LES PRÉDICTIONS ASTROLOGIQUES ANNUELLES LATINES DANS L'EUROPE DU XVe SIÈCLE (extrait), par Alexandre TUR

Les prédictions astrologiques annuelles constituent un genre littéraire cohérent qui suscite de plus en plus d’intérêt de la part des historiens du Moyen Âge et de la première modernité. La Thèse d'Alexandre Tur, dont l'introduction est publiée ici, étudie plus particulièrement leur généralisation dans l’Europe latine entre 1405 et 1484, plusieurs siècles après les premières mentions dans les sources théoriques. Cette étude est complétée et étayée par un catalogue systématique de 111 prédictions manuscrites et 84 incunables rédigées en latin et conservées dans les collections publiques, et des 64 astrologues identifiés comme leurs auteurs.

Introduction de la thèse de doctorat en Histoire médiévale "Alexandre Tur. Hora introitus solis in Arietem : Les prédictions astrologiques annuelles latines dans l’Europe du XVe siècle (1405–1484)."

Une première partie explore la dialectique interne de ces "jugements", et en particulier les méthodes astrologiques qui, rigoureusement appliquées, soutiennent la prétention scientifique de leurs auteurs. Ceux-ci, leur milieu social et plus généralement le contexte de production de ces prédictions font l’objet d’une deuxième partie. Une troisième examine la réception contemporaine et la transmission jusqu’à nos jours de textes pourtant promis à une existence éphémère. Cette étude est complétée et étayée par un catalogue systématique de 111 prédictions manuscrites et 84 incunables rédigées en latin et conservées dans les collections publiques, et des 64 astrologues identifiés comme leurs auteurs. Enfin, les trois prédictions annuelles connues pour 1405, à la fois singulières et caractéristiques, font l’objet d’une édition critique commentée et traduite en français.

L’idée de prédiction astrologique annuelle n’est sans doute pas tout à fait étrangère au lecteur du XXIe siècle, familier des gros titres de magazines de vocations diverses en période de fêtes de fin d’année. J’imagine cependant qu’il n’aura pas de trop grande difficulté à concevoir les importantes mutations de cette littérature depuis le Moyen Âge - peut-être les éléments de continuité le surprendraient-ils davantage. C’est semble-t-il au XIVe siècle que remontent les premiers témoins européens d’un genre perpétué jusqu’à nos jours, il est vrai non sans ruptures ni transformations (1). Ce type de textes était d’ailleurs, à cette époque, plus prisé et mieux accepté que les horoscopes de naissance auxquels on identifie volontiers, aujourd’hui, l’astrologie. Plus que les autres textes astrologiques, le genre des prédictions annuelles disposait aussi d’une réputation scientifique dont est définitivement dépouillé à notre époque l’art de l’interprétation des astres : ces raisons expliquent probablement que les prédictions astrologiques annuelles de la fin du Moyen Âge sont conservées en nombre assez conséquent par rapport à d’autres genres voisins, comme celui de la pratique magique, ou des prédictions astrologiques plus controversées. Leur unité en tant que genre littéraire, astrologique et même "scientifique" nous semble indéniable, mais appelle un effort de définition, à la fois onomastique, astrologique, historiographique et épistémologique, qu’il nous paraît important de mener en introduction à cette étude.

Qu’est-ce qu’une prédiction annuelle ?

Un vocabulaire changeant

De leur apparition au début du XIVe siècle jusqu’au début du XVIe siècle et plus tard, les prédictions annuelles ont été désignées par plusieurs vocables plus ou moins bien définis. Les manuels expliquant les méthodes astrologiques à appliquer pour les réaliser utilisent la notion assez abstraite de "révolution des années du monde" (revolutio annorum mundi). Cette expression apparaît dans le titre de plusieurs traités théoriques, qu’ils soient traduits de l’arabe ou de l’hébreu ou rédigés en latin ou en langue vulgaire. La notion de "révolution", utilisée sans qualificatif, est pourtant assez vague : elle correspond en astrologie au retour annuel d’un même événement - ce que nous appellerions aujourd’hui un anniversaire. Elle peut donc s’appliquer à une personne, à une ville, ou de façon générale aux "années du monde" : elle correspond alors au début de chaque année, c’est-à-dire, par convention, à l’équinoxe de printemps. Dans les prédictions elles-mêmes, l’expression n’est cependant pas utilisée telle quelle. La notion de "révolution" y est reprise dans un sens astrologique technique, mais ne désigne jamais la prédiction proprement dite.

Au XVe siècle, celle-ci prend le plus souvent le titre de judicium anni, ou "jugement de l’année". Toute interprétation astrologique correspond en effet à ce qu’il est alors convenu d’appeler un "jugement" : le terme désigne le processus de détermination des événements à venir à partir de l’analyse de l’emplacement des astres à un moment et en un lieu donnés. Cette acception spécialisée du mot judicium n’est certes pas attestée par les principaux dictionnaires de latin médiéval ; elle est cependant courante et univoque à la fois dans la littérature astrologique, normative et pratique, et dans les règlements institutionnels. Les statuts de l’université de Bologne, par exemple, prescrivent au XVe siècle à chaque titulaire de la chaire d’astrologie de dresser annuellement un judicium et un tacuinus (2). C’est notamment l’origine de l’expression réflexive d’"astrologie judiciaire".

Ce dernier terme, tacuinus, est beaucoup plus difficile à définir. Il n’est presque jamais adopté comme titre pour les prédictions annuelles, et il n’est pas toujours évident de déterminer s’il correspond à une publication distincte ou à une partie du jugement annuel. Robert Westman le traduit par "almanac", mais cet autre terme, en anglais comme en français, pose également problème (3). Il est possible que l’expression latine de Bologne corresponde à celle, française, de "présenter le grant et le petit almanachs" (4), mais le terme almanach n’est lui-même employé que de façon exceptionnelle dans les prédictions. Il est par ailleurs trompeur car il semble désigner, à partir de la fin du XVe siècle et jusqu’à nos jours, non pas une mais deux traditions littéraires calendaires distinctes des prédictions annuelles du XVe siècle (5). Le mot semble avoir, au Moyen Âge, une acception d’abord médicale, qu’il partage avec tacuinus. Ce dernier est visiblement dérivé de l’arabe taqwīm (ou takvīm), terme qui partage lui-même plusieurs acceptions : présentation scientifique sous forme de tableau ; "almanach-pronostication", un genre très proche des prédictions annuelles latines ; ou encore calendrier au sens moderne (6). C’est à la première de ces définitions que se rattache la principale occurrence du terme en latin avec le Tacuinum sanitatis d’Ibn Butlan, un manuel de diététique, initialement présenté sous forme de tables synthétiques, ayant eu un grand succès à la fin du Moyen Âge dans sa traduction latine (7). Il semblerait que le tacuinus exigé par les statuts de l’université de Bologne corresponde lui à une sorte de calendrier médical, indiquant les jours favorables à diverses opérations - saignées, prise de médicaments, etc. -, déterminés grâce à des méthodes astrologiques. Certains auteurs considèrent qu’il a d’abord fait l’objet de publications indépendantes, avant d’être inclus dans les prédictions annuelles à partir du milieu du XVe siècle (8).

À partir de la fin du XVe siècle, et surtout, semble-t-il, à partir de l’impression de prédictions annuelles, de nouvelles désignations se généralisent : pro(g)nosticatio, pro(g)nosticon (parfois pro(g)nosticum) et practicum sont les principales. La fortune de la première est sans doute liée à celle de la Pronosticatio ad viginti annos duratura écrite par Johannes Lichtenberger en 1488. Ce texte n’est pas une prédiction annuelle au sens strict : il s’agit d’un jugement astrologique sur les effets pour vingt ans d’une conjonction dite "majeure" entre les deux planètes les plus lentes, Saturne et Jupiter, ayant eu lieu en 1484. Largement plagiée sur la prédiction de l’astrologue Paul de Middelburg, elle associe à l’astrologie toute une tradition prophétique, en particulier joachimite, qui n’était jusque là que rarement présente dans les prédictions astrologiques (9). L’immense succès connu par ce texte est fondateur pour la pratique astrologique du XVIe siècle ; il suscite le réemploi du terme prognosticatio, utilisé depuis le milieu des années 1470 de façon occasionnelle, y compris pour désigner des prédictions annuelles au sens strict. Prognosticon en semble, pour autant qu’on puisse en juger, un dérivé. 

Avec ces derniers termes, celui de practicum (ou practica, pas toujours au pluriel) dépasse largement "judicium anni" pour désigner les prédictions annuelles au XVIe siècle (10). Il s’agit d’une synecdoque issue de la distinction épistémologique entre "théorie" et "pratique". Essentiellement médicale au Moyen Âge, celle-ci gagne l’astrologie au XVe siècle, avant de s’étendre à de nombreux autres domaines du savoir à la Renaissance (11). En astrologie, elle correspond à la distinction entre manuels d’autorités, présentant les règles à appliquer pour effectuer une prédiction astrologique et ces prédictions elles-mêmes, appliquées à une année, un individu ou une consultation particulière. L’utilisation du mot practicum pour désigner spécifiquement les prédictions annuelles, alors qu’il ne s’agit que de l’un des genres de la littérature astrologique "pratique", témoigne de leur grand prestige et de leur importance dans la société du début du XVIe siècle.

À ces différents termes médiévaux, il faut ajouter l’ambiguïté du vocabulaire contemporain. Le mot "prognostication" (12), couramment utilisé dans ce sens en anglais, est problématique. Il est d’abord source de confusion avec le mot médiéval qui, on l’a vu, ne désigne pas toujours les prédictions annuelles. Mais il est également, dans le langage contemporain, trop peu spécifique, au même titre que "pronostic" en français ou "Prognose" en allemand, susceptibles de désigner n’importe quelle prévision ou prédiction (13). À titre d’exemple, Thérèse Charmasson, dans le chapitre du Grundriss der Romanischen Literaturen des Mittelalters qu’elle consacre à la cosmologie et à l’astrologie, distingue les "prognostications", qui correspondent sous sa plume aux prédictions annuelles savantes que nous étudions, des "pronostics", prédictions populaires basées sur le premier jour de l’année (14). Les mots sont pourtant interchangeables, aussi bien en moyen français et en latin que dans la langue commune contemporaine, alors qu’il conviendrait de distinguer bien plus nettement deux genres littéraires très éloignés mais que leur définition rend facilement susceptibles d’amalgame. Nous préférons donc à toutes les autres la paraphrase descriptive de "prédiction astrologique annuelle", que nous adoptons le plus souvent dans cette étude, malgré sa lourdeur (15).

Une définition astrologique

En dépit d’une désignation variable, parfois hésitante, l’unité du genre est bien établie dans la tradition épistémologique de l’astrologie. La classification des genres astrologiques la plus fréquemment retenue pour les études sur le Moyen Âge latin, et, pour autant que l’on puisse en juger, faisant référence à l’époque, est celle du Speculum astronomie, ouvrage bibliographique anonyme du XIIIe siècle longtemps attribué à Albert le Grand (16). Celui-ci reprend en réalité une typologie des prédictions astrologiques bien antérieure. Ptolémée lui-même, dans son Quadripartitum distingue les "jugements universels", ancêtres de nos prédictions annuelles, des nativités (17). La plupart des traités d’astrologie, arabes ou latins, adoptent un plan prenant en compte successivement chacune des quatre principales catégories de prédictions astrologiques. Celles-ci peuvent se définir de la façon suivante :

  • la nativité (nativitas ou genitura) étudie l’horoscope de naissance pour prévoir le caractère, le comportement et de façon générale la vie d’un individu. On peut sans grande difficulté l’étendre à une institution, comme une ville ou une université, en considérant la date et le lieu de son édification (supposés, voire légendaires) ;
  • la révolution des années du monde, ou prédiction annuelle (voir les désignations latines supra), se fonde sur l’aspect du ciel au début de l’année pour en prévoir le cours, de façon très générale ;
  • l’interrogation (interrogatio) consiste pour un praticien à répondre à une question que lui pose un individu (par exemple : "où ai-je laissé la clef de mon coffre ?") suivant l’aspect du ciel au moment précis de cette consultation ;
  • l’élection (electio) adopte la démarche contraire et permet de déterminer le jour et l’heure les plus appropriés pour entreprendre une action, commencer un voyage ou une guerre, fonder une université, etc.

Certains auteurs distinguent en outre les jugements consacrés à un événement céleste particulier, comme une conjonction ou une éclipse, tandis que d’autres les rattachent aux prédictions annuelles (18). L’astrométéorologie et l’astrologie médicale, quant à elles, sont alternativement traitées séparément, rattachées aux prédictions annuelles ou aux élections, en particulier pour le choix des jours critiques.

Malgré des frontières assez floues, les prédictions annuelles correspondent donc, dans la littérature astrologique, à un genre défini de longue date par les autorités grecques et arabes, et donc bien perçu dans son individualité par les astrologues de la fin du Moyen Âge, bien que le vocabulaire le désignant puisse être, lui aussi, flottant. Curieusement, il n’a pourtant éveillé l’intérêt des historiens en tant que genre spécifique qu’assez récemment.

Les prédictions astrologiques annuelles vues par les historiens

Les premières études historiques sur l’astrologie datent de la toute fin du XIXe siècle. La monographie fondatrice, en tous points magistrale et encore très utile de nos jours, est celle d’Auguste Bouché-Leclercq consacrée à L’Astrologie grecque et publiée en 1899 (19). Accordant comme il se doit une grande place à Ptolémée, cette étude analyse la théorie astrologique plus qu’elle n’envisage la pratique, pourtant esquissée par le savant grec dans la division même de son Quadripartitum. De façon générale, les premiers travaux sont consacrés uniquement à l’astrologie antique, et à la doctrine plus qu’à la pratique, difficilement perceptible pour cette époque. Les historiens du début du XXe siècle s’intéressent également à la Renaissance et à l’époque moderne (20), mais il faut attendre les travaux de Lynn Thorndike pour que l’astrologie médiévale devienne objet d’étude. Après avoir publié en deux volumes une Histoire de la magie et des sciences expérimentales durant les treize premiers siècles de notre ère, en 1923, l’historien américain écrit en 1929 un essai intitulé Science and Thought in the Fifteenth Century. En 1934 paraissent deux volumes supplémentaires de l’History of Magic and Experimental Science, qui en comptera huit au total, allant jusqu’au XVIIe siècle (21). Ces volumes III et IV sont respectivement consacrés aux XIVe et XVe siècles. Faisant une large part à l’astrologie, ces études pionnières sont jusqu’à nos jours les seules à avoir traité spécifiquement un large corpus de prédictions annuelles. Lynn Thorndike consacre dans le volume IV deux chapitres spécifiquement à ce genre, et plusieurs autres à des astrologues essentiellement connus par leurs jugements annuels, soit au total près d’une centaine de pages (22). Il décrit et cite précisément plus de soixante-dix prédictions manuscrites et incunables conservées dans toute l’Europe, et parfois perdues. En dépit de l’apport très précieux de cette étude à notre sujet, on peut a posteriori reprocher à Lynn Thorndike, faisant face, il est vrai, à un volume exceptionnel de documents inédits, de ne pas avoir traité plus méthodiquement ces sources. Il se contente la plupart du temps d’une brève paraphrase de chaque prédiction, éventuellement mise en relation avec d’autres prédictions du même auteur, de la même date ou du même manuscrit. En particulier, l’historien ne s’intéresse pas aux méthodes astrologiques mises en oeuvre ; il envisage assez superficiellement le contexte de leur production et de leur diffusion ; la description même rend assez délicate la comparaison de plusieurs prédictions. L’History of Magic and Experimental Science de Lynn Thorndike n’en reste pas moins, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, un travail historique aussi pionnier qu’extrêmement fertile. Il est complété à la même époque par les travaux d’Ernest Wickersheimer sur la médecine médiévale et ses liens avec l’astrologie (23). Dans le sillage de ces ouvrages imposants paraît en 1938 un article pionnier pour notre sujet (24), qui s’intéresse aux productions astrologiques de l’université de Bologne, et en particulier au "tacuinus" évoqué par les statuts (cf. infra). Bien que très localisée et donnant des conclusions parfois datées, cette étude ouvre un certain nombre des questionnements que nous nous efforçons de traiter dans cette thèse.

La seconde moitié du XXe siècle voit se développer, surtout à partir des années 1970, des études plus nombreuses sur l’astrologie et la magie médiévales. Cependant, en dépit du précédent de l’article de Sorbelli, les prédictions annuelles sont peu abordées. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette désaffection : la relative abondance de sources est paradoxalement l’une d’elles, car elle s’accompagne d’une forte dispersion dans les bibliothèques européennes. Il est également possible que, après le refus du XIXe siècle d’étudier tout ce qui pouvait avoir trait à l’"une des faiblesses qui ont le plus déshonoré l’esprit humain" - l’expression est attribuée par Bouché-Leclerc à l’archéologue Jean-Antoine Letronne (1787-1848), à propos des zodiaques d’Esné (25) – les historiens du milieu du XXe siècle aient d’abord été attirés par les parties de l’astrologie et de la magie les plus transgressives vis-à-vis des normes religieuses et scientifiques, médiévales et contemporaines, laissant de côté un domaine plus licite et relativement institutionnalisé (26).

Les premiers articles à aborder le sujet y viennent ainsi par un autre objet. En 1952, Alberto Serra-Zanetti reprend l’étude de l’astrologie bolonaise initiée par Sorbelli avec un article consacré aux "pronostications" de Girolamo Manfredi, célèbre professeur d’astrologie à l’université de Bologne à la fin du XVe siècle. Il dresse un catalogue des nombreuses prédictions, manuscrites et surtout incunables, de l’astrologue, remarque le respect d’un plan de construction assez constant, et signale les liens privilégiés entre Manfredi et la famille Bentivoglio de Bologne, ainsi que les compromis et la prudence que cela provoque dans le texte des prédictions (27). L’année suivante, Charles Perrat dresse un panorama de l’école astrologique de Louvain au début du XVIe siècle, raillée par Rabelais dans sa Pantagruéline Prognostication (28). Il s’agit du premier article en français étudiant en détail quelques prédictions annuelles de la Renaissance, dont est là encore donné un bref catalogue. Les prédictions annuelles parodiques, dont celle de Rabelais constitue un modèle, suscitent dès cette époque plus d’études que leur pendant "sérieux". Apparues dans le dernier quart du XVe siècle - le texte fondateur semble être Aultre de Jean Molinet, publié en 1476 - les "pronostications joyeuses" se forment pourtant fort visiblement en réaction aux prédictions "sérieuses" du XVe siècle. Tout en suscitant un intérêt certain chez les historiens de la littérature, l’étude de ce corpus est plus ou moins avancée selon les domaines linguistiques : en domaine néerlandais, l’édition et l’étude d’un corpus de prédictions parodiques est paru en 1980 sous le titre plaisant de Het zal koud zijn in ’t water als ’t vriest - "Il va faire froid lorsqu’il gèle" en néerlandais (29). En domaine allemand, l’ouvrage de référence est la thèse de Silvia Pfister, publiée en 1990 sous le titre Parodien astrologisch-prophetischen Schrifttums (1470-1590) (30). En France, certains textes aux qualités littéraires remarquables, comme ceux de Rabelais ou de Molinet, sont étudiés depuis les années 1970 (31), mais il n’existait pas jusqu’à récemment d’étude complète du genre en tant que tel. La thèse de Franck Manuel (32), soutenue en 2006 et encore inédite, se donne néanmoins pour ambition d’aboutir à une synthèse européenne du genre, appuyée sur l’édition d’un large corpus. Toutes ces études, plus orientées vers l’histoire littéraire, ont un grand intérêt dans la définition d’un genre spécifique ; elles se heurtent cependant à une difficulté méthodologique évidente, en l’absence d’étude des modèles astrologiques "sérieux" vis-à-vis desquels se définissent ces prédictions parodiques (33).

Il faut en effet attendre, pour ce qui concerne les prédictions annuelles "sérieuses" de la période médiévale, l’article de Philippe Contamine, en 1985, intitulé "Les prédictions annuelles astrologiques à la fin du Moyen Âge : genre littéraire et témoin de leur temps" (34). Comme l’indique ce titre, il s’agit de la première étude à utiliser la notion de genre littéraire pour les prédictions astrologiques annuelles - sans influence apparente des études contemporaines sur les prédictions parodiques, identifiées à la même époque comme "genre littéraire" spécifique. L’historien accorde une place importante au contexte intellectuel, sensible en particulier aux critiques de l’astrologie, celles de Thomas d’Aquin et de Nicole Oresme, des condamnations parisiennes de 1277 ou du Songe du vieil pèlerin, mais aussi à la dimension culturelle du genre, dans une optique proche de celle de l’historien des "mentalités" Robert Mandrou, auquel l’article est dédié. Il repère neuf prédictions en latin et en français, datées de 1438 à 1478, qu’il décrit et analyse assez précisément, donnant une édition critique de deux d’entre elles. "Il va de soi", ajoute-t-il, "que ce type de documentation, relativement homogène quoique dispersée, mériterait une étude d’ensemble approfondie, sur la longue durée. Des changements ne manqueraient pas d’apparaître en même temps que des permanences, et une typologie pourrait être dégagée, l’évolution du vocabulaire et des centres d’intérêts serait susceptible d’éclairer l’évolution des préoccupations, des attitudes mentales, des craintes et des espoirs, chez les hommes et les milieux auxquels s’adressaient ces écrits." (35)

En dépit de cet appel, les prédictions annuelles médiévales ne suscitent pas d’étude complémentaire avant la fin du siècle. Les pronostications de la renaissance éveillent un plus grand intérêt chez les chercheurs. Plusieurs colloques y sont consacrés : le Wissenschaftskolleg de Berlin accueille en particulier en 1984 une conférence intitulée "Astrologi hallucinati : stars and the end of the world in Luther’s time", dont les actes sont édités par Paola Zambelli (36). Elle s’intéresse en particulier à l’afflux de prédictions astrologiques et prophétiques à l’approche de la grande conjonction de 1524, annonçant, selon certains, un nouveau Déluge. La place de l’astrologie, et des prédictions annuelles en particulier, dans les controverses religieuses du XVIe siècle y est également abordée. Les conclusions de cette conférence sont fondatrices dans de nombreux domaines. Cinq ans plus tard se tient à Orléans un autre colloque intitulé "Observer, lire, écrire le ciel au Moyen Âge" (37). S’il n’aborde pas spécifiquement le genre des prédictions annuelles, il témoigne de l’apparition d’angles nouveaux pour approcher l’astrologie médiévale, qui se développent surtout au XXIe siècle.

Dans un volume de Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, paru en 2000, Jean-Patrice Boudet répond à l’article mentionné plus haut en exhumant une nouvelle prédiction en français pour 1415, jusque là inconnue, conservée dans l’un des manuscrits ayant appartenu à l’astrologue et historiographe de la fin du XVe siècle Simon de Phares (38). Il en donne une analyse très poussée, en vérifiant l’ensemble des calculs astronomiques et mathématiques de l’auteur, identifié à Jean Halbout de Troyes, supérieur de l’ordre des Trinitaires. Il met en particulier en exergue la qualité des connaissances de l’auteur dans la science des astres, qu’il ne considère pas comme incompatible avec l’inexactitude flagrante de ses prédictions au vu des évènements de 1415 (39). Jean-Patrice Boudet accorde également une grande attention au contexte politique dans lequel est rédigée cette prédiction, et à ses influences sur son contenu. Cette approche politique de l’astrologie a été reprise, sans sa composante "scientifique", par Monica Azzolini, dans ses études sur l’astrologie à la cour milanaise des Sforza. Auteur de plusieurs articles à ce sujet dans la dernière décennie, l’historienne complète son étude dans une monographie intitulée The Duke and the stars parue récemment (40). Elle y démontre en particulier, grâce à de riches archives découvertes à Milan, l’intervention du politique pour utiliser les prédictions annuelles comme moyen de propagande.

D’autres approches de l’astrologie en général, et des prédictions annuelles en particulier, se sont développées dans la dernière décennie. L’histoire culturelle est bien entendu l’une d’entre elles. L’apport de Maxime Préaud, auteur d’une thèse d’École des chartes sur l’astrologue Conrad Heingarter (soutenue en 1969) et d’une monographie consacrée aux astrologues du Moyen Âge (1984), était déjà essentiellement culturel (41). L’historien consacrait un chapitre de cette dernière aux prédictions annuelles (42), essentiellement alimenté par les témoignages de Simon de Phares, parfois trompeurs, et par l’analyse de la prédiction de Conrad Heingrater pour 1476, éditée dans sa thèse (43). Plus marquante est l’étude d’Elide Casali parue en 2003, intitulée Le spie del cielo : oroscopi, lunari e almanacchi nell’Italia moderna (44). Dans une large mesure, cette monographie répond au voeu de Philippe Contamine d’une étude sur le temps long des évolutions du genre entre pronostications et almanachs. Curieusement, ce travail, centré sur l’Italie, ne commence qu’à la fin du XVe siècle, alors qu’un certain nombre de prédictions annuelles italiennes antérieures étaient bien identifiées et accessibles, à commencer par celles de Biagio Pelacani, déjà étudiées par Graziella Federici Vescovini du point de vue de l’histoire intellectuelle et de la philosophie (45).

Une troisième approche des prédictions annuelles, essentiellement à partir de la fin du XVe siècle et de leur parution en masse sous forme imprimée, relève de l’histoire des médias. La diffusion en abondance de pronostications et d’almanachs aux XVIe et XVIIe siècles est en effet un phénomène tout à fait remarquable dans l’histoire du livre. Les évolutions de cette dernière discipline avaient facilité l’utilisation des prédictions annuelles modernes comme sources pour le commerce du livre au XVIe siècle : dès 1977 Holger Nickel publiait un articule intitulé "Almanache und Prognostika als Quelle für den Buchhandel der Frühdruckzeit" (46). C’est dans cette perspective que se place, de façon bien plus ambitieuse, la monographie de Jonathan Green, Printing and prophecy : prognosticaion and media change (1450-1550), parue en 2012 (47). Dans les traditions de l’histoire culturelle et de l’histoire du livre dans ses évolutions les plus récentes, Jonathan Green s’intéresse aux conséquences du croisement entre astrologie et prophétie consécutif à la Pronosticatio de Lichtenberger, aussi bien dans la production matérielle d’ouvrages imprimés que dans leur réception par un public élargi. L’historien envisage ce que nous appelons "prédictions annuelles" comme point d’origine de l’évolution réalisée dans la dernière décennie du XVe siècle. Ces études, en général très instructives, concernent cependant essentiellement les pronostications imprimées à partir des années 1480, et l’auteur reste assez évasif sur les témoins manuscrits antérieurs.

Les recherches menant à la présente thèse ont commencé au printemps 2011. Depuis l’étude d’Elide Casali parue en 2003, aucun travail n’avait abordé les prédictions astrologiques annuelles à la fin du Moyen Âge ; le sujet semblait néanmoins susciter depuis quelques décennies un certain intérêt pour les historiens. La parution peu après de trois importantes monographies sur le sujet confirment cette impression. Nous avons déjà cité les travaux de Monica Azzolini et Jonathan Green qui, chacun dans son domaine, apportent beaucoup à l’étude des prédictions annuelles (48). Il n’est par ailleurs pas possible d’ignorer le livre, volumineux et magistral, de Robert S. Westman, The Copernican question : Prognostications, Skepticism and Celestial order, paru fin 2011 (49). Résultat de plus de trente ans de recherche, les près de 700 pages, très denses, de ce volume constituent, me semble-t-il, une avancée majeure dans des domaines divers. L’historien américain soutient une thèse d’histoire intellectuelle, mais apporte des informations précieuses pour de nombreux autres champs de recherche. Son propos général est de démontrer que les avancées majeures de l’astronomie à l’époque moderne, de Copernic à Newton, n’avaient pas pour moteur la volonté de mettre en échec une astrologie fondée sur des principes ptoléméens, mais au contraire de la réformer pour la rendre plus efficace. Westman considère en particulier, et le démontre de façon très convaincante, que les recherches de Copernic menant au modèle héliocentrique ne pouvaient se concevoir sans l’abondance de prédictions astrologiques annuelles dans la ville universitaire de Bologne, où le chanoine polonais séjourne à partir de 1496. L’importance dans son cheminement intellectuel de ses échanges avec l’astrologue Domenico Maria Novara, était en effet connu de longue date, et c’est donc dans le même esprit que les 12 prédictions annuelles de celui-ci (de 1484 à 1504) ont fait l’objet fin 2012 d’une édition commentée (50).

Tout comme Jonathan Green et Elide Casali, Robert Westman et les éditeurs de Novara n’étudient donc les prédictions annuelles qu’à partir de la fin du XVe siècle. Il me semble ainsi que le recensement précis des pronostications antérieures devient particulièrement nécessaire à la poursuite des études historiques sur le sujet. Lors de la soutenance de ma thèse d’École des chartes, en 2014, j’appelais de mes vœux que l’analyse - à laquelle je me livrais alors, et qui demeure une importante partie de la présente thèse - des premières prédictions annuelles, qui sont visiblement le point de départ d’une évolution qui se poursuit après l’invention de l’imprimerie, mais commence dès le XIVe siècle, constitue un apport utile aux études historiques dans les différents domaines évoqués, voire en suscite d’autres.

Même si je ne saurais m’en estimer le seul responsable, ni même le principal instigateur (51), j’ai donc tout lieu de me réjouir des nombreuses contributions de ces toutes dernières années, abordant le sujet sous des angles divers et introduisant pour certaines des problématiques nouvelles et exaltantes. Signalons en particulier les travaux de Richard Kremer, déjà mentionnés, et de Klaus Oschema, auxquels s’ajoutent plusieurs contributions non dédiées spécifiquement aux prédictions annuelles, mais y faisant une place qui, souvent, manquait jusque-là (52).

Apports et choix méthodologiques du présent travail

Les prédictions astrologiques annuelles : un genre spécifique

Plus sans doute qu’à l’histoire des sciences ou à l’histoire culturelle, c’est à l’histoire de la littérature qu’il semble opportun d’emprunter un concept essentiel à la description des prédictions annuelles au XVe siècle : celui de genre littéraire. Mise en avant, en particulier, par Silvia Pfister dans son étude des prédictions parodiques du domaine germanique (53), la notion de "Gattung" permet de mettre en valeur la cohésion d’un corpus, les modèles dont il s’inspire et les écarts à ces modèles. Après examen d’un large corpus de prédictions annuelles et de textes plus ou moins proches, il nous semble que cette manière de les envisager est tout à fait appropriée. La définition "astrologique" de la "révolution des années du monde", distinguant les prédictions annuelles dans l’ensemble de la production astrologique pratique de la fin du Moyen Âge, constitue un premier argument pour leur traitement comme genre spécifique ; comme nous l’avons vu, elle est cependant trop imprécise. Plus encore, la comparaison des textes astrologiques de l’époque permet un regroupement plus restreint mais plus spécifique de prédictions partageant de nombreuses caractéristiques : présupposés idéologiques, méthodes astrologiques, construction rhétorique en sont les principales.

L’étude des prédictions annuelles comme genre littéraire a cependant un certain nombre de conséquences sur la définition même du corpus. Elle nécessite en effet le choix de critères discriminants sur l’appartenance ou non au genre. Dans notre cas, la définition normative des manuels d’astrologie, envisagée plus haut, n’était pas entièrement satisfaisante, car trop peu précise et parfois mal adaptée à la production contemporaine. Dans nos critères, nous avons cependant accordé une large place à la méthode astrologique. Une prédiction annuelle constitue le résultat d’une analyse astrologique de "figures du ciel" précises (54). Ainsi l’étude d’un phénomène exceptionnel, comme une éclipse ou une conjonction planétaire, ne constitue-t-elle pas, sauf exceptions, une prédiction annuelle. Cette dernière correspond, comme son nom l’indique, à l’étude des conséquences pour l’année immédiatement suivante de figures du ciel précises, toujours les mêmes d’une année sur l’autre, selon des méthodes reconnues par la communauté astrologique. Cela exclut notamment, pour la période qui nous intéresse, l’ensemble des prédictions de nature "prophétique", en particulier celles qui prévoient la fin du monde à une date imminente. Ce genre de textes existe bien au XVe siècle, mais à de rares exceptions près, il ne se confond pas avec les textes astrologiques avant la parution en 1488 de la Pronosticatio de Lichtenberger. Cela exclut aussi, nous l’avons déjà évoqué, les prédictions annuelles "personnalisées", que l’on peut généralement identifier aux "révolutions de nativité", et qui sont centrées sur la figure du ciel de l’anniversaire de naissance d’un individu, bien qu’elles prennent fréquemment en compte les figures générales de l’année.

Limites géographiques et chronologiques

On comprend ainsi que cette définition des prédictions annuelles comme genre cohérent dicte en partie les limites chronologiques et géographiques de cette étude. Les termini que je me suis fixé, 1405 en amont et 1484 en aval, ont plusieurs explications. La première est astronomique et astrologique : ces deux années correspondent à deux conjonctions planétaires majeures, entre Saturne et Jupiter. Elle n’est certes pas suffisante dans la mesure où ce phénomène se reproduit tous les vingt ans environ, mais de telles conjonctions constituent néanmoins des ruptures fortes dans la chronologie astrologique, tant leurs effets sont réputés graves (55).

La deuxième explication complète la première et y est probablement intimement liée : elle correspond à une transformation de la documentation aux conséquences importantes sur la densité des sources. Nous conservons certes des prédictions annuelles antérieures à 1405 - la première connue est datée de 1329 (56). Cependant, l’essentiel des quelques prédictions du XIVe siècle conservées est fragmentaire et dispersé. Cela rend très difficile la comparaison, chaque source semblant être un cas exceptionnel, et il ne nous est pas possible de les replacer dans une production suivie. L’année 1405, en revanche, peut-être à cause de la conjonction Saturne–Jupiter qui a lieu peu avant l’équinoxe de printemps, a suscité trois prédictions distinctes intégralement conservées d’après des copies contemporaines. L’édition que nous donnons de ces textes, dans le troisième volume de cette thèse, montre à quel point ceux-ci, exceptionnels par eux-mêmes, trouvent cependant une résonance dans toutes les prédictions qui suivent. Le prologue de Biagio Pelacani, en particulier, semble avoir été repris par plusieurs astrologues jusqu’à la fin du siècle. À partir de 1405, et surtout à partir de 1418, nous conservons des prédictions pour la plupart des années : seules 17 années ne sont pas couvertes par notre corpus, et jamais plus de quatre ans consécutifs, et nous conservons plusieurs prédictions différentes pour 30 années (57).

Parallèlement, notre terminus ad quem, 1484, correspond à une borne critique dans la production documentaire imprimée. L’utilisation de l’imprimerie pour l’édition de prédictions annuelles est certes précoce, dès le début des années 1470 ; ces prédictions imprimées cohabitent cependant avec leurs pendants manuscrits - ce sont parfois les mêmes textes, parfois des textes distincts - jusqu’au milieu des années 1480, moment à partir duquel les témoins manuscrits deviennent exceptionnels. C’est également à peu près à cette époque que la production explose et se diversifie, essentiellement grâce à l’adoption des langues vernaculaires (58). Comme on s’en doute, cette transformation a des conséquences tant sur la production que sur la réception des textes. Or elle est concomitante avec le grand succès de la Pronosticatio de Lichtenberger, publiée en 1488 et justement basée sur la conjonction de 1484. Sa fortune marque le départ d’une "acculturation" entre astrologie et prophétie qui bouleverse le contenu des oeuvres. Au final, bien que la continuité entre les pronostications du XVIe siècle et celles du XVe soit évidente, les changements produits à la fin des années 1480 remettent en question une grande partie des caractéristiques du genre des prédictions annuelles du XVe siècle. Enfin, cette périodisation nous semble placer cette étude en complémentarité avec les travaux historiques sur le sujet, dont nous avons dressé un bref panorama plus haut. Les prédictions du XIVe siècle ont souvent fait l’objet d’études dans d’autres contextes, généralement en lien avec la notoriété de leurs auteurs. On a notamment cité plus haut celles de Graziella Federici Vescovini concernant Biagio Pelacani, dont nous conservons, en plus de la prédiction pour 1405, un extrait d’une prédiction pour 1386 (59). La transformation des prédictions des années 1480 à la fin du XVIe siècle est également au centre des études récentes de Jonathan Green, Richard Kremer et Robert Westman (60).

La délimitation géographique et linguistique de cette étude découle largement de ces choix chronologiques et méthodologiques. L’essentiel des sources, dans la période qui nous concerne, est rédigée en latin, langue scientifique de l’époque. Les quelques sources vernaculaires repérées, du moins en domaine roman (61), ne semblent pas l’objet d’un processus comparable à celles en latin. Tout laisse penser qu’une petite minorité de prédictions annuelles a été traduite pour un public particulier. Même les pronostications des années 1480 et 1490 étaient rédigées en latin avant d’être traduites, ou plutôt adaptées, en vernaculaire (62). Il nous manque pour le début du XVe siècle les équivalents latins des textes en vernaculaire, si bien qu’il est difficile d’analyser ce processus d’adaptation. Enfin, il nous a paru préférable de déterminer les règles régissant le "cas général", c’est-à-dire les prédictions latines, de façon préalable et indépendante à toute confrontation des textes en vernaculaire. Ce choix de la langue latine détermine le domaine géographique sur lequel porte notre étude, à savoir l’ensemble de l’Europe parlant latin. S’il est possible, pour les historiens du siècle suivant, de s’intéresser à un domaine linguistique plus restreint, comme le font Jonathan Green et Elide Casali, ce choix serait une faiblesse majeure au XVe siècle. La production astrologique de cette période est le fait d’une "communauté astrologique" européenne, partageant les mêmes modèles et les mêmes méthodes. Aleksander Birkenmajer a par exemple démontré avec brio l’importance dans cette communauté de la "diaspora" de l’école astrologique de Cracovie, formant des maîtres qui se déplacent ensuite dans toute l’Europe (63). Plusieurs des prédictions de notre corpus font par exemple référence à la fois à Bologne et à Cracovie, et la plupart des auteurs de pronostications ont voyagé durant leur carrière. Enfin les sources sont en nombre suffisamment restreint pour permettre l’établissement d’un corpus européen cohérent.

Des prédictions astrologiques scientifiques et soutenables

Il aura probablement affleuré dans les lignes précédentes certaines des thèses qu’il me semble pertinent de défendre dans cette étude. Elles concernent principalement le caractère "scientifique" et "soutenable" des prédictions annuelles au XVe siècle. Ces qualifications appellent une définition et une mise en contexte. L’histoire de l’astrologie a constamment oscillé, depuis son apparition, entre deux pôles. Letronne, dans le passage que nous citions plus haut, adopte sans crainte des excès l’une de ces postures, consistant à voir dans l’astrologie une superstition indigne d’être étudiée, activité de charlatans dont il est honteux de constater qu’un petit nombre a su tromper pendant si longtemps la population comme les élites. S’il n’est heureusement plus nécessaire aujourd’hui de s’excuser ou de se justifier d’une étude sur l’histoire de l’astrologie, il est surprenant de constater la persistance de ce rejet dans l’historiographie du XXe siècle (64).

Le pôle opposé est représenté par des astrologues de formation, venus à étudier l’histoire de leur discipline, et prompts à analyser les productions astrologiques du passé avec comme postulat l’efficacité ou la pertinence de l’astrologie. Cette posture, fondée sur une croyance personnelle, est évidemment problématique de point de vue de l’historien, car incompatible avec l’objectivité scientifique exigible et exigée des études historiques. Pour renouveler cette dialectique, une troisième approche a été mise en avant ces dernières années par quelques historiens de l’astrologie. Elle s’inspire de la méthode anthropologique et est notamment défendue par Patrick Curry (65). Celui-ci souhaite en particulier dépasser la vision des astrologues comme "trompeurs". Il signale avec raison que la croyance en l’influence astrale n’était pas, sauf exceptions, remise en question au Moyen Âge et suggère aux historiens d’adopter la posture relativiste de l’anthropologie. Cette dernière consiste - résumée de façon très simplifiée - à aborder les rituels des cultures étudiées comme participant et non comme observateur extérieur, sans y superposer une autre conception de l’univers, issue de la culture d’origine de l’anthropologue et qu’il reconnaît préférentiellement comme "véridique" lorsqu’elle n’est pas compatible avec celle de la culture étudiée. L’intérêt de cette réflexion en anthropologie est évidemment majeur, tout comme l’éventualité de son utilisation dans les sciences historiques - y compris dans des domaines éloignés de l’astrologie, comme par exemple l’étude des récits de miracles du XIe siècle -, et nous n’envisageons pas d’y apporter ici une solution définitive. Il nous semble cependant qu’accepter comme présupposé une efficacité, même relative, de l’astrologie, prive d’un objet d’étude tout à fait intéressant : comment les astrologues, leurs détracteurs et leurs clients se confrontent-ils au fort risque d’échec de leurs prévisions ? Nous pensons par ailleurs que le rôle de l’historien, à la différence peut-être de celui de l’anthropologue, ne se conçoit justement que comme témoin extérieur à une époque révolue et non comme participant - difficulté avec laquelle doivent notamment composer les historiens du "temps présent".

Bien que nous souscrivions pas à l’idée selon laquelle l’astrologie aurait, de nos jours, une pertinence scientifique, il n’en allait pas de même au XVe siècle, et nous n’adoptons pas l’ensemble des présupposés "positivistes" à son sujet. En particulier, la perception des astrologues comme mystificateurs nous semble absurde (66). Nous espérons qu’il s’agit là d’une évidence pour les historiens du XXIe siècle, mais il est nécessaire de la rappeler, car nous trouvons des résurgences de cette conception dans une historiographie encore récente. Citons par exemple un passage de l’article de 1985 de Philippe Contamine, qui constitue notre point de départ pour l’étude des prédictions annuelles :

Il serait faux de croire que les astrologues n’aient eu aucun mal à faire passer leur message. Il leur fallait persuader, convaincre, donner des raisons, des semblants d’explication, être suffisamment vagues pour ne pas craindre les démentis, mais aussi suffisamment précis pour que leurs prédictions puissent être utiles et vérifiables. [. . .] (67)

Il est tout à fait exact que les auteurs de prédictions annuelles ont régulièrement dû faire des compromis, selon leur connaissance du contexte géopolitique ou leurs ambitions sociales, et ainsi passer certaines prédictions sous silence et orienter leur interprétation de certaines autres. Pourtant, ces transgressions ne se conçoivent que par rapport à un modèle de rigueur scientifique. Les prédictions annuelles, au XVe siècle, se veulent, selon la formule de Philippe Contamine, "utiles et vérifiables", mais elles ne donnent justement pas "des semblants d’explication". On peut donc bien les envisager comme soutenables, dans le sens où elles se veulent acceptables sur le moyen terme, non pas "suffisamment vagues pour ne pas craindre les démentis", mais plutôt suffisamment modérées pour ne pas s’exposer immédiatement à un échec quasi-certain. On ne trouve pas, au XVe siècle, de prédictions astrologiques annonçant la fin du monde pour l’année suivante, comme ce peut être le cas au siècle suivant. Nous pensons par ailleurs que l’essentiel des prédictions annuelles ne faisait pas l’objet d’un bénéfice immédiat : souvent fournies à titre gratuit, et largement diffusées auprès des puissants et des étudiants des universités, elles visaient surtout à alimenter le crédit de leur auteur (68). Elles devaient donc convaincre sur le moyen terme, c’est-à-dire au moins les premiers mois de l’année étudiée. Cette caractéristique peut-être comprise comme un compromis (ou une compromission) ; je la crois plutôt complémentaire de l’aspect scientifique des prédictions annuelles. En effet, sauf exceptions - qui existent, en petit nombre, parfois retentissantes comme la Pronosticatio de Lichtenberger, mais qu’il faut analyser comme écart à une norme -, les auteurs de prédictions annuelles ne cherchent pas à tromper leur lecteur ; ils essaient de mettre en application un système cosmologique dont ils sont eux-mêmes convaincus de la pertinence. Ils s’efforcent d’expliquer leur raisonnement et de citer leurs sources, rendant ainsi vérifiable l’ensemble de leur démarche. Ils s’appuient sur une doctrine cohérente, commune à l’ensemble de la communauté astrologique de l’époque. De ce fait, me semble-t-il, l’astrologie médiévale, du moins telle qu’elle s’exprime dans les prédictions annuelles, peut être considérée comme une science (ou une "proto-science"), à l’égal, par exemple, de la médecine hippocratique.

Sources utilisées, limites de cette étude et perspectives de recherches complémentaires

Cette thèse de doctorat s’inscrit dans un projet de recherche cohérent, qui a précédemment donné lieu à un mémoire de master, soutenu à l’université d’Orléans en juillet 2013, et à une thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, soutenue à l’École des chartes en février 2014. Un certain nombre de résultats étaient déjà présentés dans ces travaux, et malgré les corrections et mises à jour, de larges parties de cette étude (en particulier du premier volume) en restent tributaires.

Le catalogue des prédictions annuelles latines du XVe siècle (1405–1484) qui figure dans le deuxième volume, s’il en faisait déjà partie intégrante, a fait l’objet des principaux enrichissements par rapport à ces précédentes versions. J’ai localisé 111 prédictions manuscrites (69), dont certaines conservées en plusieurs exemplaires, parfois imprimés. Toutes ont été consultées et font l’objet d’une description aussi complète que possible, accordant en particulier une grande place à leur construction astrologique et rhétorique. Il serait fort présomptueux de penser que ce catalogue est actuellement exhaustif (70) ; cependant j’espère et je souhaite qu’il facilite la recherche historique sur les prédictions annuelles manuscrites ; sa publication sous forme électronique, en cours, devrait le rendre aisément accessible aux historiens.

Pour des raisons méthodologiques, les incunables ne se prêtaient pas à une analyse exactement identique à celle que nous avons faite des prédictions manuscrites : conservés en plusieurs exemplaires et souvent en plusieurs éditions, un certain nombre sont fragmentaires alors que la quasi-totalité des prédictions manuscrites sont complètes. Contrairement à ce que j’avais initialement prévu au début de ces recherches, je n’ai finalement pas cherché à en proposer une étude aussi complète, pour des raisons de temps et de volume, bien entendu, mais également vis-à-vis des travaux historiques déjà en cours sur le sujet. Je me contente donc de proposer dans le catalogue un recensement sommaire fondé sur les données de l’Incunabula Short Title Catalogue (British Library) et du Gesamtkatalog der Wiegendrucke (Staatsbibliothek zu Berlin), corrigées et enrichies seulement de manière ponctuelle. Sur la période 1470–1488, plus cohérente pour les imprimés (71), 84 prédictions pour 13 années différentes ont ainsi été identifiées, conservées par 183 exemplaires de 112 éditions (72). Seul, ce recensement permet d’intéressantes conclusions statistiques, mais une étude détaillée aurait exigé la consultation, sinon de tous les exemplaires, au moins d’un exemplaire de chaque édition, ce qui ne m’a pas été possible (même, malgré la généralisation de la numérisation, sous forme de reproduction). À l’exception des prédictions également conservées sous forme manuscrite, pour lesquelles une étude plus poussée a été réalisée, y compris des exemplaires imprimés, je me suis restreint à une analyse détaillée d’une vingtaine de prédictions incunables, conservées à la British Library, la Bibliothèque nationale de France, la Staatsbibliothek zu Berlin, la Herzog August Bibliothek (Wolfenbüttel) et la Pierpont Morgan Library (New York). Les références précises figurent dans l’état des sources. Quelques autres, accessibles sous forme de reproduction (et signalées dans le catalogue), ont fait l’objet d’une étude plus superficielle.

Des prédictions, manuscrites et imprimées, qui ont été rédigées au XVe siècle, il semble évident que nous ne conservons qu’une petite fraction, et il est très probable que notre recensement, tout méthodique que nous ayons tenté de le rendre, ne soit pas exhaustif. Comme expliqué plus en détail dans l’introduction du catalogue (p. 359), nous avons essentiellement utilisé les deux catalogues de manuscrits astrologiques latins existant, le Catalogue of incipits of scientific writings in latin de Pearl Kibre et Lynn Thorndike (73) et le Catalogus Codicum Astrologorum Latinorum de David Juste (74). Il m’a certes été possible de repérer quelques prédictions inconnues de ces deux catalogues, grâce à des trouvailles dans les catalogues des principales bibliothèques européennes et dans quelques articles bibliographiques, mais tout laisse croire que certaines prédictions mal cataloguées et dispersées dans de petits dépôts me restent inconnues (75). Il faut par ailleurs toujours avoir à l’esprit en étudiant les prédictions annuelles que ces textes forment un genre éphémère par nature. Associées à une année particulière, elles n’ont plus d’intérêt une fois l’année terminée ; la plupart d’entre elles a ainsi dû être détruite ou recyclée une fois usagée, comme nous ferions de nos jours d’un calendrier. Leur conservation ne peut donc résulter que d’un oubli ou d’une démarche volontaire de collection (76).

Cette observation nous amène, au delà de la non-exhaustivité du corpus, à nous interroger sur la représentativité des sources que nous étudions. Outre l’échantillonnage mentionné plus haut pour les prédictions imprimées, nous dépendons surtout de deux critères de sélection : la conservation des textes, d’une part, et la plus grande visibilité donnée à certains fonds (77). En effet, la quasi-totalité des prédictions annuelles que nous conservons sont, pour autant qu’on puisse le déterminer, des copies et non des autographes. L’exception la plus remarquable correspond au livre de travail de l’astrologue anglais Richard Trewythian, repéré par Sophie Page dans les fonds de la British Library, et qui contient une dizaine de prédictions annuelles à l’état de brouillons (78). En présence d’une telle majorité de copies, il faut nous demander d’une part ce que sont devenus les originaux, et d’autre part dans quelle mesure le corpus dont nous disposons est le résultat d’une sélection au moment de la copie. Il est tout à fait plausible que toutes les prédictions n’aient pas été jugées dignes d’être copiées, auquel cas notre corpus dériverait de critères de sélection que nous ignorons. En particulier, quelques recueils, réalisés par des collectionneurs de la fin du XVe et du XVIe siècles, concentrent un grand nombre de prédictions annuelles. L’étude des deux recueils de l’humaniste allemand Hartmann Schedel, auteur des Chroniques de Nüremberg, met particulièrement en exergue la similitude des prédictions copiées, qui ne correspond pas à un caractère partagé par toutes les prédictions conservées (79). Hartmann Schedel semble par exemple apprécier les prédictions faisant une grande place aux calendriers météorologiques et médicaux - ce qui est loin d’être le cas de toutes les prédictions annuelles.

Enfin, il nous faut déplorer le peu de sources complémentaires dont nous disposions, en dehors des prédictions elles-mêmes. Celles-ci, malheureusement, sont assez peu réflexives et ne nous renseignent que rarement sur le contexte de leur écriture et de leur diffusion. Il existe probablement quelques archives politiques ou judiciaires faisant état du comportement des astrologues et de leurs contemporains vis-à-vis de ces prédictions, mais elles sont pour la plupart enfouies dans des dépôts d’archives sans indice de leur présence. Un dépouillement systématique de toutes les archives judiciaires, universitaires et princières, pour commencer, constituerait déjà un travail prométhéen que nous interdisait absolument le temps limité et le large domaine géographique étudié. Monica Azzolini, dans ses études sur Milan, a exhumé de telles archives à l’Archivio di Stato di Milano, prouvant ainsi leur existence et leur grand apport pour notre sujet. Il s’agit cependant d’un cas très particulier, à notre connaissance, sans équivalent ailleurs en Europe. De façon générale, nous avons malheureusement trouvé peu d’archives témoignant de la pratique. Nous avons seulement pu traquer, à l’occasion, une mention dans un livre de comptes réputée se rapporter à l’un des jugements annuels de notre corpus. L’apport d’une telle documentation serait bien entendu décisif, et contribuerait à établir définitivement nombre de nos hypothèses.

En dehors des prédictions annuelles elles-mêmes, nous avons donc essentiellement eu recours aux textes astrologiques normatifs. Ces manuels d’autorités grecques, arabes, juives ou même latines sont cités dans les prédictions, et ces renvois expliquent la méthode astrologique employée. Ils nous ont été d’une grande utilité pour restituer les mécanismes internes du genre scientifique des prédictions annuelles. La plupart de ces textes disposent d’une importante tradition manuscrite en latin et dans leur langue d’origine ; certains bénéficient d’une édition critique. À moins qu’une telle édition ait été réalisée d’après la tradition latine - et non pas d’après les sources grecques ou arabes traduites a posteriori - nous avons eu recours de préférence aux éditions incunables principes. Réalisées entre 1480 et 1500, celles-ci nous ont paru transmettre un texte suffisamment proche de celui dont disposaient les astrologues du XVe siècle. Il faut cependant se garder d’en déduire que ces textes étaient au cours du XVe siècle aussi accessibles et aussi normalisés que ne les ont rendus les éditions imprimées (80). À chaque fois que la chose était possible, nous nous sommes attaché à comparer les méthodes conseillées par ces textes normatifs et celles attestées dans les prédictions elles-mêmes, sans négliger d’envisager un décalage entre les affirmations des astrologues dans les prédictions et leurs sources réelles.

Conformément aux règles de dépôt des thèses de l’université d’Orléans, ce mémoire prend la forme d’un fichier numérique unique destiné à l’archivage pérenne. Il contient un certain nombre de fonctionnalités hypertextuelles propre à l’environnement numérique, en particulier des renvois internes (notamment dans le catalogue) et des tables et index dynamiques (81). Néanmoins, il a d’abord été conçu comme un ouvrage imprimé composé de trois volumes distincts, correspondant à quatre ensembles intellectuels. Le premier contient l’étude proprement dite ; le deuxième est consacrée au catalogue des prédictions astrologiques annuelles latines du XVe siècle. Dans le dernier volume, plus bref, sont rassemblées les deux ensembles restants : l’édition critique des trois prédictions annuelles conservées pour 1405, d’une part, et les tables et index généraux de l’autre. Bien que déjà présents dans ma thèse d’École des chartes, ces deux derniers volumes, davantage que le premier, ont fait l’objet de nombreuses améliorations. Nous ne saurions trop recommander au lecteur de les utiliser en parallèle à l’étude du premier, dans lequel nous donnons de fréquentes mais concises références à des prédictions en particulier. L’édition critique commentée et la traduction en français moderne des prédictions pour 1405, à la fois représentatives et exceptionnelles, permettra de suivre la mise en application concrète des protocoles que nous exposons. Il n’était évidemment pas envisageable d’éditer l’ensemble des prédictions de notre corpus, mais nous avons cherché à en multiplier les citations dans le texte du premier volume, afin de présenter un échantillon le plus large possible des textes manuscrits du XVe siècle. À défaut d’une telle édition de masse, le catalogue contribue à décrire le genre dans sa diversité, tout en mettant en exergue ses principaux caractères constitutifs. Une notice signale les particularités de chaque prédiction, en s’attardant notamment sur son plan et sur la méthode astrologique utilisée. Nous nous sommes également attaché à permettre une comparaison la plus facile possible entre prédictions de la même année, du même auteur ou du même recueil. Le catalogue contient également des tables et index propres permettant une lecture plus fluide.

L’étude proprement dite, imprimée dans le présent volume, comprend douze chapitres répartis en trois parties principales. La première s’attache à montrer la "scientificité" des prédictions annuelles en tant que genre. Elle décrit les autorités de référence et les principales méthodes astrologiques mises en œuvre, dans une perspective diachronique et tout en repérant les écarts au paradigme. Il nous a paru indispensable de commencer par cette partie technique, peut-être difficile d’accès au lecteur peu habitué des mécanismes astrologiques (82), car il s’agit à notre sens du caractère constitutif le plus marqué des jugements annuels. La deuxième partie s’attache néanmoins à nuancer ce monolithisme de façade en montrant l’importance du contexte de rédaction, notamment géopolitique, qui donne aux prédictions du XVe siècle leur caractère "soutenable" et au corpus sa diversité. Enfin, la troisième et dernière partie aborde ce même contexte du point de vue des lecteurs (ou auditeurs) des pronostications. Nous cherchons à y montrer que leur public, ainsi que l’accueil - globalement favorable - qui leur est réservé, ne sont pas toujours ceux auxquels s’attendent les auteurs. Les pronostications, qui font l’objet de stratégies politiques, sont ainsi indubitablement un objet médiatique important dans l’univers culturel du XVe siècle ; pourtant, leur transmission et leur conservation - très partielle - jusqu’à nos jours ne reflètent pas entièrement les situations de production et de réception contemporaines.

Après le mémoire de master et la thèse d’École des chartes qui l’ont précédée, cette thèse achève un projet de recherche ébauché pour la première fois en 2011. Il me semble être ainsi arrivé à un panorama assez complet des prédictions annuelles du XVe siècle dans leurs différentes dimensions. Certaines pistes de recherches envisagées au cours de ces années ont malheureusement dû être mises de côté, et de nombreux points pourraient bien entendu encore être approfondis : si j’ai cherché à travailler davantage dans cette thèse la dialectique entre prédictions manuscrites et prédictions imprimées, et plus spécifiquement entre almanachs et pronostications, seulement ébauchée en 2014, des analyses plus poussées, appuyées sur un plus large corpus et en lien avec les autres travaux historiques en cours seraient intéressantes. Au début de mes recherches, je travaillais avec l’hypothèse d’une transformation rapide du genre à partir de l’invention de l’imprimerie ; les conclusions de la présente étude tendent au contraire à repousser cette métamorphose à la fin des années 1480, voire aux années 1490. Dans ces conditions, le catalogage complet des jugements incunables serait souhaitable. La présente thèse laisse également de côté d’autres enjeux très intéressants : l’usage des carrés astrologiques (83), par exemple, mériterait d’être mieux étudié : ces schémas semblent avant tout des aides techniques, utilisés par les astrologues durant la rédaction de leur texte, sans vocation à être ensuite publiés. Pourtant, peut-être à cause d’un aspect ésotérique, ils paraissent avoir particulièrement attiré certains collectionneurs, qui tracent parfois le schéma sans vérifier que leur original leur permettra de le remplir, mais aussi les imprimeurs à partir des années 1490. Dans les gravures sur bois de la fin du siècle, ils deviennent même, avec le sextant, un attribut caractéristique de la représentation de l’astrologue. Leur étude, bien que passionnante à l’échelle des prédictions annuelles, mériterait probablement un corpus plus large, encore insuffisamment décrit. Enfin, de façon peut-être plus ambitieuse encore, l’étude des prédictions annuelles telles que nous les avons définies appelle la comparaison avec l’ensemble des textes que nous avons exclus de notre corpus : prédictions en langues vernaculaires, mal repérées mais existant déjà au XVe siècle (voir plus haut), prédictions annuelles "personnalisées", rédigées pour un prince en particulier et que nous conservons également en nombre important alors qu’elles ne semblaient pas avoir vocation à être largement copiées, prédictions astrologico-prophétiques, que nous ne faisons qu’évoquer à plusieurs reprises dans cette thèse, etc., ne sont que les principaux genres "tangents" aux jugements annuels dont l’analyse enrichirait la connaissance de ces derniers. De telles études permettraient probablement d’approfondir notre compréhension de la place et du rôle des prédictions astrologiques en général dans l’univers culturel de la fin du Moyen Âge.

_______________
Notes et références

  1. Il n’entre pas dans l’objet de la présente étude de proposer une comparaison avec la période contemporaine, ni d’envisager sur le temps long l’évolution des prédictions annuelles. Une telle recherche, qui ferait sans doute une grande part à l’anthropologie, serait cependant d’un grand intérêt dans une perspective d’histoire globale.
  2. L’obligation figure explicitement dans les statuts de la faculté des arts de 1405, au chapitre LX : "Item statuerunt [. . .] quod doctor electus [. . .] teneatur judicia dare gratis scolaribus dicte Universitatis [. . .], et etiam singulariter judicium anni in scriptis ponere ad stationem generalium Bidellorum" (Statuti delle Università e dei collegi dello studio bolognese, dir. Carlo Malagola, Bologne : Nicola Zanichelli, 1888, 524 p., réimpr. Turin : Bottega d’Erasmo, 1966, p. 264 ; nous citons le texte complet infra, p. 282). La mention du tacuinus est un peu plus tardive ; à partir du milieu du siècle, les lecteurs en astrologie reçoivent explicitement pour consigne : "faciat judicium et tacuinus" (voir en particulier Fabrizio Bònoli et Daniela Piliarvu, I lettori di astronomia presso lo studio di Bologna dal XII al XX secolo, Bologne : CLUEB, 2001, 282 p.). Nous revenons sur ces textes dans le chapitre 11 (cf. 11.1 p. 282 et suivantes).
  3. Robert S. Westman, The Copernican question : prognostication, skepticism, and celestial order, Berkeley : University of California Press, 2011, 681 p., p. 41 et n. 94 p. 520.
  4. Cette expression est relativement bien attestée dans les domaines astrologique et médical, mais rarement associée à sa définition exacte. On la retrouve plutôt mentionnée dans des documents périphériques, comme par exemple cette charte de la faculté de médecine de Paris qui accorde en 1452 un "congé-formation" à l’astrologue Jean Avis pour passer le baccalauréat, d’autant plus volontiers qu’il est engagé à présenter à la faculté "le grand et le petit almanachs" (exemple cité par Lynn Thorndike, A history of magic and experimental science, vol. 4 : Fourteenth and fifteenth centuries, New-York : Columbia University Press, 1934, p. 141–142).
  5. Nous étudions plus en détail ces questions dans le chapitre 6 : cf. 6.2 p. 137 et suivantes.
  6. J’emprunte ces définitions, ainsi que la notion d’"almanach-pronostication", à Ahmet Tunç Şen, qui a consacré une importante partie de sa thèse récente (et encore inédite) à ce genre parallèle à celui que nous étudions dans l’empire ottoman des XVe–XVIe siècles : Ahmet Tunç Şen, Astrology in the Service of the Empire : Knowledge, Prognostication, and Politics at the Ottoman Court, 1450s–1550s, thèse de doct., The University of Chicago, 2016, 414 p. Voir également Michael Hofelich et Daniel Martin Varisco, "Takvīm", dans Encyclopædia of Islam, Second Edition, vol. 10, Leiden : E. J. Brill, 2000, p. 145–147, et sur la tradition latine du terme, George Sarton et Lynn Thorndike, "Notes and Correspondence : Tacuinum", dans Isis, 10, 1928, p. 489–493.
  7. [Voir][en particulier l’introduction critique]Daniel Poirion et Claude Thomasset, L’art de vivre au Moyen-Age : codex Vindobonensis series nova 2644 conservé à la Bibliothèque nationale d’Autriche, Paris : P. Lebaud, 1995, 326 p. Le manuscrit reproduit en fac-similé dans cet ouvrage appartient à une seconde tradition latine, dont laquelle la présentation sous forme de tableau a été abandonnée au profit d’un riche cycle d’illustrations.
  8. Voir en particulier Tommaso Duranti, Mai sotto Saturno : Girolamo Manfredi, medico e astrologo, Bologne : CLUEB, 2008, 212 p., p. 159. La question est aussi abordée par Albano Sorbelli, "Il “Tacuinus” dell’Università di Bologna e le sue prime edizioni", dans Gutenberg Jahrbuch, 33, 1938, p. 109–114 ; Elide Casali, Le spie del cielo : oroscopi, lunari e almanacchi nell’Italia moderna, Torino : Einaudi, 2003, 331 p. (Biblioteca Einaudi, 158) ; Richard L. Kremer, "Incunable Almanacs and Practica as Practical Knowledge Produced in Trading Zones", dans The structures of practical knowledge, dir. Matteo Valleriani, Cham : Springer, 2017, p. 333–369. Nous reviendrons sur la nature du tacuinus et son lien avec les prédictions annuelles dans le sixième chapitre de la première partie cette étude (cf. 6.2.1 p. 138 et suivantes).
  9. L’ouvrage de référence sur Lichtenberger et la Pronosticatio reste Dietrich Kurze, Johannes Lichtenberger : Eine Studie zur Geschichte der Prophetie und Astrologie, Lübeck et Hamburg : Matthiesen, 1960, 100 p. (Historische Studien, 379). Voir chapitre 9, p. 241 et suivantes.
  10. La plupart des historiens ayant étudié les prédictions du début du XVIe siècle proposent une définition des termes "pronosticatio" et "practicum", et de leurs équivalents vernaculaires, mais celles-ci sont rarement appuyées sur des exemples attestés et sont souvent contradictoires entre elles. Alors que Franz Hammer, par exemple, propose de voir une différence de support - les Praktiken germaniques seraient imprimés sur une seule feuille alors que les Prognostiken formeraient plutôt des cahiers (voir plus loin, note 68 p. 298) -, Darin Hayton affirme que cette même distinction est d’abord linguistique : "Practica were the vernacular counterpart to judicia. Prognostica were generally produced in response to a prodigious or unusual event, such as a comet or a planetary conjunction [. . .]" (Darin Hayton, "Astrology as Political Propaganda : Humanist Responses to the Turkish Threat in Early Sixteenth Century Vienna", dans Austrian History Yearbook, 38, 2007, p. 61–91, voir note 64 p. 77). En dépit de la récente tentative de conciliation de ces définitions par Richard Kremer (Kremer, "Incunable Almanacs and Practica as Practical Knowledge Produced in Trading Zones", op. cit.), ces typologies nous semblent peu convaincantes, a fortiori pour le XVe siècle, moins étudié, et où les frontières entre genres sont plus mouvantes.
  11. Ibid. ; voir également Westman, The Copernican question, op. cit., p. 40–43. Pour le domaine médical, lire Danielle Jacquart, "L’enseignement de la médecine : quelques termes fondamentaux", dans Méthodes et instruments du travail intellectuel au Moyen âge : études sur le vocabulaire, dir. Olga Weijers, Turnhout : Brepols, 1990, p. 104–120.
  12. On le trouve en particulier dans le sous-titre de deux ouvrages récents, certes plutôt consacrés au XVIe siècle : Jonathan Green, Printing and prophecy : prognostication and media change (1450-1550), Ann Arbor : University of Michigan Press, 2012, 265 p. (Cultures of knowledge in the early modern world) ; Westman, The Copernican question, op. cit.
  13. À propos de "pronostic", voir en particulier la récente étude de Laurence Moulinier-Brogi, "Prévision, prédiction et pronostic dans l’Occident médiéval : Quelques remarques sur des notions fluides", dans Diligens Scrutator Sacri Eloquii : Beiträge zur Exegese- und Theologiegeschichte des Mittelalters, Festgabe für Rainer Berndt SJ zum 65. Geburtstag, dir. Hanns Peter Neuheuser, Ralf M. W. Stammberger et Matthias M. Tischler, Münster : Aschendorff Verlag, 2016, p. 471–487.
  14. Thérèse Charmasson, "L’Astronomie, la Cosmologie, l’Astrologie et les Sciences divinatoires", dans Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, dir. Jean Frappier, Hans Robert Jauss et Erich Köhler, vol. VIII.1, Heidelberg : Carl Winter Universitätsverlag, 1988, p. 321–335.
  15. Cette expression n’est elle-même pas dépourvue d’ambiguïtés, que nous nous efforçons de lever dans les paragraphes qui suivent : en particulier, nous n’étudions pas dans cette thèse les prédictions annuelles "personnalisées", c’est-à-dire envoyées à un prince en particulier et faisant une large place à ses caractéristiques astrologiques propres, notamment à la révolution de sa nativité. Nous y reviendrons dans le chapitre 12, voir en particulier la note 73 p. 328.
  16. On se reportera en particulier à la définition complète des quatre principaux genres astrologiques que donne Charles Burnett, d’après le Speculum astronomie, dans la section qu’il consacre à l’astrologie du guide linguistique et bibliographique Medieval Latin : an introduction and bibliographical guide. Charles Burnett, "Astrology", dans Medieval Latin Studies : An Introduction and Bibliographical Guide, dir. F.A.C. Mantello et A.G. Rigg, Washington : The Catholic University of America Press, 1996, p. 369–382, p. 375–376. Le Speculum astronomie a été édité par Paola Zambelli : Albert le Grand, The "Speculum astronomiae" and its enigma : astrology, theology and science in Albertus Magnus and his contemporaries, dir. Paola Zambelli, Bordrecht, Boston et London : Kluwer academic publishers, 1992, 352 p. (Boston studies in the philosophy of science, 135).
  17. "Dicemus ergo quod quia stellarum pronosticatio in duo dividitur, que sunt majore et potiores ejus partes, quarum prima et que est universalis : illa pars est qua scitur quod in regionibus ac terris futurum sit, vocaturque pars universalis. Secunda vero pars, que predicta minus est universalis, est illa qua quid unicuique futurum sit deprehendit, nominaturque nativitatum scientia." (II, 1, f. 29v dans l’édition de 1493). Et le commentateur égyptien du XIe siècle, Hali Abenrudian, de rajouter : ". . . questiones tamen et electiones sunt res debiles satis, nec rem naturalem, consequuntur nec multum a longe." (loc. cit.). L’ouvrage de Ptolémée est cependant insuffisant pour établir une prédiction annuelle complète, et le genre n’est décrit en détail que par les autorités arabo-persanes, à partir du VIIIe siècle. Nous décrivons plus en détail les autorités astrologiques que nous citons, et les éditions de leurs textes que nous utilisons, dans le premier chapitre de la première partie de cette étude (voir p. 5 et suivantes).
  18. Nous détaillons plus loin dans cette introduction et dans le corps de cette thèse les raisons qui nous poussent à refuser le rattachement des prédictions consacrées spécifiquement à une comète, une éclipse ou une conjonction au genre des prédictions annuelles.
  19. Auguste Bouché-Leclercq, L’astrologie grecque, Paris : E. Leroux, 1899, 658 p.
  20. On pense en particulier aux travaux de Fritz Saxl et d’Aby Warburg, et à l’ouvrage d’Eustace F. Bosanquet, English printed Almanacks and prognostications : A bibliographical history to the year 1600, London : Chiswick Press, 1917, 204 p.
  21. Lynn Thorndike, A history of magic and experimental science, 8 vol., New-York : Columbia University Press, 1928–1958 ; Id., Science and thought in the fifteenth century : studies in the history of medicine and surgery, natural and mathematical science, philosophy and politics, New York : Colombia University Press, 1929, 387 p.
  22. On pense particulièrement aux chapitres XLI, "Astrological predictions : 1405–1435", p. 65–80 et LVIII, "Astrological predictions : 1464–1500", p. 438–485, ainsi qu’à ceux consacrés à Biagio Pelacani (chapitre XXIX), Giovanni Fondi (XLVIII) et Conrad Heingarter (LIV). Bien entendu il est également question de prédictions annuelles de façon plus ponctuelle, passim dans le reste du volume.
  23. Ernest Wickersheimer rédige en particulier un dictionnaire prosopographique des médecins français - Ernest Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen-Âge, dir. Guy Beaujouan, éd. Danielle Jacquart, 3 vol., Genève : Droz, 1979, 365 p., nouvelle édition de l’ouvrage de 1936 avec volume de Suppléments par Danielle Jacquart-et une première édition de l’ouvrage de Simon de Phares : Simon de Phares, Recueil des plus célèbres astrologues et quelques hommes doctes : faict par Symon de Phares du temps de Charles VIIIe, [publié d’après le manuscrit unique de la Bibliothèque nationale par le Dr. Ernest Wickersheimer], éd. Ernest Wickersheimer, Paris : H. Champion, 1929, 303 p.
  24. Sorbelli, "Il “Tacuinus” dell’Università di Bologna e le sue prime edizioni", art. cit.
  25. Bouché-Leclercq, L’astrologie grecque, op. cit., p. vi. L’ouvrage dont il est question est celui d’Antoine Jean Letronne, Analyse critique des représentations zodiacales de Dendéra et d’Esné : où l’on établit que ces représentations ne sont point astronomiques, que les figures, autres que celles des signes du zodiaque, ne sont pas des constellations, que le zodiaque circulaire de Dendéra n’est point un planisfère soumis à une projection quelconque, Paris : Imprimerie royale, 1845, 112 p., extrait de : Mémoires de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, Tome XVI, 2e partie.
  26. Klaus Oschema, revenant récemment sur cette désaffection historiographique, compare les prédictions annuelles à une "littérature pulp" de l’astrologie médiévale (Klaus Oschema, "Unknown or Uncertain ? Astrologers, the Church, and the Future in the Late Middle Ages", dans The Fascination with Unknown Time, dir. Sibylle Baumbach, Lena Henningsen et Klaus Oschema, Cham : Palgrave Macmillan, 2017, p. 93–114).
  27. Alberto Serra-Zanetti, "I pronostici di Girolamo Manfredi", dans Studi Riminesi e bibliografici in onore di Carlo Lucchesi, Faenza : Fratelli Lega, 1952, p. 193–213.
  28. Charles Perrat, "Sur “Un tas de prognostications de Lovain”", dans François Rabelais : ouvrage publié pour le quatrième centenaire de sa mort (1553–1953), Genève et Lille : Droz, 1953 (Travaux d’Humanisme et de Renaissance, 7), p. 60–73.
  29. Het zal koud zijn in ’t water als ’t vriest : zestiende-eeuwse parodieën op gedrukte jaarvoorspellingen, éd. Hinke van Kampen, Herman Pleij et Bob Stumpel, La Haye : Nijhoff, 1980, 240 p.
  30. Silvia Pfister, Parodien astrologisch-prophetischen Schrifttums (1470-1590) : Textform, Entstehung, Vermittlung, Funktion, Baden-Baden : V. Körner, 1990, 684 p. (Saecula spiritalia, 22), publication d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Bamberg en 1988.
  31. Voir en particulier les éditions critiques commentées : François Rabelais, Pantagrueline prognostication pour l’an 1533 : avec les Almanachs pour les ans 1533, 1535 et 1541, la Grande et vraye pronostication nouvelle de 1544, éd. crit. Michael Andrew Screech, Genève et Paris : Droz, 1974, 179 p. (Textes littéraires français, 215) ; Jean Molinet, Les pronostications joyeuses, éd. crit. Jelle Koopmans et Paul Verhuyck, Genève : Droz, 1998, 255 p. (Textes littéraires français, 496).
  32. Franck Manuel, L’âne astrologue : les Pronostications joyeuses en Europe (1476-1623), thèse de doct., Université de Toulouse–Le Mirail, 2006, 2 vol.
  33. Franck Manuel a bien senti le besoin de la comparaison entre les modèles et leurs parodies ; malheureusement, la première partie de sa thèse, consacrée aux précédents "sérieux" des Pronostications Joyeuses, manque une large partie du corpus, notamment manuscrit. Nous y reviendrons dans le chapitre 12 (cf. 12.4 p. 333 et suivantes).
  34. Philippe Contamine, "Les prédictions annuelles astrologiques à la fin du Moyen Age : genre littéraire et témoin de leur temps", dans Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités : Mélanges Robert Mandrou, Paris : Presses Universitaires de France, 1985, p. 191–204.
  35. Ibid., p. 96.
  36. "Astrologi hallucinati" : stars and the end of the world in Luther’s time, actes du colloque homonyme (Berlin, Wissenschaftskolleg, 28–29 mai 1984), dir. Paola Zambelli, Berlin et New-York : W. de Gruyter, 1986, 293 p.
  37. Les actes en ont été édités en 1991 : Observer, lire, écrire le ciel au Moyen Âge, actes de colloque (Orléans, 22–23 avr. 1989), dir. Bernard Ribémont, Paris : Klincksieck, 1991, 316 p. (Collection Sapience, 1).
  38. Jean-Patrice Boudet, "Un jugement astrologique en français sur l’année 1415", dans Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge : Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, éd. Jacques Paviot et Jacques Verger, Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2000, p. 111–120.
  39. Ibid., p. 117–118.
  40. Monica Azzolini, The Duke and the stars : astrology and politics in Renaissance Milan, Cambridge et Londres : Harvard University Press, 2013, 370 p. Les thèses concernant les prédictions annuelles étaient déjà développées principalement dans deux articles : Ead., "The Politics of Prognostication : Astrology, Political Conspiracy and Murder in Fifteenth-Century Milan", dans History of Univesities, 23.2, 2008, p. 6–34 ; Ead., "The political uses of astrology : predicting the illness and death of princes, kings and popes in the Italian Renaissance", dans Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, 41.2 : Stars, Spirits, Signs : Towards a History of Astrology 1100-1800, 2010, p. 135–145 
  41. Maxime Préaud, Les Astrologues à la fin du Moyen Âge, Paris : J.-C. Lattès, 1984, 247 p.
  42. Ibid., chapitre 6, p. 131-156.
  43. Malgré la grande rigueur de son édition de la prédiction de Conrad Heingarter, alimentée par l’identification précise de toutes les allusions astrologiques, Maxime Préaud ne disposait malheureusement pas d’un corpus suffisant pour reconnaître le caractère tout à fait exceptionnel de la prédiction de Heingarter du point de vue de la méthode astrologique.
  44. Casali, Le spie del cielo, op. cit.
  45. Graziella Federici Vescovini, "Su uno scritto astrologico sconosciuto di Biagio Pelacani de Parma", dans Rinascimento, 11, 1971, p. 79–93 ; Ead., "Biagio Pelacani’s Astrological History for the Year 1405", trad. de l’italien Paola Brambilla, dans Culture and Cosmos, 2, 1998, p. 24–32.
  46. Holger Nickel, "Almanache und Prognostika als Quelle für den Buchhandel der Frühdruckzeit", dans Das Buch als Quelle historischer Forschung : Dr. Fritz Juntke anlässlich seines 90. Geburtstages gewidmet, éd. Joachim Dietze, Jutta Fliege et Karl KlausWalther, Leipzig : Bibliographisches Institut, 1977, p. 120–130.
  47. Jonathan Green, Printing and prophecy : prognostication and media change (1450-1550), Ann Arbor : University of Michigan Press, 2012, 265 p. (Cultures of knowledge in the early modern world).
  48. Casali, Le spie del cielo, op. cit. ; Azzolini, The Duke and the stars, op. cit. ; Green, Printing and prophecy, op. cit.
  49. Robert S. Westman, The Copernican question : prognostication, skepticism, and celestial order, Berkeley : University of California Press, 2011, 681 p.
  50. Fabrizio Bònoli, Giuseppe Bezza, Salvo De Meis et al., I pronostici di Domenico Maria da Novara, Florence : L. S. Olschki, 2012, 317 p., avec en annexe la transcription de l’ensemble des prédictions annuelles de Domenico Maria da Novara conservées.
  51. Bien que ma thèse d’École des chartes n’ait pas été publiée, elle fait l’objet d’un résumé détaillé dans les Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion de 2014 pour obtenir le diplôme d’archiviste paléographe (Paris : École nationale des chartes, 2014, p. 243–255 et en ligne : http:// theses.enc.sorbonne.fr/2014/tur). Parmi les contributions qui en sont tirées, signalons notamment Alexandre Tur, "Hartmann Schedel, collectionneur et copiste de prédictions astrologiques annuelles", dans Bulletin du bibliophile, 2, 2015, p. 278–296. L’édition électronique du catalogue des prédictions manuscrites, envisagée en 2014, s’est avérée plus longue que prévu mais reste d’actualité.
  52. Kremer, "Incunable Almanacs and Practica as Practical Knowledge Produced in Trading Zones", op. cit. ; Klaus Oschema, "Entre superstition et expertise scientifique : l’astrologie et la prise de décision des ducs de Bourgogne", dans Les cultures de la décision dans l’espace bourguignon : acteurs, conflits, représentations, actes de colloque (Rencontres de Münster, 22–25 sept. 2016), dir. Alain Marchandisse, Gilles Docquier et Nils Bock, Neuchâtel : Centre européen d’études bourguignonnes, 2017 (PCEEB, 57), p. 89–103 ; Id., "Zukunft gegen Patronage ? Spätmittelalterliche astrologische Prognostiken und die Kontaktaufnahme mit Mäzenen", dans Mäzenaten im Mittelalter aus europäischer Perspektive : Von historischen Akteuren zu literarischen Textkonzepten, dir. Bernd Bastert, Andreas Bihrer et Timo Reuvekamp-Felber, Göttingen : V & R, 2017 (Encomia Deutsch, 4), p. 267–291 ; Id., "Unknown or Uncertain ?", op. cit. Parmi les contributions récentes prenant en compte les prédictions annuelles, signalons notamment Darin Hayton, The Crown and the Cosmos : Astrology and the Politics of Maximilian I, Pittsburgh : University of Pittsburgh Press, 2015, 312 p. ; Stephan Heilen, "Astrology at the Court of Urbino under Federico and Guidobaldo da Montefeltro", dans De Frédéric II à Rodolphe II : Astrologie, divination et magie dans les cours (XIIIe–XVIIe siècle), colloque international (Lausanne, 9–11 oct. 2014), dir. Jean-Patrice Boudet, Martine Ostorero et Agostino Paravicini Bagliani, Florence : SISMEL, 2017 (Micrologus’ Library, 85), p. 313–368 ; Áron Orbán, "Astrology at the Court of Matthias Corvinus", dans Terminus, 17, 2015, p. 113–146, version révisée d’un article paru en hongrois en 2013
  53. Pfister, Parodien astrologisch-prophetischen Schrifttums (1470-1590), op. cit.
  54. Les astrologues appellent "figure du ciel" (ou "horoscope") l’état du ciel à un moment et en un lieu donnés. Cette notion est expliquée dans le chapitre 2 de la première partie (p. 31 et suivantes).
  55. L’importance des conjonctions entre Saturne et Jupiter pour les prédictions annuelles est étudiée plus en détail dans le deuxième chapitre de la première partie (cf. 2.3 p. 40 et suivantes).
  56. Elle est signalée dans le recensement des manuscrits scientifiques latins de Thorndike et Kibre à la colonne 155. Lynn Thorndike et Pearl Kibre, A catalogue of incipits of mediaeval scientific writings in latin, [1937], édition revue et augmentée, Cambridge : The Mediaeval Academy of America, 1963, 1938 col. (The Mediaeval Academy of America publication, 29). Il s’agit cependant d’un cas particulier qui diffère sensiblement des prédictions annuelles du XVe siècle, et même de certaines du XIVe siècle : on se reportera au chapitre 9, cf. 9.1.2 p. 234 et suivantes.
  57. Ces chiffres correspondent à la période 1418–1484, pour laquelle nous avons recensé 108 prédictions annuelles manuscrites et 41 conservées uniquement sous forme imprimées (73 jusqu’en 1488). On se reportera, pour plus de détails, aux tables accompagnant le catalogue de ces prédictions, dans le deuxième volume de cette thèse.
  58. Jonathan Green analyse très précisément ce passage du latin aux langues vernaculaires dans le domaine germanique : Green, Printing and prophecy, op. cit., ch. 5 p. 109–130 et en particulier le graphique p. 123.
  59. Federici Vescovini, "Su uno scritto astrologico sconosciuto di Biagio Pelacani de Parma", art. cit. ; Ead., "Biagio Pelacani’s Astrological History for the Year 1405", art. cit.
  60. Green, Printing and prophecy, op. cit. ; Kremer, "Incunable Almanacs and Practica as Practical Knowledge Produced in Trading Zones", op. cit. ; Westman, The Copernican question, op. cit.
  61. Les seuls recensements sont ceux des articles de Philippe Contamine et Jean-Patrice Boudet cités plus haut. Cette difficulté supplémentaire de repérage des sources interdisait de toute façon la constitution d’un corpus cohérent en vernaculaire dans le temps imparti à la réalisation de cette étude, ce qui ne signifie pas, au contraire, que le recensement de ces textes et leur comparaison avec les équivalents latins ne seraient pas instructifs. Contamine, "Les prédictions annuelles astrologiques à la fin du Moyen Age", op. cit. ; Boudet, "Un jugement astrologique en français sur l’année 1415", op. cit.
  62. Westman, The Copernican question, op. cit., p. 90–91.
  63. Aleksander Birkenmajer, "L’Université de Cracovie, centre international d’enseignement astronomique à la fin du Moyen Âge", dans Études d’histoire des sciences en Pologne, éd. Jerzy Bartłomie Korolec, Wrocław, Varsovie et Cracovie : Zaklad Narodowy imienia Ossolinskich, Wydawnictwo Polskiej Akademii Nauk, 1972 (Studia Copernicana, 4), p. 483–495, réimpr. d’un article paru en 1956 ; Id., "Les débuts de l’école astrologique de Cracovie", dans Études d’histoire des sciences en Pologne, éd. Jerzy Bartłomie Korolec, Wrocław, Varsovie et Cracovie : Zaklad Narodowy imienia Ossolinskich, Wydawnictwo Polskiej Akademii Nauk, 1972 (Studia Copernicana, 4), p. 469–473, paru en polonais en 1936.
  64. En histoire des sciences, en particulier, la force des controverses suite à la publication de l’ouvrage de Westman (Westman, The Copernican question, op. cit.) témoigne de la difficulté, encore aujourd’hui de bouleverser certains paradigmes. Ce curieux obstacle épistémologique est régulièrement souligné par les historiens de l’astrologie ; voir par exemple les développements qu’y consacre Klaus Oschema dans ses contributions récentes, déjà signalées (Oschema, "Unknown or Uncertain ?", op. cit. ; Id., "Entre superstition et expertise scientifique", op. cit.).
  65. On citera en particulier Patrick Curry, "The Historiography of Astrology : A Diagnosis and a Prescription", dans Horoscopes and Public Spheres : Essays on the History of Astrology, actes du colloque Horoscopes and History, University of Amsterdam (juin 2004), dir. Günther Oestmann, H. Darrel Rutkin et Kocku von Stuckrad, Berlin et New-York : W. de Gruyter, 2005 (Religion and Society, 42), p. 261–274.
  66. Il ne semble pas indispensable, comme le propose Scott Hendrix dans une récente contribution sur la place de l’astrologie dans le contexte de la menace turque (sur laquelle nous revenons plus en détail dans le chapitre 8 de cette étude, cf. 8.1.1 p. 211 et suivantes), de recourir à la théorie des régimes épistémiques (empruntée à Michel Foucault) pour envisager la bonne foi des astrologues et de leurs clients. Bien évidemment, celle-ci n’est pas non plus définitivement acquise et doit être réévaluée au cas par cas. Scott E. Hendrix, "Astrological forecasting and the Turkish menace in the Renaissance Balkans", dans Anthropology Magazine, 13.2, 2013, p. 57–72.
  67. Contamine, "Les prédictions annuelles astrologiques à la fin du Moyen Age", op. cit., p. 197.
  68. Nous y reviendrons notamment dans le chapitre 11, p. 281 et suivantes.
  69. La précédente version du catalogue, en annexe à ma thèse d’École des chartes, décrivait 87 prédictions manuscrites ; certaines des "nouvelles" notices correspondent cependant à des prédictions déjà repérées, mais qu’il ne m’avait pas été possible d’étudier correctement.
  70. Voir en particulier ci-dessous, note 75.
  71. Le choix d’étendre le corpus jusqu’en 1488 permettait de le rendre numériquement plus représentatif sans pour autant dépasser la date d’édition de la Pronosticatio de Lichtenberger.
  72. Les exemplaires perdus ou conservés en collections privées ne sont pas pris en compte.
  73. Thorndike et Kibre, A catalogue of incipits of mediaeval scientific writings in latin, op. cit.
  74. David Juste, Catalogus Codicum Astrologorum Latinorum, Paris : CNRS éditions, publication en cours, 2 volumes parus.
  75. De fait, en terminant la rédaction de cette thèse, je pense avoir identifié au moins deux prédictions manuscrites supplémentaires : un fragment d’une prédiction de Pierre de Monte Alcino pour 1413, conservé à la Biblioteca Ronciana de Prato, et une copie manuscrite d’un jugement de Tilmannus de Ratisbonne pour 1478, copié par Johannes Knebel dans son Diarium et omis par l’éditeur de cette chronique.
  76. On se reportera au chapitre 10, p. 255 et suivantes.
  77. On peut en effet émettre sans trop de risques l’hypothèse que les prédictions annuelles qui ont échappé à notre recensement correspondent plutôt à des petits dépôts constitués de quelques manuscrits astrologiques seulement : sans cela elles auraient certainement été repérés par les savants qui nous ont précédé.
  78. Il s’agit du manuscirt British Library Sloane MS 428. Voir Sophie Page, "Richard Trewythian and the Uses of Astrology in Late Medieval England", dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 64, 2001, p. 193–228.
  79. Ce sont les manuscrits Clm 647 et Clm 648 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich. On se reportera avec profit aux notices du catalogue correspondant à ces prédictions. Voir également Tur, "Hartmann Schedel, collectionneur et copiste de prédictions astrologiques annuelles", art. cit.
  80. Lire en particulier infra, chapitre 1 de la première partie, p. 5 et suivantes.
  81. Dans cette version numérique, les liens internes apparaissent en rouge et les renvois externes à des ressources accessibles sur Internet en bleu. Les références bibliographiques de bas de page sont également liées aux entrées correspondantes de la bibliographie générale.
  82. Nous avons néanmoins cherché à rendre l’ensemble de la méthode le plus abordable possible en reprenant progressivement les définitions des principaux concepts, même lorsqu’ils ne sont pas spécifiques aux prédictions annuelles.
  83. Nous l’évoquons de façon bien partielle à quelques reprises, notamment p. 68, et dans la note 60 p. 296.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire