LA PERSPECTIVE DIVINATOIRE EN ASTROLOGIE SELON GEOFFREY CORNELIUS, par Kirk LITTLE

Geoffrey Cornelius appelle à un retour aux sources premières de l'astrologie pour rétablir "une compréhension de l'astrologie comme une divination". Selon lui, la divination ne peut pas exister "dans la vision du monde d'un observateur théoriquement objectif qui a mis en forme devant lui un domaine de faits neutres et sans valeur et de lois de la nature... sauf déguisés". Par conséquent, pour que le chercheur comprenne correctement le phénomène de la divination, il doit rétablir une "attitude divinatoire". Cela signifie un retour à des modes de compréhension plus "primitifs". Kirk Little synthétise ici la pensée de l'astrologue britannique en introduction à sept autres articles.


Une série d'articles consacrés à la pensée de Geoffrey Cornelius



La perspective divinatoire en Astrologie selon Geoffrey Cornelius, par Kirk Little

L’article d’Oslo  : astrologie et divination, par Geoffrey Cornelius

Le moment d'astrologie :

    Partie 1 : Rétablir l’attitude divinatoire

    Partie 2 : La question soulevée par l’Astrologie Horaire

    Partie 3 : Katarche

    Partie 4 : Le coup d’état métaphysique de l'astrologie natale
  
    Partie 5 : La divination et la fracture sujet/objet

    Partie 6 : L’homme qui a l’œil ouvert

L’astrologie est une divination ? Quelle importance… par Geoffrey Cornelius
 
Il est rare que les révolutions intellectuelles, pas moins que les révolutions politiques, soient correctement reconnues, encore moins comprises dans leurs premiers temps. La tentative de Geoffrey Cornelius de renverser le modèle ptolémaïque de l'astrologie à la fin des années 1970 n'a pas été perçue comme une menace sérieuse pour l'ordre actuel de l'univers de l'astrologue, pour la bonne raison qu'elle ne l'était pas, du moins pas encore. La publication de son article "Anti-Astrology Signature" (La signature anti-astrologie) à l'automne 1978 a amené une puissante critique des fondements conceptuels de l'astrologie occidentale en démontrant que le moment d'astrologie peut être révélé dans l'interprétation d’horoscopes non-natals voire aléatoires en apparence (Voir la version en anglais de mon introduction à cet article sur http://www.cosmocritic.com/). Malgré le symbolisme fascinant de l'horoscope "Anti-Astrologie", ainsi que la démonstration considérable de Cornelius des mesures temporelles symboliquement appropriées de cette carte du ciel, il est peu probable qu'il ait convaincu beaucoup de ses lecteurs d’une quelconque validité de ses opinions hétérodoxes. Paradoxalement, son appel au pouvoir du symbolisme astrologique pour expliquer sa position peu orthodoxe a peut-être semé plus de confusion émotionnelle que de clarté intellectuelle parmi ses lecteurs de la Loge (1), tous partisans - qu'ils le sachent ou non - du modèle ptolémaïque de causalité de l'astrologie (2). Pourquoi faire chavirer le navire ? L'astrologie semblait fonctionner assez bien, n'est-ce pas ?

En effet, comme Thomas Kuhn l'a démontré, des changements de paradigme dans la pensée ne se produisent pas parce que les partisans des nouveaux points de vue convainquent leurs collègues de la supériorité de leur modèle explicatif par le biais d'arguments intellectuels. Il s'agit plutôt d'une jeune génération de penseurs, moins attachés émotionnellement au paradigme actuel, qui quittent le navire et adoptent le nouveau modèle (3). Si, depuis la deuxième décennie du XXIe siècle, un nombre croissant d'astrologues soutiennent maintenant largement l'opinion selon laquelle l'astrologie est une forme de divination (4), à la fin des années 1970, peu d’astrologues approuvaient cette vision ; beaucoup avaient encore l’espoir que les bases ptolémaïques de l’astrologie seraient finalement justifiées par la recherche scientifique continue, comme les études statistiques apparemment pertinentes des Gauquelin ou, de façon plus improbable, par des découvertes dans le champ de la "nouvelle physique" rendue populaire par des gens tels que Fritjof Capra (5).

La critique du modèle causal de l'astrologie par Cornelius n'est pas sans précédent. La question de savoir si les "étoiles" sont des signes ou des causes peut au moins être retracée depuis le philosophe néoplatonicien du troisième siècle Plotin (6), voire avant. Au cours de la Renaissance, Marsile Ficin déclare "les configurations célestes sont comme les lettres d’un livre, qui révèlent des concepts divins... par des signes plutôt que par des causes" (per signa potius quam per causas) (7). Plus récemment, en 1936, Dane Rudhyar rejette l'idée que l'astrologie doive devenir scientifique avec ces mots : "Après réflexion, il apparaîtra à chacun que toute tentative pour faire de l’astrologie une science empirique exacte, fondée sur des influences réelles, est sinon promise à l’échec du moins à n’en expliquer qu’une partie" (8). Plus de trente ans plus tard, il ajoute :

L'astrologie est principalement une méthode d'interprétation, à plusieurs niveaux, de la relation entre des ensembles de phénomènes non reliés causalement. Cela signifie simplement que l'astrologie "interprète" la concordance observable entre des phénomènes célestes et des changements plus ou moins définis dans la vie des individus ou des groupes, mais cela ne concerne pas l'étude scientifique de la cause d'une telle concordance, sauf sur une base purement philosophique ou métaphysique. Une telle étude scientifique pourrait être tentée et certains astrologues le font mais sur des fondements plutôt minces (9)...

Peu de temps après avoir écrit ces mots, Rudhyar rebaptisa son modèle Astrologie Humaniste pour l'aligner sur la psychologie humaniste d'Abraham Maslow ; les deux rejetaient les branches scientifiques de leurs disciplines au profit d'approches plus intentionnelles et centrées sur la personne (10).

Alors que Cornelius a sans aucun doute apprécié le souhait de Rudhyar d'écarter la quête d’une vérification scientifique pour l'astrologie, il a perçu une adhésion persistante à des aspects du modèle ptolémaïque dans l'écriture de Rudhyar. Quoi qu'il en soit, si le modèle d'astrologie divinatoire de Cornelius doit attirer de nouveaux adeptes, il faudra plus d'un article, quelle que soit sa finesse, pour faire changer les esprits. Au cours des cinq années écoulées entre la publication de son article "Anti-Astrology Signature" (La signature anti-astrologie) à l'automne 1978 et sa série d'articles "Moment of Astrology" (Moment d’astrologie) à partir de l'automne 1983, Cornelius et ses collègues astrologues de la "Loge" ont publié un certain nombre d'articles et de critiques de livres qui soutiennent l’encore frustre perspective divinatoire. Un changement dans la politique de la "Loge" leur a permis d'avoir une plus grande liberté pour exprimer leurs points de vue uniques à la fois en réunions et en publications (11). En tant que théoricien en chef, sinon praticien en chef de cette nouvelle perspective, Cornelius a vu la nécessité de distinguer plus formellement son modèle émergent de son prédécesseur historique. Quelque peu intrigante, sa première formulation à proprement parler de l'astrologie en tant que divination a été livrée non pas aux membres de la "Loge", mais à un public étranger à plus de mille kilomètres de là.

L’article d’Oslo (The Oslo Paper), 1982 : premières formulations


Le 8 mars 1982, Cornelius est à Oslo, en Norvège, pour livrer un article simplement intitulé "Astrologie et divination". Je dois noter que cet important document historique est resté inaccessible jusqu'à présent (12). J'ai reçu une copie de la part de l'auteur lors d'une visite à Herne Bay en mai 2002. Les numéros des notes de bas de page manuscrits et les notes de fin ont apparemment été ajoutés par l'auteur, je suppose parce qu'il n'avait pas accès à un traitement de texte. La raison pour laquelle l’article n'a jamais été publié reste peu claire. Certes, il mérite d'être plus largement connu, car l'article d'Oslo semble être la première tentative formelle de Cornelius de fournir une sorte d'échafaudage intellectuel à son point de vue en développement sur le statut épistémologique de l'astrologie. Décrivant l'astrologie comme "un phénomène d'expérience plutôt que l'expérience d'un phénomène objectif", Cornelius compare la "crise" actuelle de l'astrologie comme analogue à "la séparation de la chimie et de l'alchimie au XVIIe siècle". Les conséquences d'une telle scission peuvent être graves. Quand avez-vous rencontré un alchimiste pour la dernière fois ?" (13). Plus précisément, il déclare que "la révolution scientifique a fait apparaître la plus grande partie de l'astrologie en tant que pseudoscience... l'astrologie moderne survit dans un état de limbes, en attendant le démembrement des parties qui la composent" (14).

Cornelius a appelé à un retour aux sources premières de l'astrologie pour rétablir "une compréhension de l'astrologie comme une divination". Cependant, il a noté que la divination ne peut pas exister "dans la vision du monde d'un observateur théoriquement objectif qui a mis en forme devant lui un domaine de faits neutres et sans valeur et de lois de la nature... sauf déguisés" (15). Par conséquent, pour que le chercheur comprenne correctement le phénomène de la divination, il doit rétablir une "attitude divinatoire". Citant à partir de sa récente revue de livres les conférences jungiennes de Marie von Franz publiées sous le titre "On Divination and Synchronicity" (De la divination et de la synchronicité), Cornelius reconnait que cela signifie un retour à des modes de compréhension plus "primitifs" : "On ne fabrique ni la tête ni la queue d’un modèle chaotique ; on est dérouté et ce moment d’égarement fait surgir l’intuition de l’inconscient", ce qui conduit à son tour à "l’abaissement du niveau mental” énoncé par Jung comme étant typiquement associé aux phénomènes synchronistiques" (16). Il cite en les approuvant les points de vue "virulents" de von Franz sur "l'utilisation de méthodes statistiques en parapsychologie, telles que les expériences sur la PES (perception extra-sensorielle) menées par Rhine", où elle note "Il essaie de prouver avec les moyens mêmes qui éliminent le cas unique, quelque chose qui n'est valable que dans le cas unique" (17). Cet accent mis sur l'expression singulière et idiosyncrasique des phénomènes divinatoires deviendra central dans la critique de Cornelius de l'astrologie scientifique et, plus important encore, dans la façon dont la divination s'exprime dans l'astrologie comme "cas unique" (18).

La conférence d'Oslo démontre clairement qu'au début de 1982, un certain nombre de thèmes marquants qui resteront une partie de l'"argument" divinatoire sont déjà présents dans les pensées de Cornelius, du moins de façon embryonnaire : un appel à l'anthropologie pour comprendre la mentalité préscientifique de l'homme mythopoeïque ; une critique du scientisme de l’astrologie occidentale ; la congruence de l’astrologie avec le Yi Ching et d’autres pratiques divinatoires ; l’importance de l'"attitude symbolique" telle qu’on la trouve dans la psychologie archétypale de Jung, et une adhésion aux philosophies phénoménologiques. Un autre élément important de la refonte conceptuelle de l'astrologie judiciaire occidentale par Cornelius continue d'être son recours à la pratique de l'astrologie horaire, qu'il avait utilisée si efficacement dans son interprétation de l’horoscope "anti-astrologie". Rétrospectivement, il est clair que "Astrologie et Divination" était une mise en appétit servie pendant que le plat principal était en cours de préparation. Comme l'organisation de cette conférence le suggère, Cornelius recherche encore son chemin vers une position plus pleinement articulée. Dix-huit mois plus tard, ses points de vue en évolution rapide se fusionnent dans le premier d'une série d'articles qui abordent ses préoccupations fondamentales concernant le statut de l'astrologie occidentale dans la pensée moderne.

La série "The Astrologers' Quarterly" 1983-86 : vers une philosophie de la divination

Parfois, de bonnes choses proviennent de l'adversité. Au cours de l'été 1983, Cornelius s'est senti obligé de passer l'été chez sa tante à Londres. Les raisons de ce déplacement étaient liées à la mauvaise santé de sa tante et à son désir de protéger sa propriété d'un locataire plutôt malveillant, qui était devenu le seul occupant de la maison, après que la tante ait été placée dans une maison de soins infirmiers. Le locataire refusant de déménager, la maison ne pouvait pas être vendue. Sur les conseils d'un conseiller juridique, Cornelius y a emménagé et sa tante était ramenée à la maison plusieurs fois par semaine pour maintenir la fiction juridique qu'elle y vivait toujours. En plus de fournir le contexte d'un merveilleux horoscope horaire (19), cet isolement forcé a fourni à Cornelius la solitude dont il avait besoin pour commencer à écrire une série d'articles sur l'astrologie en tant que divination, à paraître dans "The Astrologers' Quarterly" au cours des années suivantes. Cette série, intitulée "Le moment d'astrologie", est finalement devenue la base de son livre, publié une décennie plus tard.

Cornelius ne travaillait pas seul ; à la fin des années 1970, il avait rassemblé autour de lui un groupe influent d'astrologues praticiens, dont Maggie Hyde, Gordon Watson et Vernon Wells. Comme il l'a noté plus tard, "Ils généraient une façon de parler qui était enracinée dans leur pratique et qui y revenait. Il est approprié d'utiliser le terme "praxis", théorie de la pratique, pour cette orientation" (20). D'autres ont commencé à en prendre acte, y compris Patrick Curry et Martin Budd, deux membres du "Radical Astrology Group" (Groupe d’astrologie radicale), un groupe éclectique de penseurs qui utilisaient les outils et les concepts de la sociologie, de la psychanalyse, de la phénoménologie, de la sémiotique, du structuralisme, l’herméneutique et les écrits de penseurs postmodernes comme Michel Foucault et Jacques Derrida pour examiner et expliquer la florissante scène astrologique de Londres. La publication de leurs "Radical astrology papers" (Articles d’astrologie radicale) diffusés en privé en juin 1983 (21) indique qu'au moins quelques personnes reconnaissaient la perspective unique que Cornelius et ses collègues développaient (22). Deux des articles de Radical astrology reconnaissent explicitement la perspective divinatoire émergente. Le deuxième article de Martin Budd "Astrology / History / Foucault" (Astrologie / Histoire / Foucault) est une longue discussion sur l'astrologie en tant que divination, où il note "Geoffrey Cornelius a donc trouvé l'herméneutique utile pour parvenir à des méthodes correctes et appropriées, et estime qu'une description phénoménologique complète de l'astrologie effectivement pratiquée par les astrologues est nécessaire comme une première étape dans le développement de toute théorie de l’astrologie (23). Budd était clairement au courant de la politique de la "Loge" et des implications radicales de l'approche de Cornelius. De même, l'article "An Aporia for Astrology (24)" (Une aporie pour l’astrologie) de Patrick Curry, écrit en mai 1983, décrit la perspective divinatoire comme "l'astrologie herméneutique" (HA) qui est fondée sur la philosophie de Martin Heidegger et H. G. Gadamer (25). La longue discussion de Curry sur les principes philosophiques de cette "école" montre clairement ses différences aiguës avec l'astrologie psychologique de Liz Greene ou l'astrologie scientifique du défunt John Addey et de sa bien aimée "Astrological Association" (Association astrologique). Curry clôture son évaluation de l'astrologie herméneutique par ces mots : "J'accepterais même que la philosophie de l’HA, telle qu’il en a été question ci-dessus, soit assez inoffensive lorsqu'elle est livrée en privé, en tant qu'art de (sic) passe-temps (hobby). Mais ce n'est pas ainsi qu'elle est présentée par ses défenseurs. Au contraire, l’HA est présentée sous la forme de termes larges, sombres et "profonds" - un principe cosmologique, un mode de vie" (26).

Il n'y a rien de "sombre" dans l'enquête de Cornelius sur le paysage ptolémaïque de l'astrologie moderne dans sa série "The Moment of Astrology", bien qu'elle soit à la fois profondément analytique et vaste dans son acte d'accusation des formes modernes d'astrologie judiciaire. Certes, le sous-titre de la partie 1 "Rétablir l'attitude divinatoire" suggère un mauvais ajustement entre la cosmologie de la science moderne et la pratique de la lecture de l'horoscope ; mais rien dans toute sa série n'indique que Cornelius conduit ses disciples à un nouveau "Mode de vie". Il s'agit plutôt d'un appel pour les astrologues à repenser la base philosophique de leur pratique. En bref, sa série ne présente pas à ses lecteurs une autre nouvelle "découverte" ou technique qui transformera leur pratique, mais quelque chose de plus fondamental. Avant que quiconque ne revienne à une "attitude divinatoire", il faudra attendre que Cornelius sape systématiquement les prémisses philosophiques de toutes les formes de pratique contemporaine en posant la simple question "À quel moment l'effet astrologique se produit-il?" Tout en reconnaissant que "nous manquons d'une phénoménologie adéquate de la divination elle-même", il propose de fournir une "tentative de description provisoire du moment de l'augure, ou de la divination à travers des symboles". Ses lecteurs sont avertis qu'en révélant l'astrologie comme une forme de divination, Cornelius soulève "une foule de questions difficiles, philosophiques, religieuses et éthiques" (27).

La signification de la série "Moment" réside dans la capacité de Cornelius à poser et à répondre à ces "questions difficiles" sur la nature de l'astrologie. Vue dans son ensemble, la série "Moment" est une polémique étendue dans laquelle il explique d'abord soigneusement le modèle ptolémaïque, puis examine sa "doctrine des origines" avec son modèle causal basé sur la physique aristotélicienne. Comme tout bon polémiste, Cornelius a bien compris ce qu'il cherche à saper ; il connaît aussi le pouvoir de ce modèle :

Il faut un effort de pensée et d'imagination avant que la pleine puissance de la structure conceptuelle de Ptolémée ne soit reconnue. Les deux doctrines, de l'origine et du moment continu, ainsi que l'hypothèse explicative, forment un modèle magnifiquement intégré, puisque le moment d'origine est un instant spécial tiré d'une série continue de moments potentiellement significatifs. L'intégrité de cette structure peut être discernée dans la durabilité de ses composants principaux, et dans le fait que les astrologues de tous les bords philosophiques l'utilisent naturellement et facilement pour justifier l'astrologie natale (28).

Il a non seulement lu le Tétrabible de Ptolémée, mais il l'a soigneusement étudié, pouvant démontrer comment son modèle causal, avec ses doctrines jumelles de l'origine et du moment continu, sous-tend toutes les formes de théorie et de pratique astrologiques contemporaines, de l'Astrologie Humaniste de Rudhyar, des Harmoniques de John Addey, de la tentative minutieuse de Gauquelin de valider au moins une petite partie de la tradition avec ses études statistiques massives. Alors que Cornelius excelle à décrire ces modèles, la puissance de son analyse réside dans sa capacité à regarder au-delà de leurs expressions externes très différentes de l’astrologie pour voir ce qui les unit et les laisse finalement se prétendre métaphores explicatives du pouvoir de l’astrologie judiciaire.

On ne sait pas si Cornelius savait que sa refonte radicale de l'astrologie moderne nécessiterait six documents totalisant plus de 70 pages ; heureusement, au début, il donne au lecteur un aperçu de la portée de son projet (29). Leur publication sur une période de plus de deux ans de l'automne 1983 à l'hiver 1985-86 coïncide avec plusieurs développements importants au sein de l'"Astrological Lodge", qui était la maison de Cornelius dans le monde de l’astrologie britannique depuis 1971. Il s'agit notamment du fractionnement de l’organisation en "The Astrological Lodge of London" (ALL) et en "Astrological Lodge of the Theosophical Society" (ALTS, Loge astrologique de la société théosophique) (30) ; de la formation de la "Company of Astrologers" (Compagnie des astrologues) en novembre 1983, d'abord en tant qu'organisme d'enseignement pour la ALL, puis en tant que véhicule indépendant des points de vue de Cornelius ; la retraite de Ron Davison au titre de rédacteur en chef du "Quarterly" après vingt-cinq ans et la nomination de Cornelius comme son successeur au printemps de 1984 ; et le décès de Davison en janvier 1985. Cornelius a fait remarquer que sa mort "marque la fin d’une époque particulière de notre astrologie" (31). Le gardien avait changé et en tant que nouveau rédacteur en chef de "Quarterly", Cornelius a été en mesure de s'assurer qu’un espace croissant serait alloué aux points de vue uniques de la "Company". Bien que son mandat en tant que rédacteur en chef ait été relativement court, au moment où il a renoncé aux rênes, les grandes lignes de ses points de vue uniques étaient déjà établies. Naturellement, parallèlement à cette position plus visible, une résistance formelle à l'astrologie divinatoire est devenue plus fréquente (32).

1985 marque également la publication de deux livres sur l'astrologie horaire fortement estampillés par la "Company" et ses associés : "Christian astrology" (Astrologie chrétienne) de William Lilly et "Horary Astrology : The art of astrological divination" (Astrologie Horaire : L'art de la divination astrologique) de Derek Appleby (32). Le premier est une édition en fac-similé du classique de Lilly de 1647, et a été la première réplication complète du livre en trois cents ans. "Christian Astrology" contient deux commentaires post-scriptés par Patrick Curry et Geoffrey Cornelius. Alors que le premier place le travail de Lilly dans un contexte historique, le second soutient et promeut les points de vue divinatoires de Cornelius. Dans son "A Modern Astrological Perspective" (Une perspective astrologique moderne), après avoir noté que "les démonstrations de l'astrologie doivent être comprises plus comme des signes que comme des causes", il ajoute "Une perception religieuse et divinatoire est fondamentale pour Lilly, mais il semble qu'il n'ait pas l'intention que l'étudiant se promène en spéculations avant d'avoir découvert l'art" (33). Cornelius reconnaît une fois de plus l'importance du jugement du "poisson volé" de Lilly comme marquant une mentalité divinatoire :

Il ne s'agit en aucun cas de la lecture d'un "destin objectif" auquel nous sommes soumis. C'est une possibilité symbolique à laquelle l'astrologue peut souhaiter participer. Ainsi, malgré l'extraordinaire détail prédictif, le résultat dépend de la "participation symbolique" de l'astrologue, et les étoiles sont NON COGUNT. Cette compréhension nous ramène directement à l'ancêtre de l'astrologie horaire dans l'astrologie grecque : le katarche, ou l'astrologie des initiatives. La relation avec une attitude magique devrait être apparente (34).

Les thèmes suivants : signification symbolique et participative, attitude magique, soin porté à l'art et accent sur l'importance des initiatives ou du katarche, sont tous repris dans sa série "Moment" et restent au cœur de sa révision de l'astrologie. De même, la publication du livre d'Appleby promeut une méthode et un style de pratique avec des techniques horaires cohérentes avec les points de vue de Cornelius sur la divination. Bien sûr, Appleby était un membre fondateur de la "Company" ainsi que leur plus éminent praticien d’astrologie horaire (35). La phrase qui ouvre son livre : "Tout simplement, l'astrologie horaire est l'art de la divination astrologique" soutient l'opinion de la "Company" selon laquelle l'astrologie est un art, et non une science, où "Chaque cas horaire est un défi unique" (36).

Dans l'introduction de son "Moment of Astrology : Origins in Divination" (Moment d’astrologie : origines dans la divination), Cornelius réfléchit à "ces années, de 1978 à 1986", c'est-à-dire à partir de la publication de son article "Anti-Astrologie" jusqu'à l'achèvement de la série "Moment", comme "significatives pour baliser le développement d'une nouvelle façon d'aborder la description de l’astrologie" (37). L'année d’après, Cornelius et ses collègues de la "Company" publient leur premier Bulletin, en substance, en remplacement du "Quarterly" comme espace principal pour leurs points de vue (38). Plus de vingt ans après la publication de "Moment" en tant que livre et trente ans depuis la publication du sixième épisode, au moment où j'écris ceci, la série "Moment" de Cornelius est toujours un témoignage de ses perceptions uniques sur l'état de l'astrologie moderne. Il s'agit à la fois d'une réinvention philosophique et historique de l'intérêt durable de l'astrologie. De manière significative, il y est parvenu bien avant que la plupart des astrologues ne montrent de l’intérêt pour récupérer leur histoire, et encore moins la base philosophique de leur métier, par la traduction de textes anciens ou par la renaissance de techniques oubliées depuis longtemps (39). En d’autres termes, pour comprendre les origines de l’astrologie dans les pratiques divinatoires mésopotamiennes, Cornelius a dû dépendre des travaux d’une génération antérieure de chercheurs - Franz Cumont et A. Bouché-Leclercq entre autres - dont les œuvres massives combinent l'apprentissage classique avec une hostilité sans mélange envers leur sujet. Il est très facile de ne pas voir l'importance de cette réalisation. Bondissant sur les siècles, Cornelius a tissé des liens entre les expressions premières de l'astrologie et les pratiques astrologiques de ses collègues membres de la "Loge" dans les années 1970.

Pour ceux qui ne connaissent pas le développement de la perspective divinatoire de Cornelius, les séries "Oslo Paper" (L’article d’Oslo) et "Moment" fournissent une introduction difficile mais attrayante à ses idées. Une grande partie de ce qu'il a diagnostiqué alors continue de faire souffrir l'astrologie moderne. Cela reste vrai : tous les "étudiants" en astrologie doivent compter avec la réforme radicale de Cornelius.

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Notes

  1. Geoffrey Cornelius a été membre et président de "Astrological Lodge of London" (Loge astrologique de Londres), que Kirk Little nomme ici "Lodge". La publication trimestrielle de "Astrological Lodge of London" était, à l’époque de la rédaction des articles de Geoffrey Cornelius, "Astrology - The Astrologers' Quarterly".
  2. Ceci soulève la question d’une distinction significative entre ce que les astrologues disent qu’ils font et ce qu’ils font réellement faire. En ce qui concerne les praticiens expérimentés, il se peut qu’ils rationalisent leur pratique en termes de modèle ptolémaïque, mais en fait, ils sont partisans d’un modèle de pratique dont certains aspects contredisent cette théorie.
  3. Thomas S. Kuhn, "The Structure of Scientific Revolutions" (La structure des révolutions scientifiques), University of Chicago Press, Chicago, 1962.
  4. Voir l’ouvrage de Nick Campion "Astrology and Popular Religion in the Modern West : Prophecy, Cosmology and the New Age Movement (L’astrologie et la religion populaire dans l’Occident moderne : prophétie, cosmologie et mouvement New Age), p. 178, Ashgate, Surrey, 2012. Cela ne veut pas dire qu’ils ont adopté les vues singulières de Cornelius. Son livre "Le moment d’astrologie" peut avoir déconstruit la cosmologie simpliste que la plupart des astrologues ont adopté inconsciemment, mais il n’y a néanmoins pas eu d’adoption généralisée de son orientation pratique, à savoir la prévalence croissante de l’astrologie horaire.
  5. Fritjof Capra, "The Tao of Physics" (Le Tao de la physique), Random House, New York, 1975. De crainte que quiconque pense que l’affaire de l’astrologie scientifique est morte, voir http://www.thekeplerconference.com/kepler-conf-speakers et http://astrologynewsservice.com/
  6. Nicholas Campion, "A History of Western Astrology : The Medieval and Modern Worlds" (Une histoire de l’astrologie occidentale : le Moyen-âge et l’Époque moderne), Continuum, Londres, 2009, p. 90.
  7. Eugenio Garin, "Astrology in the Renaissance : The Zodiac of Life" (L’astrologie à la Renaissance : le zodiaque de la vie), Arkana/Penguin, Londres, 1990, p. 69.
  8. Dane Rudhyar, "The Astrology of Personality" (L’astrologie de la personnalité), Lucis Publishing Company, New York, 1936, p. 45 (version française p. 47). Dans une entrevue en mai 2002, Cornelius reconnait l’importance de ce livre sur ses premières réflexions sur la nature de l’astrologie.
  9. Dane Rudhyar, "The Practice of Astrology" (La pratique de l’astrologie), Penguin Books, New York, 1968, p.11.
  10. Rudhyar a fondé le Comité international pour l’astrologie humaniste le 26 février 1969 parce qu’il a senti que "de nombreuses personnes, en particulier les jeunes générations, tout en étant fascinées par l’astrologie, demandaient quelque chose que l’approche analytique "scientifique" ne pouvait leur donner." Voir son "Person Centered Astrology" (Astrologie de la personnalité), Aurora Press, New York, 1976, p. 8.
  11. Voir Geoffrey Cornelius, "The Astrological Lodge from Alan Leo to the Present Day : An Interpretation of History and Purpose" (La loge astrologique de Londres depuis Alan Leo jusqu’à nos jours : une interprétation de l’histoire et de la raison d’être), "The Astrologers’ Quarterly", Vol. 60, N° 1, printemps 1986, pp. 38-40.
  12. Patrick Curry le liste dans la bibliographie de "Astrology, Science and Culture : Pulling Down the Moon" (Astrologie, science et culture : tirer la Lune vers le bas), Berg, Oxford, 2004, p. 154, mais n'en fait pas la citation.
  13. "Astrology and Divination" (Astrologie et divination), article non publié, p. 1.
  14. Ibid., p. 1.
  15. Ibid. all, citations de p. 1.
  16. Ibid. p. 3.
  17. Ibid. p. 3.
  18. Je dois à Garry Phillipson cette compréhension du lien entre les opinions de von Franz et le principe unique de Cornelius.
  19. Voir "Moment of astrology", The Wessex Astrologer, Bournemouth, 2003, pp. 152-163.
  20. "Astrology as Divination : a Survey of the Contemporary Debate" (L’astrologie en tant que divination, un sondage du débat contemporain), conférence donnée à l’UAC en mai 2012.
  21. "Radical Astrology : A Set of Discussion Papers  : Astrology and Theory" (Astrologie radicale, un ensemble d’articles de discussion : astrologie et théorie), par Martin Budd, Graham Douglas, Bernie Jaye, Patrick Curry, publié par Radical Astrology Group, Londres, 1983, non paginé. Toutes les références utilisent les numéros de section indiqués dans la publication.
  22. "Les objectifs du Groupe d’astrologie radicale sont de provoquer la discussion plutôt que de promouvoir un point de vue particulier… Tous les membres croient qu’une approche critique est nécessaire, en particulier des théories implicites selon lesquelles l’astrologie est pensée et écrite…" Radical Astrology, Op. cit. Budd, section 1.1.
  23. Radical Astrology, Op. cit., section 2.9.
  24. Curry fournit cette citation de 1657 : "L’aporie est une figure dans laquelle l’orateur dit douter, soit de savoir par où commencer vue la multitude de la question, soit de ce qu’il faut faire ou dire devant une chose étrange ou ambiguë." Radical astrology, Op. cit., section 5.1.
  25. Radical astrology, Op. cit. , sections 5.2 et 5.3 ; dans son article "Takes' –Superman", publié dans "The Astrologers’ Quarterly" (été 1983, vol. 57, N° 2), Vernon Wells fait référence à l’herméneutique philosophique de Gadamer dans sa première note de bas de page pour expliquer la nature des interprétations astrologiques.
  26. Ibid. section 5.4.
  27. "The Moment of Astrology : Recovering the Divinatory Attitude" (Le moment d’astrologie : rétablir l’attitude divinatoire), "The Astrologers’ Quarterly", vol. 57, N° 3, automne 1983, toutes les citations p. 2.
  28. "The Astrologers’ Quarterly", Vol. 57, N° 3, p. 15-16.
  29. Un septième document a été annoncé mais n’a jamais paru. Curieusement intitulé "The Divinatory Recension of Astrology" (La recension divinatoire de l’astrologie), il devait être publié dans le numéro 60 du Vol. 1 du "Quarterly" ; sa non parution n’a jamais été expliquée. L’explication la plus évidente réside peut-être dans la décision de Cornelius de démissionner de son poste de rédacteur en chef du "Quarterly" au printemps 1986, annoncée dans ce même numéro. Il note : "Sur des aspects importants de notre travail, y compris la politique éditoriale, j’ai une opinion différente de celle des dirigeants de la "Loge", et l’objectif déclaré du Comité visant à ce que ses membres doivent tous participer aux décisions éditoriales a entraîné des difficultés." (p. 1).
  30. Dans le premier numéro du Bulletin N° 1 du "The Company of Astrologers Bulletin" (Bulletin de la compagnie des astrologues), en date de l’été 1987, Cornelius fait remarquer : "Sans aucun doute, l’événement le plus récent en astrologie au Royaume-Uni a été la division de la "Loge" astrologique de Londres en ses éléments constitutifs… Ce changement n’était pas moins important que la séparation de l'"Astrological association" (Association astrologique) de la "Loge" en 1958, mais il risque de devenir un peu plus problématique… Les deux loges commencent, me semble-t-il, à danser une gigue impitoyable." (p. 2). La ALL revendiqua la responsabilité de l’organisation fondée par Alan Leo en 1915 ; elle conserva également la majeure partie des biens matériels de la "Loge", notamment le "Quarterly" lui-même.
  31. "The Astrologers’ Quarterly", Vol. 59, N° 1, p. 5.
  32. Dans un bref essai intitulé " Astrology as Divination" (L’astrologie en tant que divination), Nick Campion a tenté de résumer les souches de résistance aux théories de Cornelius en reconnaissant le dernier ouvrage publié par Addey, les prédictions mondiales réussies de Charles Harvey, le point de vue de Bernard Eccles selon lequel : "l’astrologie n’est pas nécessairement une divination, mais elle aspire à l’être" et la propre théorie de Campion selon laquelle il existe quatre types d’astrologie fondés sur les quatre éléments, avec la conclusion que "L’astrologie est tout simplement l’astrologie - elle semble parfois scientifique, parfois divinatoire, parfois tout à fait naturelle, parfois magique", ce qui semble être une version édulcorée de la taxonomie de Curry. Campion ajoute : "Néanmoins, il serait intéressant de faire un relevé des attitudes des astrologues, non seulement au sein de la "Loge", mais sur l’ensemble du pays." "The Astrologers’ Quarterly", vol. 60, N° 1, p. 44-46. Intéressant peut-être, mais à côté de la question si l’on souscrit à la perception de Cornelius de l’astrologie comme un phénomène unique irréductible aux enquêtes.
  33. "Christian Astrology, Modestly Treated of in Three Books" (Astrologie chrétienne, traitée modestement en trois livres), Regulus, Londres, 1985, "Horary Astrology" (Astrologie horaire), The Aquarian Press, Wellingborough, 1985, republiée par "The Astrology Center of America" (Le centre d’astrologie d’Amérique), Astrology Classics, Bel Air, MD, 2005.
  34. "Christian Astrology", op. cit., pp. 867-868.
  35. Ibid. p. 870, non cogunt se traduit par "non convaincant", voir p. 867.
  36. Je parle d’Appleby et de son influence sur la pensée de Cornelius dans mon "Defining the Moment : Geoffrey Cornelius and the Development of the Divinatory Perspective" (Définir le moment : Geoffrey Cornelius et le développement de la perspective divinatoire) sur http://www.cosmocritic.com/.
  37. Appleby, "Horary" (Astrologie horaire), édition 2005, op. cit. p. 9. Cornelius a toujours exprimé son admiration pour le sens de l’art d’Appleby ; de même, il reconnaît son influence sur sa propre croissance en tant qu’astrologue. Voir son avant-propos à l’édition rééditée, où il écrit : "Je me souviens bien de l’impact, au début de ma propre étude de l’astrologie, de le voir en action. J’avais déjà croisé l’astrologie horaire, mais je sais maintenant qu’auparavant, comme bien d’autres, je ne l’avais jamais vraiment "vue"." "Horary Astrology" (Astrologie horaire), "The Astrology Center of America", Bel Air, MD, 2005, p. 2.
  38. "Moment of Astrology", op. cit. p. xxii.

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Les six documents "Moment" ont été publiés dans "Astrology - the Astrologers' Quarterly" :

  • Partie 1 : Vol. 57 No. 3 - Automne 1983
  • Partie 2 : Vol. 57 No. 4 - Hiver 1983/84
  • Partie 3 : Vol. 58 N° 1 - Printemps 1984
  • Partie 4 : Vol. 58 N° 2 - Été 1984
  • Partie 5 : Vol. 59 N°. 1 - Printemps 1985
  • Partie 6 : Vol. 59 N°. 4 - Hiver 1985/86

 

Merci à la "Astrological Lodge of London " pour la permission de reproduire ce texte directement à partir du "Quarterly".

 

 

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