LE NAVIRE DE BEN RAGEL, par Carmen DE HITA

L'École des traducteurs de Tolède à la Cour d'Alfonso X le Sage a traduit dans la langue castillane naissante de cette époque un traité d'astrologie important et bien connu écrit au dixième siècle par Ali Ben Ragel: Le Livre complet des jugements des étoiles (« El Libro Conplido en los Iudizios de las Estrellas »). Le troisième livre de cette grande œuvre est dédié, dans son ensemble, à l'astrologie horaire et, plus concrètement, son quatorzième chapitre traite des questions relatives aux thèmes de la Maison IX, sur les hommes qui voyagent et visitent des villes, sur l'arrivée dans les villes étrangères, comment les visiteurs s’y rendent, sur l'interprétation des rêves également et sur les connaissances réelles qu’ont ceux qui se disent alchimistes. Les sujets évoqués par la maison IX parlent de voyages, aussi bien physiques que mentaux. Parmi ceux-ci, tous intéressants et incroyablement actuels, celui qui traite du navire et de ceux qui s’y trouvent est très pittoresque.


Commentaires et traduction réalisés par la "Escuala des Traductores de Sirventa" - Traduits de l’espagnol par Didier Castille

Dans l'Antiquité, le voyage avait, pour l'homme, des implications beaucoup plus graves et transcendantes que celles que nous lui donnons à notre époque. Voyager était synonyme d'aventure, les voyageurs se projetaient dans cette expérience pleine d'incertitude avec agitation et une bonne dose de risque. Les cartes des territoires connus étaient très imprécises, les erreurs de calcul, parfois, étaient énormes. Il n’existait pas beaucoup de de routes. L’expression " c'est en marchant que le chemin se fait" prenait alors tout son sens.

"Neptune’s prow" (détail)
par Peter Rukavina sur FlickR
Mais, tant bien que mal, la terre donnait quelques sécurités, malgré les animaux sauvages des forêts, les bandits et les voleurs de tous styles qui peuplaient les chemins.

La difficulté à obtenir une information préalable sur les lieux qui étaient connus (pas de brochures touristiques) a fait du voyage un véritable chemin de connaissance de l'imprévisible, aussi bien extérieur qu’intérieur et personnel. Le voyageur et l'aventurier se confrontent à ses propres réactions face à ce qui est différent et inattendu, parfois au détriment de leur survie.
Mais si cela est vrai sur terre, il va sans dire que, sur la mer, l'aventure prends des caractéristiques bien plus extraordinaires. Sur les eaux maritimes, une nuance vient s’ajouter à l'aventure du voyageur : sa dépendance au navire qui le transporte.
Sur terre, les moyens de locomotion nous permettent de voyager avec plus ou moins de commodités à des vitesses différentes, mais sur l'eau, avec les voyages maritimes, il ne s’agit pas de vitesse ou de commodité, le moyen de locomotion se transforme en un appui essentiel.

Le navire transporte en son sein des hommes, en liant ses caractéristiques et ses qualités avec les hommes. La survie dépend, ensuite, de la précision du calcul et de la construction, de sa préparation par rapport aux éléments que devra supporter, de ses instruments de navigation. Il s’agit d’un monde de coordonnées relatives et en mouvement. C'est à dire, qu’il doit être préparé pour survivre à l'aventure, tout comme les hommes. Il est, en somme, un microcosme.
Le navire a une identité propre, il reçoit un nom qui le différencie et, lors de sa mise à l’eau, on fête sa "naissance".
 "Blue rope", par Barbora Fabianova sur FlickR
Comme d'autres équipements importants, le navire reproduit, à une autre échelle, des qualités humaines. Sa conception est anthropomorphe. Ses parties fondamentales font écho à des parties du corps humain en relation avec les fonctions qu’elles remplissent. Il est donc facile de réaliser la translation symbolique des parties d'un organisme vivant et évolué vers les parties d'un navire.
Mais revenons à notre voyage, avec les XVIIIe et XIXe siècles qui illustrent le développement d'un nouveau concept de voyages maritimes: l'exploration scientifique.
Surgit alors une poignée d'aventuriers, d’explorateurs et de chercheurs de toutes les sciences qui se sont lancés à la poursuite des moindres recoins du monde avec le désir d’en révéler tous les secrets. Les expéditions scientifiques autour du monde en bateau sont devenues chaque fois plus complexes et préparées. Les instruments se sont perfectionnés, les avancées scientifiques et technologiques permettent de concevoir des objectifs cheque fois plus ambitieux, la fièvre du savoir et de la découverte s’amplifie. Et les résultats sont surprenants.
Lorsque, au début du vingtième siècle, l'aviation a commencé son développement technique, la navigation s’est transformée dans un concept plus ample, mais son esprit demeure.
Un avion monoplace, le Spirit of St. Louis, et un pilote courageux, Charles Lindbergh, en 1927, ont survolé les eaux de l'Océan Atlantique en rejoignant le Nouveau et le Vieux Continent sans escale, et a montré que l'aventure du navire n'est pas terminé, et qu’elle est encore possible.

"Life on river", 
par Barbora Fabianova sur FlickR
Mais le temps de la technique s’est accéléré à la même vitesse que les moteurs qui équipent nos navires modernes, de sorte que les voyages commerciaux en avion ont pratiquement perdu tous sens d'aventure physique (sauf pour quelques humains qui ne peuvent pas éviter la peur viscérale de l'avion, sensation quasi préhistorique dans le sens que je suis un de ceux qui pensent que le vol doit être réservé aux dieux).
La vitesse de décollage s’est tellement accélérée que nous sommes sorti de l’atmosphère pour explorer et connaître chaque fois un peu mieux l’océan spatial. Pour l’instant, nos expéditions dans cet océan encore timides et insignifiantes vue son immensités sans limites imaginables par nos esprits, mais nous n’en sommes qu’au début. Ce n’est est pas moins une grande aventure.
Comme pour la nef de Ben Ragel, nous pouvons dire pour l'aéronef de notre époque que...
"Lorsque vous vous posez des questions à propos de n'importe quel navire et que vous voulez en savoir plus sur son état, ce qu’il va devenir et vers quoi il va, calculez l'ascendant, les angles et les planètes.

Vous devez également connaître les signes qui régissent chacune des parties du navire, comme en a déjà parlé Ptolémée. Répartissez le navire selon les douze signes pour savoir à quoi correspond le bien et le mal quand les hommes s’y rencontrent, s'il plaît à Dieu.

Il dit ceci :

  • On octroie le Bélier à la proue, ... la tête du vaisseau et les pare-brise (la figure de proue).
  • Le taureau à la zone adjacente qui fouette l'eau... une partie supérieure de la tête.
  • Les Gémeaux aux gouvernes du vaisseau... les systèmes électroniques de navigation et de communication.
  • Le cancer au fond... le ventre.
  • Le Lion à la partie qui flotte sur l'eau... le passage des marchandises et la partie supérieure de la carlingue ou la cabine.
  • La Vierge au ventre... l’entrepôt des marchandises (... et la sentine).
  • La Balance est la partie antérieure qui tangue sur l'eau... les plans de sustentation et des aubes de stabilisation (les amures de proue).
  • Le Scorpion à l'endroit où le marin se trouve... la cabine de commandement (le carré de proue).
  • Le Sagittaire, le marin lui-même... les membres d'équipage et les passagers.
  • Le Capricorne les cordes qui existent dans le vaisseau... le train d'atterrissage, les rampes d'accès (les cordages et une amarres).
  • Au verseau le mât... le timon de direction et des bords d'attaque (la mâture, les vergues).
  • Aux Poissons les rames... les réacteurs de propulsion.
"Life on river", par Barbora Fabianova sur FlickR
Parmi les lieux qui viennent d’être mentionnés, ceux qui portent chance, ou qui portent en eux la Lune ou le régent favorable du signe de la Lune, peuvent être considérés comme des lieux qui apportent le bonheur. Et l'endroit qui porte nuisance, ou qui portent en eux la Luen ou le régent du signe de la Lune nuisible, peuvent être considérés comme apportant le mal et la fatalité.

La Lune et l'Ascendant sont les significateurs de tous les navires en général et de leur état. Le régent de l’ascendant est le significateur des gens qui s’y trouvent est le régent du signifiant de l'homme intérieur, et... "

Le découpage anthropomorphique proposée par l'auteur du Libro Conplido assimile le grand navire à un grand être vivant qui engloutit ses gouvernants, qui respire avec eux fonctionne comme un organisme autonome de l'extérieur.
Ben Ragel est rigoureux dans son approche et fait d'autres propositions, pas aussi suggestives, mais en fonction de ses dates et de ses pratiques, comme par exemple celles de Alquindi...

"Celui qui a le mieux parlé de cela, c’était Alquindi, lequel disait : analyse l’Ascendant, celui-ci étant le significateur de la proue, le milieu du ciel celui de la partie supérieure et le fond du Ciel celui de la partie la plus inférieure du navire.

Il divise son côté droit en quatre parties égales et ce qui est à gauche en quatre également, de sorte que deux parties de la droite sont sous l'eau et les deux autres au-dessus de l’eau, et il fait la même chose pour la partie gauche.
  • Ainsi, le côté droit, qui est sur l'eau à l'arrière, prend la signification de la maison VIII.
  • Sur le côté gauche, ce qui est au-dessus et à l'avant, est significatif de la Maison XII.
  • La zone de droite au-dessus et en avant, pour la maison II.
  • Du côté gauche, celui qui flotte dans la zone arrière pour la Maison VI.
  • À gauche sous l’eau dans la zone arrière pour la Maison IX.
  • À droite sous l'eau à l’avant du navire pour la Maison III.
  • Le côté gauche sous l'eau à l’avant du navire pour la maison V.
  • Et à droite sous l'eau dans la zone arrière pour la maison XI...
Et tu trouveras, avec Dieu."

Dans ce cas, Alquindi découpe le navire selon un autre concept : la machine. Les propositions de Ptolémée et d’Alquindi méritent d’être testées.

"I am sailing, I am sailing", par Ingo Meironke sur FlickR
L'auteur du présent article s'interroge sur ce qui précède, et sourit en imaginant des méthodes de prévention et de diagnostic des défauts dans les avions modernes d’institutions telles que la NASA. Mais les défis sont plus réels et plus simples:

Nous concevons nos navires à notre image et ils nous ressemblent, nous construisons le support de l'aventure selon notre essence propre. De cette manière, nous attribuons à chacune de ses parties une part de notre énergie. Aucun dommage ne serait fait aux bâtisseurs et aux marins modernes de mieux connaître ce principe créatif de la condition humaine.

Nous avons tendance à nous reproduire dans nos objets. De cette façon, alors que nous avons pu naviguer sur les navires de l'aventure de notre connaissance.

Comme disait Ben Ragel... et tu trouveras, s'il plaît à Dieu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire