Figure emblématique de la renaissance de la tapisserie au XXe siècle, Jean Picart Le Doux, avec quatre cents tapisseries au moins à son actif, est l’un des peintres cartonniers les plus productifs. L’univers, le Soleil, la Lune ou les étoiles sont omniprésents dans ses œuvres. Reflets d’une époque fascinée par l’exploration du cosmos et la conquête spatiale, ses créations sont aussi empreintes de références symboliques et astrologiques. Avant d’exécuter ses premiers cartons de tapisserie en 1943, ce graphiste talentueux s’était déjà fait remarquer dans l’édition et l’affiche de théâtre. Il est de ces artistes contemporains, à l’instar de Jean Lurçat, qui exécutaient eux-mêmes la fabrication de tapisseries issues de leurs cartons préparatoires.
Parmi les tapisseries de grands formats qu’il a créées, « Zodiaque » est actuellement accroché dans le Salon d’Honneur de l’Hôtel de Ville de Lille, en belle harmonie avec l'ensemble architectural conçu en 1932 par Émile Dubuisson, mélange original d'art déco et d'éléments d'architecture régionale flamande.
Réalisée par les ateliers Berthaut à Aubusson, "Zodiaque" date de 1959. Au moins deux exemplaires existent car un "Zodiaque" de mêmes dimensions (268 x 374 cm) a été offert par la France à l’U.R.S.S.
On ignore la date d’acquisition de la tapisserie par la Ville de Lille.
Une autre version, "Petit zodiaque", en format carré 120 x 120 cm, a été réalisé en 1968 par les ateliers Hamot à Aubusson.
"Zodiaque", dans le Salon d'Honneur de l'Hôtel de ville |
Les tapisseries de Picart le Doux rappellent les thèmes et les motifs créés par Lurçat, mais sous une forme nettement plus schématique. Cette pièce déroule une composition rigoureuse accentuée par un choix de teintes crues et fortement contrastées. La partie centrale apparaît sous la forme d’une ellipse tandis que les douze figures sont auréolées d'un feu similaire au rayonnement central. La division du cercle lui-même en quatre sphères plus petites et l’inversion des couleurs en hémisphères évoquent le mouvement de la terre et surtout le passage des saisons. Plusieurs zones délimitées par un jeu de bleu nuit et de noir s’opposent.
En 1966, dans son ouvrage "Tapisseries" (Ed. Publications filmées d’art et d’histoire) Marthe Belle-Jouffray explique : "Les douze mois de l'année dans une ronde dont le Soleil est le centre; la représentation figurée de la zone de la sphère céleste où paraissent se mouvoir les planètes et qui, dès la plus haute antiquité, fut divisée en douze parties correspondant à peu près aux douze constellations qui donnent leur nom à chacune d'elles. C'est dire que la composition se présente sous une forme presque austère, réglée, nécessairement, par de grandes figures géométriques : cercles, ellipses, et avec une économie de couleur qui contribue à son unité, à son calme, on pourrait presque dire à sa stabilité".
Marthe Belle-Jouffray : "Quatre sphères reçoivent la lumière du Soleil ; elles symbolisent les quatre saisons auxquelles correspondent, pour chacune, les « signes » des trois mois qui la composent, signes répétés deux fois dans leur graphisme traditionnel, avec une singulière élégance d’écriture.
Le passage du plan circulaire au plan elliptique inscrit dans le rectangle de la tapisserie se fait sans heurt, grâce à l’astucieuse disposition des deux figures, tangentes sur l’axe vertical commun. Enfin, dans les quatre angles, des zones bleues semées d’étoiles ont le double rôle de rappeler la couleur dominante et de meubler l’espace que la courbe laisse libre."
Autour du lumineux Soleil central sont placés quatre disques à demi éclairés qui représentent la Terre, puis un espace ovale représentant l’écliptique et sur lequel sont posés les 12 signes du zodiaque, en images (une écrevisse, un centaure, les Dioscures…) et en caractères. Les quatre sphères terrestres illustrent les équinoxes et les solstices mais on est surpris que ces quatre points ne soient pas en face des signes cardinaux, le Bélier, le Cancer, la Balance et le Capricorne. Aucune mention n’est faite, dans la composition, des constellations ou de la Lune.
Ci-dessus, le signe du Lion et le signe de la Vierge qui tient à la main, non pas le traditionnel épi de blé, mais une colombe
Jean Picart Le Doux est né à Paris le 31 janvier 1902, il est natif du Verseau. En 1933, il abandonne l'édition pour les Arts graphiques et la publicité.
La rencontre en 1940 avec Jean Lurcat fut pour lui déterminante : il s'intéresse dès lors passionnément au renouveau de la tapisserie sans toutefois renoncer aux arts graphiques.
Le Soleil et son double rayonnement, en pointes d’un jaune vif et en ondulations plus sombres, encadré par la Terre au début de chaque saison et des quatre signes mutables, Gémeaux, Vierge, Sagittaire et Poissons.
Jean Picart Le Doux a très souvent recours au symbole dans son œuvre : "Le symbole c’est le contraire de l’allégorie, déclare-t-il. L’allégorie s’habille avec le costume de l’époque. Elle se démode. A l’opposé, le symbole ne se situe pas dans le temps, il possède une permanence absolue. Il traverse les générations, les âges. Quelles que soient les sociétés les hommes s’y reconnaissent facilement. Une étoile, une main, le soleil, la neige, la lune, la vigne, le blé : c’est l’univers humain."
La composition est insolite car les douze signes y sont représentés dans un ordre inverse à celui que les astrologues utilisent habituellement, et qui correspond à la réalité d’un point de vue géocentrique. Ici, par contre, dans le sens des aiguilles d’une montre, le Taureau vient après le Bélier, etc.
Il faut garder à l’esprit le point de vue héliocentrique (Soleil central) de la composition, qui correspond à un mouvement apparent du Soleil inverse quand il est vu de la Terre. À n’en pas douter, les connaissances cosmographiques de Jean Picart Le Doux étaient étendues.
À gauche, les références de la tapisserie, cousue au dos de l’œuvre, avec la signature manuscrite de l’artiste.
L’atelier Berthaut, atelier situé à Aubusson, qui a tissé cette pièce, n’existe plus. Il a fermé dans les années 1970 et n’a pas été repris. Ses archives ont disparu, hélas. Presque toutes les tapisseries de Picart Le Doux ont été exécutées par M. Berthaut.
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Avec l'aimable autorisation de la Ville de Lille.
Avec le concours du Musée de la tapisserie d'Aubusson.