LE MOMENT D’ASTROLOGIE : LA DIVINATION ET LA FRACTURE SUJET-OBJET, par Geoffrey CORNELIUS

Notre attention se porte désormais sur la pratique moderne de l'horoscopie, décrite sous l’angle de la divination. Avant que ce projet ne puisse se poursuivre, la divination elle-même sera mise en lumière, considérée séparément de la question de l'astrologie. Cette partie concerne le problème philosophique des prémisses sur lesquelles toute description de la divination doit être fondée. La partie suivante élaborera ensuite une description du "moment de divination".


Une série d'articles consacrés à la pensée de Geoffrey Cornelius



La perspective divinatoire en Astrologie selon Geoffrey Cornelius, par Kirk Little

L’article d’Oslo  : astrologie et divination, par Geoffrey Cornelius

Le moment d'astrologie :

    Partie 1 : Rétablir l’attitude divinatoire

    Partie 2 : La question soulevée par l’Astrologie Horaire

    Partie 3 : Katarche

    Partie 4 : Le coup d’état métaphysique de l'astrologie natale
  
    Partie 5 : La divination et la fracture sujet/objet

    Partie 6 : L’homme qui a l’œil ouvert

L’astrologie est une divination ? Quelle importance… par Geoffrey Cornelius

La pertinence de la discussion précédente (parties précédentes) devrait maintenant être claire. Quelque chose a été oublié dans l’élaboration de l’omniprésente tradition ptolémaïque. La possibilité même de parler de l'astrologie comme d’une divination est devenue obscure. Afin de découvrir la nature profondément enracinée du problème, il a été nécessaire de relever des contradictions inhérentes à l’amalgame d'horoscopie grecque, arabe et européenne que nous avons reçu. L'astrologie horaire, comme son précurseur katarchique, place un point d'interrogation envers l'autorité primordiale de la "doctrine d'origine" - le traitement ptolémaïque du moment d'astrologie comme moment d'origine, causal ou temporel, de l'entité qui est examinée. Une telle question a des implications de grande portée pour notre compréhension, notre description et notre pratique de l'astrologie.
Cependant, cela ne doit pas être considéré comme un appel à abandonner les fondations classiques au profit d'une nouvelle approche. Du point de vue de la pratique, il est infructueux de démontrer que la théorie de Ptolémée est "erronée". Un tel exercice manquerait l'essentiel, puisque le modèle ptolémaïque est un véhicule durable. En son sein, une grammaire complète du symbolisme et des principales formes de pratique efficaces sont durables ; sans elle, la tradition est en péril de désintégration.

"Le Tétrabible a été appelé "l'abandon de la science", mais n’est-ce pas plutôt la divination purifiée et faite scientifique ?" Lynn Thorndike (1)

La tradition classique a réussi à transformer l'expérience divinatoire archaïque en une explication de l'astrologie natale compatible avec la vision du monde aristotélicienne prédominante du Moyen Âge. Si la traduction conceptuelle de Ptolémée n'avait pas été effectuée, l'horoscopie aurait pu mourir à l'enfance. Mais plus que cela, le projet ptolémaïque a créé un médium pour l'astrologie judiciaire à partir de la science et de la philosophie médiévales : la science comme médium pour la divination. Pour l'astrologue, l'importance du Tétrabible ne réside pas dans la question de savoir si son explication des phénomènes est, d'un point de vue scientifique, "vraie" ou "fausse". Le mérite de l'opus de Ptolémée réside dans sa capacité à maintenir et à articuler la divination.
Pour illustrer cette discussion, je vais répéter une observation faite précédemment :

"Je doute que Ptolémée ait commencé par des spéculations sur les influences et les graines, pour ensuite travailler à formuler une pratique de l'horoscopie... Il est plus probable... que, comme la plupart des astrologues, il a rencontré pour la première fois le symbolisme astrologique et en est venu à "croire" à l’horoscopie natale. Alors seulement aurait pu commencer le processus intellectuel de rationalisation et de justification en termes des principes d’analyse métaphysique qui ont pris l’ascendant à son époque." 
(partie I).

L’astrologie commence dans l'expérience du symbolisme : l'explication suit cette expérience. Il ne s'agit pas de nier l'interaction de la théorie et de l'expérience - Ptolémée montre en particulier une claire indication de théorie limitant ou dictant l'expérience. Son modèle théorique reflète les paramètres de l'équation entre la perception divinatoire et la reconstruction rationnelle obtenue dans sa propre pensée : la forme du vaisseau dans lequel à la fois il porte et contraint l'attitude symbolique. Cependant, la foi dans les symboles et les démonstrations de l'astrologie est la condition préalable : la divination, puis la science.
L'observation de Lynn Thorndike sur le rôle du Tétrabible souligne un curieux syndrome quant à la description de l'astrologie. Les sceptiques intelligents qui se tiennent à l'extérieur semblent avoir peu de difficulté à reconnaître la pratique astrologique comme une divination. De nombreux astrologues, en revanche, évitent la comparaison. Pourquoi les astrologues ont-ils généralement suivi Ptolémée et localisé leur travail dans le domaine de la science plutôt que dans le domaine de la divination ? Il sera suggéré plus loin dans cette étude qu'un déguisement inhérent à la structure de l'astrologie tend à masquer sa nature divinatoire précisément lorsque son expérience devient puissante. Cependant, il n'est pas approprié de dire que les astrologues ont mal compris leur sujet. Au contraire, la divination elle-même est un vagabond obscur et sans abri, sans situation aisément définissable dans les catégories de la connaissance. Pour comprendre l'obscuration de la question de la divination, il est nécessaire de combler une question philosophique pérenne, la vieille séparation entre le "sujet" et l'"objet", les domaines internes et externes de la réalité.

La divination et la séparation sujet-objet

C'est une habitude de pensée non réfléchie que de tenir pour acquis un monde pouvant être décrit sans référence particulière à l'acte et au contexte de la perception, où la nature des choses et les lois qui sous-tendent les phénomènes sont traitées comme ayant un fondement d'existence neutre, indépendamment de toute conscience posant ce terrain en principe. Nous en venons même à nous voir objectivement comme des "choses humaines", nous bousculant avec toutes les autres choses dans cette existence neutre. Alors, en parlant de vie et d'expérience, nous adoptons de manière imaginative une position en quelque sorte extérieure, en regardant "notre" vie, "notre" expérience, au lieu d'ÊTRE cette vie, cette expérience.

Cette objectivation artistique est à la fois une bénédiction et un piège de la pensée. Le chemin de l'imagination scientifique, avec tous ses merveilleux talents, dépend de l'exercice de cette faculté ; à travers cela l’homme a effectivement maîtrisé les choses en tant que choses. D'autre part, il est douteux que quelque chose d’important pour l’homme puisse être connu de cette manière : "la science manipule les choses et renonce à les habiter" (M. Merleau-Ponty (2)).

Enracinée et en grande partie incontestée, l'habitude culturelle de valoriser l'"objectif" a eu tendance à la dégradation des compréhensions considérées comme "simplement subjectives". Cette affliction sape non seulement l'art et la divination : même la philosophie, autrefois la mission suprême de la pensée, a été reléguée à un statut secondaire par rapport à l’"œuvre véritable" des sciences naturelles. La culture occidentale s’est réalisée selon une attitude grecque et chrétienne première qui a divisé les domaine de l'esprit et de la matière, mais elle a renversé l'inspiration philosophique et religieuse originale en apprenant à chercher le fondement de la vérité dans le monde des " faits"  matériels. La description de la réalité s'est transformée en domaines subjectifs et subjectifs nettement séparés. La pensée moderne a émergé par des langages dont la syntaxe même incarne une démarcation sujet-objet précise. De plus, au sein de la science, une méthode claire apparaît comme ayant été atteinte dans le but d’éliminer les éléments subjectifs de l’exacte définition du vrai universel et objectif, les lois de la Nature. Puisque notre penchant naturel est d'assimiler le "réel" avec le monde des objets et des choses, le monde des faits, l'arbitrage du réel en est remis au domaine objectif. Le contenu du monde subjectif "dans nos têtes", la totalité des idées et des intuitions, théories et imaginations, qu'elle soit collective ou individuelle, n'a de la valeur de réalité que dans la mesure où elle nous permet de percevoir correctement le monde objectif. Le réellement réel est en dehors de nos têtes, les choses réellement réelles sont en dehors de nos pensées sur ces choses. À l’extrême, cette tendance réduit la conscience et la vie elle-même à un statut "épiphénoménal", une concomitance secondaire de processus qui peut être complètement établie au niveau matériel.
La "science instructionnelle" (3) établit la réalité matérielle et se pose en exemple des moyens objectifs pour cribler et trier les faits réels sur le monde. Un ensemble d'instructions explicites, capables de répétition théoriquement infinie, et écartées autant que possible des aléas de l'interprétation subjective, peut être donné pour obtenir des résultats fiables. Ajoutez x à y et le résultat sera invariablement z. Le monde est compris dans la mesure où il peut être instrumentalisé par des lois universelles de cette sorte. Naturellement, il est reconnu qu'il y a relativement peu de domaines de connaissances utiles où les faits peuvent être obtenus selon ce strict modèle de laboratoire scientifique. Mais la clé de la puissante prégnance de cette approche dans notre imagination réside dans la conviction que "en théorie" ou "en principe", les faits réellement réels concernant les choses devraient être aptes à une telle démonstration. Même certaines des humanités, comme la psychologie et la sociologie, se sont montrées enclines à céder à cette croyance, et ont placé une confiance excessive dans les méthodes quantitatives et statistiques qui, on le suppose, transportent la rigueur et la valeur de réalité de la science dure.
Les remarques qui précèdent donnent un aperçu de l'objectivité dans la pensée moderne. Ils ne rendent pas justice à la subtilité de la science mature, aux incursions menées dans le bastion de l'objectivité par la théorie de la relativité, et la compréhension logique qu'une description finale de la réalité est en principe inatteignable. Cependant, de telles subtilités commencent à peine à toucher le poids mort de la science moyenne et du bon sens collectif, qui retombent typiquement sur la position brute.
L'attitude habituelle tellement enracinée d’une séparation entre le sujet et l'objet, la pensée et le fait, n'est effectivement remise en question que par la compréhension philosophique ou la discipline spirituelle. Le travail astrologique commun remue la boue de ce dilemme, mais ne garantit pas en soi l'illumination requise. Le résultat fréquent est que, dès que la pratique astrologique démontre au praticien qu'elle est réelle, les phénomènes sont renvoyés au clivage et sont considérés comme objectifs, au lieu d'être "simplement" subjectifs.
Lorsque la séparation sujet-objet est acceptée sans conteste, et que la valeur de réalité est finalement située dans la moitié objective, alors la divination perd du terrain. Au mieux, elle devient l’éventualité d'un "moyen paranormal d'obtenir des faits ou de prédire des événements". Sa nature paranormale est perçue par le fait qu'aucune explication de son fonctionnement n'est susceptible d'être trouvée dans le modèle conventionnel de la réalité. Ce que montre la divination, ce sur quoi elle fonde son interprétation, surgit "par hasard" et non par un processus naturel ou une loi traçable et objective qui pourrait relier la méthode divinatoire aux "faits" qu'elle cherche à discerner. Sa subjectivité est perçue comme reposant sur sa qualité arbitraire et non réplicable, car sa performance fructueuse semble dépendre de la circonstance du hasard induite par les compétences imaginatives du divinateur. Contrastant nettement avec la procédure de la science conventionnelle, quelles que soient les instructions qui peuvent être données pour la réalisation de la divination, ces instructions n' offrent pas en elles-mêmes la garantie des résultats. Elles ne sont même pas des approximations d’instructions scientifiques, car elles ont la nature des expressions rituelles. Les préceptes généraux de l'interprétation établis dans les systèmes divinatoires tels que le Yi Ching ne peuvent pas non plus être correctement comparés aux lois universelles recherchées en science, car la signification de chaque divination réside précisément dans la circonstance unique dans laquelle le cas se pose. La circonstance unique est constituée par les acteurs particuliers de l’affaire, y compris le devin. Comprise de cette façon, la divination fait référence à une dimension de subjectivité dans la mesure où sa signification dépend de ce qu'elle veut dire pour les participants. Les généralisations de la situation sont donc inutiles, car d'autres circonstances et d'autres participants nécessiteront des divinations totalement différentes. C'est ce manque de généralisation des cas particuliers en lois universelles qui, surtout, démarquent le domaine de la divination de celui de la science. La distinction a déjà été faite (partie III) entre la signification participative caractéristique de la pensée archaïque ou "mythopoéique" et la signification théorique de la pensée moderne. J'ajouterai que, loin d'être un vestige historique ou une curiosité anthropologique, la pensée mythopoéique est un mode primaire de l’Être humain. Il est bel et bien vivant dans la pratique divinatoire moderne.
Dans la discipline scientifique, les stratégies imaginatives et interprétatives sont suspectes à moins qu'elles n'aient une relation démontrable avec les faits et processus objectifs décrits par cette discipline. Une compréhension nourrie de signification participative doit théoriquement être retravaillée pour la purger de la tache de la subjectivité. Quels que soient les résultats étonnants qu'ils peuvent donner de temps à autre, les systèmes de symboles trouvés dans la divination sont nécessairement dévalorisés ou, quand ils sont utilisés, sont subvertis par la science instructionnelle. La métaphore peut aider, mais ne suffit pas. Les mathématiques modernes sont entraînées par effet d’entonnoir à partir d’un rêve sauvage de Descartes, une vision de l'unité de toutes les sciences qu'il voit le 10 novembre 1619 ; la chimie fait un bond en avant lorsque Kekulé brise le secret de l'anneau de benzène après avoir rêvé d’un serpent qui mange sa queue. Cependant, le scientifique considérera que la réalité adhère au benzène, pas au serpent. Aussi utiles à l'imagination scientifique que puissent être de tels exercices, aussi conducteurs soient-ils dans la "pensée latérale", les rêves et les serpents, le Ciel, la Terre, le vent et la montagne, le Fou ou le Pendu n'ont néanmoins en eux-mêmes aucune place dans la chimie ou les études de gestion. Les devins ne devraient pas non plus être indûment perturbés qu’il en soit ainsi.
Partant de la posture sujet-objet conventionnelle de la culture moderne, la divination n'a au mieux, par conséquent, qu'une relation tangentielle avec le domaine du totalement réel (= objectif). Compte tenu de ce statut douteux, il est compréhensible que la défense de la divination semble être une base peu engageante pour la justification de l'astrologie. Lorsque la difficile question de la divination est esquivée, un effort d’importance exagérée peut être fourni pour attribuer à une certaine catégorie de "fait astrologique" un statut objectif similaire aux faits manipulés dans les sciences ordinaires. S'il existait un fait astrologique simple, indépendant de l'interprétation de ce fait, alors, on le suppose, nous aurions une base pour amorcer une science moderne de l'astrologie. C’est de ce désir que provient la transfiguration de l'astrologie par le test du chi carré, à la mode de Geoffrey Dean (4). De même, une vénération, qui va bien au-delà de son incidence sur l'expérience astrologique, est accordée au travail des Gauquelin, extraordinaire et significatif bien que de portée limitée.
Si le fondement de la divination devait être rétabli, la réalité de la coupure sujet-objet conventionnelle doit être transmutée. Une description de la divination est nécessaire pour que ne soit pas tenue pour acquise une telle fracture, avec son positionnement consécutif de la valeur de réalité du côté de l'objet. Ceci est facile à demander mais difficile à réaliser. Les chemins offerts dans la pensée antique ou moderne n'ont pas été orientés vers la question particulière de la description de la divination. Les devins et les astrologues devront entreprendre la plus grande part de la tâche par eux-mêmes.

Transmuter la séparation

Bien que le statut central du dilemme sujet-objet garantit qu'il émergera sous un prétexte quelconque dans presque toutes les formulations philosophiques, religieuses ou occultes, la pensée doit être profondément ancrée avant que la division ne soit directement révélée. Ainsi, malgré l'illumination majeure que la psychologie des profondeurs moderne a pu apporter à la discussion du symbolisme, j’estime qu’elle n’a pas élaboré de catégories qui décrivent la question centrale de façon adéquate. L’exploration de Jung va aussi loin que la psychologie peut s’étendre sur la question de la divination, et révèle des thèmes de la plus grande importance pour l’astrologie, en particulier dans son travail innovant sur la synchronicité. Mais le problème essentiel est ontologique (" de la nature de l’être" ), et pas principalement psychologique. Comme le montre l’analyse de Maggie Hyde, le dilemme non résolu a finalement divisé la conception de Jung en deux moitiés, une " synchronicité I"  objective et une " synchronicité II"  subjective (5) .
Le "Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes" (6) de Robert Pirsig offre une description très lisible des nombreuses ramifications de la séparation objet-sujet. On peut recommander à tout lecteur qui trouve difficile d’évaluer la discussion précédente de passer du temps avec ce livre inexplicable. La solution " intellectuelle"  de Pirsig, qui n’est pas toute la solution de son histoire, est le concept de la qualité, la matrice pré-intellectuelle dont le sujet et l’objet émergent. La référence au Zen nous rappelle que le dilemme sujet-objet et sa sagacité ont toujours été explicites et centraux dans la métaphysique et la pratique bouddhistes.
La seule réserve que je ferais à propos de l’approche de Pirsig concerne son manque de référence à un mouvement dans la pensée européenne moderne qui a modifié la question. C’est la méthode philosophique de la phénoménologie, conçue par Edmund Husserl au tournant du XXe siècle, et puissamment recréée par Martin Heidegger dans sa grande œuvre "Être et Temps". Avec Sartre, la phénoménologie a à son tour modelé l’existentialisme moderne. Ce mouvement n’a eu jusqu’à présent que peu d’effet sur l’astrologie, qui a eu tendance à s’appuyer sur des constructions historiques durables, comme celle de Platon, avec laquelle l’attitude existentielle est généralement antithétique.
Husserl insiste sur une distinction radicale entre la philosophie et les sciences naturelles, et conteste ainsi la vision simple d’une "réalité objective" autonome et unique :

"Une philosophie ne (peut) naïvement commencer d’un coup, comme les sciences positives... qui se basent elles-mêmes sur le fondement pré-supposé de l'expérience du monde comme quelque chose qui est pré-donné comme manifestement existant" (7).

En tant que méthode, la phénoménologie passe au travers les constructions théoriques qui tentent d'"expliquer" ou de revenir derrière les phénomènes. Il cherche une description précise et véridique des phénomènes primordialement "donnés" en conscience. Il n'est donc pas nécessaire de postuler de quelconques principes premiers desquels les phénomènes perçus sont générés. En adoptant la terminologie de Husserl, il serait possible de décrire le phénomène de la divination comme une "intuition donnée à l'origine" ou une "expérience primordiale de la conscience", sans le localiser dans la catégorie d'un datum objectif rel qu’il est recherché en sciences naturelles. Vu de cette façon, la divination serait parfaitement "réelle", et soulèverait alors une question de philosophie et non de science.
À la suite d’Husserl, Heidegger a reculé la tâche de la philosophie de la séparation sujet-objet en réinterprétant le processus historique de la métaphysique des premiers penseurs grecs, pour montrer que tout le passage de la pensée occidentale a été limité par le présupposé de la séparation :

"... à peine le "phénomène de la connaissance du monde" a-t-il été saisi, il a été interprété d'une manière "superficielle" et formelle. La preuve en est la procédure (encore habituelle aujourd'hui) de placer le savoir en tant que "relation entre sujet et objet" - une procédure dans laquelle il y a autant de "vérité" que de vide. Mais le sujet et l'objet ne coïncident pas avec le Dasein et le monde." (8)

Dasein (Être-là ou ici) est le terme d’Heidegger pour exprimer l'être de l'être humain, qui n'est certainement pas le même genre d'être que celui d'une plante ou d'une chaise, d'un bâton ou d'une pierre. Le Dasein n'est pas un corps vigoureux, une chose humaine dans un monde d'autres choses, mais est ce genre d'ÊTRE, qui est constitutif et définitif de l'être humain, qui se retrouve déjà en place, "Être-déjà-au-monde". Le monde n'est pas une masse de choses situées dans l'espace et le temps de la réalité scientifique, c'est l'orbite de l'attention et de la préoccupation dans laquelle les objets sont saisis comme des objets, mais qui, en tant que monde, est constitutif du Dasein :"en sachant, le Dasein atteint un nouveau statut d'Être envers un monde qui a déjà été découvert dans le Dasein lui-même" (9). Comme il n'y a pas de monde séparé "en dehors"  du Dasein, l'Être Humain n'est pas un sujet et le Monde de l'Être Humain n'est pas un objet.
Cette subtile voie de pensée offre des possibilités révélatrices à la discussion sur l'astrologie. Ce n’est pas l’endroit, dans l'étude actuelle, d'essayer de décrire ces possibilités. Il suffit ici de faire avancer la structure de l'intentionnalité, qui, couplée à la transmutation de la séparation sujet-objet, devient une puissante méthode descriptive au cœur de la phénoménologie.
Sa méthode reconnaît que toute interprétation, la mise en place du sens, implique une "structure antérieure", une intention ou une attitude de conscience, ou en mode Heideggerien, une modification de l’"Être-dans"  primordial, qui rend présent l'"objet de la connaissance". Nous ne sommes jamais comme des tableaux blancs qui attendent de recevoir une impression d'un monde extérieur que nous soumettrons ensuite à interprétation : nous avons déjà une pré-compréhension de ce vers quoi nous nous tenons. Cette caractéristique essentielle de l'interprétation astrologique a été développée dans le " Quarterly"  dans les études sur "Takes" de Vernon Wells et Gordon Watson (10), et elle permet l'analyse de "l'auto-référencement" entreprise par ce dernier dans son profond essai "Astrology : a Spiritual Vehicle" (Astrologie, un véhicule spirituel) (11). Dans la description du "moment de divination" qui suit, j’ai fait des emprunts la même vision phénoménologique.
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Notes:

  1. Lynn Thorndike "History of Magic and Experimental Science" (Histoire de la magie et de la science expérimentale), Columbia University Press 1923 ; Vol. I, ch. III, p. 113. La phrase "L'abandon de la science" appartient à l'irrépressible Bouché-Leclercq. 
  2. Maurice Merleau-Ponty "The Primacy of Perception & Other Essays" (La primauté de la perception et d'autres essais), édité par J. Edie ; Northwestern Univ Press, Illinois, 1964. p. 159. 
  3. Science instructionnelle : cette définition utile provient du travail d'E.F. Schumacher, "A Guide for the Perplexed" (Un guide pour les perplexes), Cape, Londres 1977. Elle contraste avec la science descriptive. le Dr. Michael Shallis a souligné l'importance de cette distinction pour la recherche astrologique : voir sa discussion dans "Science & astrology I", Astrology Quarterly Vol. 58:3 p. l20 ; également une discussion plus complète dans son livre "On Time" (Sur le temps), Burnett Books, London, 1982, ch. 7, pp. l37-8. La phénoménologie et la science descriptive peuvent, je pense, être essentiellement liées.
  4. Geoffrey Dean "Recent Advances in Natal astrology" (Récentes avancées sur l'astrologie natales), Analogique, 1977. 
  5. Synchronicité - voir l'article de Maggie Hyde "Jung & astrology : A Critique" (Jung et l'astrologie : une critique), Partie II, Astrology Quarterly, Vol. 58:4, p. l85 ff.
  6. "Zen & the Art of Motorcycle Maintenance" (Le Zen et l'art de l'entretien des motos), Robert M. Pirsig, Bodley Head, Londres, 1974.
  7. Husserl : cité dans "Phenomenology - the Philosophy of Edmund Husserl and its Interpretation" (Phénoménologie - la philosophie d'Edmund Husserl et son interprétation), éd. J. J .Kockelmans Doubleday Anchor, A585, 1967, pp. 28-29.
  8. Martin Heidegger : "Being and Time" (Être et temps), (op .cit. note 36), Blackwell, Oxford 1973. I.2 H60.
  9. ibid I.2 H62.
  10. "Takes" : voir Vernon Wells "Takes - Superman", Astrology Quarterly, Vol 57:2 (été 1983), et Gordon Watson "Takes & astrological Interprétation" Vol 57:4 (Hiver 83/84).
  11. "Astrology: a Spiritual Vehicle" (Astrologie : un véhicule spirituel), Astrology Quarterly, Vol. 55:3 (Automne 1981)

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