ANNIVERSAIRES FUNESTES, par Didier CASTILLE

Ingrid Bergman, Sidney Bechett, Maria Felix et Yasujiro Ozu ont au moins un point en commun : ils sont morts le jour de leur anniversaire. Et ils ne sont pas les seuls... En France, entre 1979 et 1997, un peu plus de 30 000 personnes ont eu quelques difficultés à souffler leur ultime bougie… De telles célébrations sont troublantes pour ceux qui s’intéressent aux cycles de la vie. Une étude statistique portant sur un peu plus de 10 millions de décès a mis en évidence que le nombre des français qui décèdent au moment de leur anniversaire est plus élevé que celui auquel on s’attend en théorie. Une autre étude aboutit, à partir de statistiques suisses, à des résultats similaires.

Étude réalisée avec le soutien du Premio Internazionale Serena Foglia edizzione 2005 à Turin

 
SURMORTALITÉ LE JOUR DE L’ANNIVERSAIRE

L’étude des statistiques françaises d’état civil porte sur les décès survenus entre 1979 et 1997, dont ont été exclus les décès d’enfants de moins d’un an et les suicides.
Au total, 9 867 750 cas ont été étudiés, notamment pour déceler dans cet ensemble un éventuel « effet anniversaire ». Pour cela, ces personnes décédées ont été classées en fonction du nombre de jours qui séparent leur décès et leur anniversaire. Cette répartition a ensuite été comparée à une répartition théorique construite aléatoirement.
On constate en particulier que 30 432 personnes sont décédées le jour de leur anniversaire précisément. Puisqu’on s’attendait à une niveau théorique de 27 035 décès, il en ressort une surmortalité de 3 397 cas le jour de l’anniversaire, ce qui représente un écart de +13%.

© De Sphæris – association Météores
9 867 750 personnes décédées en France

Le graphique ci-dessus illustre la répartition des décès selon l’écart en jours entre anniversaire et décès. Chaque barre bleue représente, pour un écart donné, la différence relative entre la valeur observée et la valeur théorique. Les écarts en jours sont représentés sur l’axe horizontal, les différences relatives sont représentées sur l’axe vertical. Ainsi, au centre du graphique, quand le jour du décès est le même que le jour de l’anniversaire, soit un écart en jours égal à 0, la valeur observée est supérieure de 13% à la valeur théorique. De même, à droite, quand l’écart est de 180 jours, la valeur observée est supérieure d’un peu moins de 1% à la valeur théorique.
Le graphique montre qu’il existe une concentration de personnes décédées aux alentours de leur anniversaire, avec une légère tendance pour les jours qui suivent l’anniversaire.
Selon des tests du Khi2, si la surmortalité au jour de l’anniversaire est significative, on ne peut pas en dire autant de la surmortalité aux alentours de l’anniversaire.

Jean BOVET, Jacques SPAGNOLI et Corinne SUDAN étudient, quant à eux, la position, dans le cycle annuel, du jour de la mort par rapport au jour anniversaire de la naissance pour chaque sujet décédé en Suisse de mort naturelle entre 1969 et 1992. Après quelques restrictions (sujet de moins d’un an, suicidés, etc.), ils exploitent un ensemble de 1 275 033 décès (source : Office fédéral de la statistique) et mettent en évidence une surmortalité maximale au jour même de l’anniversaire de naissance, de l’ordre de 17% sur l’ensemble de la population (4 075 cas observés pour 3 495 cas attendus). Ils y ajoutent un constat quant au sexe de la personne et concluent que cet « effet anniversaire » est indépendant du facteur « sexe ». Ils précisent également que le constat de surmortalité n’est pas constant tout au long de l’année, sans qu’une sorte de variation saisonnière affectant l'effet anniversaire ne soit repérable.


Zoom sur les disparitions qui surviennent aux environs de l’anniversaire
© De Sphæris – association Météores
1  275 033 personnes décédées en Suisse

Particularités de la surmortalité

Le facteur âge

L’étude suisse repose sur des données d’âge agrégées en classes de 5 années. Elle montre que la surmortalité le jour de l’anniversaire est de l’ordre de 10 à 15% dans les classes d’âge 55-69 ans, 70-74 ans et 75-79 ans, et qu’elle atteint et dépasse même 20% dans les trois classes quinquennales supérieures.

L’étude française dispose des âges exacts au moment du décès. Dans le graphique ci-contre, les 30 432 personnes disparues le jour de leur anniversaire sont réparties selon leur âge (courbe continue, échelle sur l’axe de gauche). Par exemple, dans cet ensemble, 1 128 personnes sont décédées à l’âge de 83 ans.
Le graphique montre également, pour chaque âge, la différence qui existe entre le nombre de décès qu’on observe et celui qu’on attend. Ces écarts sont exprimés en pourcentage par rapport à la valeur attendue et sont représentés par des points (échelle sur l’axe de droite). Par exemple, le nombre de personnes de 83 ans décédées le jour de leur anniversaire est supérieur de 14% à la valeur théorique (1 128 décès observés et 986 décès attendus.)

On s’aperçoit que l’effet anniversaire est relativement fort pour les personnes qui décèdent jeunes ; néanmoins, ce nombre de décès étant relativement faible, il n’est pas possible de considérer ce constat comme significatif.

La juxtaposition de ces deux représentations (la courbe et les points) souligne l’importance de la tranche d’âge 70-90 ans : le nombre des décès est élevé et les écarts à la valeur attendue dépassent 10%. L’effet anniversaire plus fort pour les français de plus de 80 ans corroborent les constats suisses.


30 432 personnes disparues le jour de leur anniversaire

© De Sphæris – association Météores

À titre d’illustration comparative, voici, ci-dessous, le même graphique, mais cette fois pour les 27 059 personnes décédées 34 jours après leur anniversaire. On remarque, par exemple, 1 003 décédées à l’âge de 84 ans, ce qui est supérieur de 3% à la valeur théorique (977 décès attendus). La plupart des points sont situés nettement en deçà de la barre des 10%.

27 059 personnes décédées 34 jours après leur anniversaire

© De Sphæris – association Météores

La cause du décès

Les chercheurs suisses ont laissé ce facteur de côté. Les statistiques françaises permettent d’évaluer les concentrations de décès au moment de l’anniversaire en fonction de l’âge et de la cause du décès (liste résumée de la classification internationale des maladies.)

D’une façon générale, la cause du décès n’est pas un facteur qui puisse être mis en relation avec l’effet anniversaire. Certes on observe quelques valeurs qui aiguisent la curiosité (voir ci-dessous) mais, compte-tenu de leur rareté ou du faible effectif qu’elles reflètent, elles ne peuvent être considérées comme significatives.
  • 2 573 003 décès dus principalement à une tumeur, dont 7 880 décès le jour de l’anniversaire alors qu’on en attend 7 204, soit un écart relatif de 9,4%. Cet écart s’élève à +11% dans la classes des 75-85 ans, à +15% chez les plus de 85 ans.
  • 205 909 décès dus principalement à des troubles mentaux, dont 620 décès le jour de l’anniversaire alors qu’on en attend 577, soit un écart relatif de 7,4%. Cet écart s’élève à +15% chez les + 85 ans.
  • 3 364 074 décès dus principalement à une maladie de l’appareil circulatoire, dont 10 411 décès le jour de l’anniversaire alors qu’on en attend 9 419, soit un écart relatif de 10,5%. Cet écart s’élève à +9% dans la classes des 75-85 ans, à +14% chez les plus de 85 ans.
  • 509 837 décès dus principalement à des symptômes, signes et états morbides mal définis, dont 1 613 décès le jour de l’anniversaire alors qu’on en attend 1 428, soit un écart relatif de 13%. Cet écart s’élève à +16% dans la classes des 65-75 ans, à +20% chez les plus de 85 ans. 

L’effet anniversaire : léger,  significatif et inexpliqué

Alien sunset - Planetary Photo Journal
Image credit : NASA/JPL-Caltech/Univ. of Ariz.
Les chercheurs suisses citent la « Réaction anniversaire » (Anniversary reaction) - cette appellation psychanalytique qui rassemblent toutes les manifestations diverses, somatiques ou psychiques, graves ou bénignes, récurrentes ou isolées qui surviennent, avec une précision parfois stupéfiantes, à des moments évocateurs d’évènements marquants de l’histoire personnelle - et suggèrent une composante psychique à cette relation statistique entre deux événements indiscutablement importants de la vie, à savoir le jour anniversaire de la naissance et le jour de la mort. Il ne propose toutefois pas d’explication à l’effet anniversaire, si ce n’est celle, réelle mais invérifiable, de la qualité des sources statistiques. Précisons qu’en France l’excédent est de + 3 397 décès étalés sur 19 années, ce qui représente, en moyenne, à peine un décès tous les 2 jours sur l’ensemble du territoire français : l’hypothèse des erreurs de transcription des dates de naissance ou de décès dans la chaine administrative est donc plausible. 
Pour les astrologues, la tentation d’attribuer cet effet aux dynamiques cycliques est forte : mourir au moment de l’anniversaire signifie mourir au moment même où le Soleil passe sur la position céleste qu’il occupait au moment de la naissance de l’individu. Bien des principes astrologiques sont basés sur les conjonctions planétaires.
Il serait désinvolte de ne pas garder à l'esprit que la proximité du Soleil natal et du Soleil en transit au moment du décès est le seul phénomène qu’il ait été possible de détecter. Aucun transit du Soleil sur les autres planètes du thème natal et aucun transit de la Lune ou des autres planètes sur chacune des planètes du thème natal, en conjonction et en tout autre aspect, n’est à mettre en relation statistique avec un surnombre, ou un sous-nombre, de décès.

Bibliographie
  • "Un lien entre la naissance et le décès" - Didier CASTILLE - Les Cahiers du Rams N°9, mars 2001
  • "Mortalité et anniversaire de naissance" - Jean BOVET, Jacques SPAGNOLI et Corinne SUDAN - Sozial- und Präventivmedizin  ISSN 0303-8408 - 1997, vol. 42, no3 - Birkhäuser, Basel
  • "À quelle époque meurt-on le plus souvent?" - Édouard SYMOURS - Demain N°12, juin 1935
  
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