trois enfants : Virginia, Livia, Vincenzio. La mère de tous ces enfants était Marina Gamba, une Vénitienne que toutefois, il n'épousa pas. Plusieurs années plus tard, Galilée demanda la légitimation du garçon. Les enfants naquirent tous les trois au mois d'août, en 1600, 1601, 1606. Pour les deux filles, une tentative d'interprétation du thème astral a été esquissée, tentative que nous retrouvons dans la documentation intitulée les Petits riens astrologiques. La langue employée est le latin. Pour chacune des filles, le père analyse "de moribus", c'est-à-dire les habitudes, le style de vie, et "de ingenio" (intelligence et attitudes). Selon Galilée, Virginia serait née le 12 août 1600, à 22 h, heure qui correspond selon la lecture moderne à 10 h du jour suivant. La date de naissance de Livia, toujours selon Galilée, correspondrait au 17 août 1601 à 18 h, soit 6 h le 18 août. Il est indispensable de tenir compte du calcul particulier des heures, différent du nôtre.
Dans ce cas-ci, la vérification nous est donnée par l'exécution des thèmes, lesquels nous apparaissent, autant pour Virginia que pour Livia, à peu près identiques à ceux de Galilée, identiques également dans la façon de domifier, avec quelques petites variations dans la position des planètes dues à la consultation d'éphémérides similaires mais non exactement semblables.
L’interprétation astrologique de Galilée n’est pas des plus heureuses… Il nous dépeint Virginia sous les traits d’un être solitaire, taciturne, modéré, attaché à ses intérêts, jaloux, pas toujours fidèle à ses promesses… Bien que d’une intelligence talentueuse, et doué de grâce et de piété. D’un autre côté, il juge Livia ornée de grâce et d'amabilité, la partie sensitive de son être soumise en tous points à celle rationnelle.

Autres horoscopes tirés des "Petits riens astrologiques"

La maison de Galilée,
Costa di San Giorgio, Florence
par Miles Berry sur FlickR
Le premier tome de la sixième partie des Manuscrits Galiléens qui se trouvent à la Bibliothèque nationale de Florence, contient environ cinquante pages de documents autographes de Galilée. Le titre, il l’a inséré lui-même "Astrologica Nonulla" : les petits riens astrologiques.
Nous trouvons une copie allégée du Tétrabible de Ptolémée, édition de 1559 avec, en marge, des commentaires que certains tiennent pour des notes de la main même de Galilée. Au sein de ces souvenirs autographes, on trouve plusieurs fois des analyses astrologiques exécutés par Galilée et ses étudiants de Padoue. Le premier thème se réfère à Cesare Galetti, né le 14 décembre 1601 à 22h Il y a deux graphiques, les calculs relatifs, le pronostic. Suivent de nombreux horoscopes privés, du nom de la personne examinée.
Très peu de noms sont indiqués. Parmi ceux-ci, on peut cependant citer Cristoforus Settner, né le 5 octobre 1578 à 16 h 30, avec figure, calculs mathématiques et pronostic. Galilée se penche aussi sur le sort d'un de ses neveux, fils de Taddeo Galletti et de Livia Galilei. Un autre parmi ceux qui ont droit à une analyse est Alessandro Montalban.
Au milieu de ces pages bourrées de nombres, d'éphémérides, de calculs, d'interpolations, de schémas natals évidemment dépourvus de graphiques pré-imprimés, et rédigés à main levée, il n'est certes pas facile de s'y retrouver. La page qui suit le graphique est souvent subdivisée en de nombreuses colonnes, en chacune desquelles Galilée analyse la signification de la place particulière des planètes : chose tout à fait visible dans le thème de l'aînée des filles, Virginia. Les calculs sont complexes, et très précis. Les interprétations sont souvent assez concises, brèves ou même absentes. Il est à penser que Galilée ne se consacrait que rarement à la rédaction de thèmes natals ou d'horoscopes, ce qui le faisait hésiter sur les interprétations à en donner. À noter la matrice essentiellement mathématique de sa formation mentale. Comme il en est pour de nombreux astrologues, la partie calcul dépasse et de beaucoup la partie interprétative. Galilée laisse beaucoup de champ à la classification de la position des planètes dans les maisons, à l'analyse de leur dignité, à la présence d'éventuelles étoiles fixes dans des endroits stratégiques du thème. Le zodiaque dans sa totalité est sectionné avec un soin analytique. Nous ne savons pas quelles conséquences pratiques en dérivaient. Un certain nombre de graphiques sont rédigés sous une forme circulaire, même si les maisons continuent à être indiquées de la manière traditionnelle.

La figure de Galilée en tant qu'infortuné astrologue
  
Il y a un épisode qu'il est opportun de rappeler ici, même s'il n'éclaire pas d'un jour particulièrement favorable l'habileté astrologique de Galilée.
L'un des dessins de la Lune qu'a réalisés Galilée
par Shad Bolling sur FlickR
Lors de la dernière maladie du Grand-duc Ferdinand 1er, la Grande-duchesse Christine de Lorraine écrit à Galilée une lettre où elle le prie de mener pour elle une recherche à partir du jour de naissance de son époux, afin de déterminer l'année "climatèrique", c'est-à-dire l'année critique, ou année de la mort, comme avaient l'habitude de le faire les anciens astrologues. Un exemple à propos nous est donné par l'horoscope de Francesco Guicciardini, rédigé par un astrologue inconnu, dans lequel l’année de la mort fut prévue avec exactitude (l'horoscope a été publié à la fin des années 1980 par la maison d'édition Olschki à Florence). La réponse de Galilée à la Grande-duchesse est conservée et a été publiée plusieurs fois. Galilée affronte le problème avec un grand sérieux, affirme avoir, muni des Tables pruténiques, passé beaucoup de temps à aire les calculs, prétend avoir, à travers les calculs de Tycho-Brahe, corrigé le mouvement du soleil et, finalement, dit avoir vérifié deux hypothèses différentes dans le but de trouver la date la plus acceptable. Sa conclusion et son pronostic sont des plus favorables : le Grand-duc guérira au plus tôt. Hélas, Ferdinand rendit son âme à Dieu vingt-deux jours seulement après la prédiction du savant, infligeant un sensationnel démenti sinon aux calculs de Galilée, du moins à ses conclusions interprétatives.

Dans la liste des lettres autographes de Galilée, celles-ci furent classées avec précision, et à la table des matières, chaque lettre correspond à son contenu. Le commentateur éprouva un tel dépit quant au fait que le contenu de la lettre à la Grande-duchesse fût astrologique, qu'il écrivit "il parle... ça suffit, mieux vaut qu'il ne le dise pas !"

Le Cardinal Alessandro d'Este s'adressa à Galilée avec une parfaite confiance et le pria de dresser son thème natal dont il fournissait les données précises. En échange, et du moment que Galilée répondrait à son exigence, il lui promettait de lui donner tout ce qui aurait pu lui faire plaisir. Cette lettre fut publiée pour la première fois en 1872. Un autre "client" assidu de Galilée fut représenté en la personne du patricien vénitien Giovan Francesco Sagredo, très connu pour l'amitié et le soutien qu'il portait à Galilée. Dans une lettre conservée aux Archives Campori de Modène, il écrit à Galilée et lui demande sur un ton qui laisse à penser qu'il avait l'habitude de le faire souvent, de rédiger une analyse astrologique pour une personne dont il inclut les coordonnées précises aux fins d'une correcte rédaction des calculs.

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