Le poète a mis toute sa vie, comme il l’exprimait lui-même, « au service de l’art », avec sa sensibilité ambivalente, tantôt inhibée, tantôt exacerbée, et que, souvent, les mots ne suffisaient pas à exprimer. D’où le recours fréquent aux mythes antiques et aux vecteurs mêlés : poèmes, prose, dessins, spectacles, mises en scène et interprétation... Bernard Besançon propose ici un décryptage subtil et talentueux du thème de Cocteau et une mise en perspective astrologique de son œuvre.
Un créateur très fécond et protéiforme
L’image de Cocteau reste souvent floue et ambiguë. Qui était-il vraiment ?
- un poète touché par la grâce, un écrivain à part entière ou un simple amateur en écriture …
- un peintre de talent ou un dessinateur dilettante…
- un mondain opportuniste et récupérateur des talents d’autrui ou un vrai créateur…
- un cinéaste majeur ou un cinéaste mineur …
On pourrait continuer longtemps l’énumération de ses multiples facettes tant ce touche à tout s’est montré prolifique et au fond énigmatique. Résumons pour en avoir une meilleure idée les grandes étapes qui ont jalonnées son œuvre.
Il vit le jour le 5 juillet 1889 dans la maison de ses grands-parents maternels à Maisons-Laffitte. Il était le dernier enfant d’un couple bourgeois et fortuné. Son père Georges Cocteau avait été avocat mais était rentier à sa naissance. Son grand-père maternel était un grand collectionneur d’art et un amateur de musique. Son père aimait peindre et dessiner, sa mère, Eugénie, fréquentait de nombreux artistes. Il baigna donc enfant dans une atmosphère qui l’ouvrit à l’art.
Jean COCTEAU - 5 juillet 1889 à 1h00 - MAISONS-LAFFITTE - FRANCE |
Les rencontres d’artistes de l’époque, qu’il provoqua sans cesse, jouèrent un grand rôle dans l’orientation de son œuvre.
Dans les années 10, il rencontra Diaghilev et le danseur Nijinski et il dessina les affiches des célèbres Ballets Russes. Puis ce fut les rencontres de Stravinski, d’Erik Satie et de Picasso avec lesquels il mit au point, en 1917, le ballet Parade qui fit un grand bruit par son audace et son originalité. Cela assura le vrai début de sa notoriété.
Il se lia d’amitié avec Proust, son aîné de plus de vingt ans, qui n’avait pas été encore publié, et l’aida à trouver un éditeur (Grasset) pour Du côté de chez Swann. Il connut Anna de Noailles, célèbre poétesse, avec qui il eut un rapport fusionnel.
Cocteau publia son premier vrai livre, Le Potomak, œuvre étrange composée de prose, de poésie et de dessins, en 1919.
Il fut aussi l’initiateur du Groupe des Six, groupe de musiciens (dont Satie, Milhaud, Honegger et Poulenc) qu’il aida à se faire connaître alors qu’il n’était lui-même pas musicien.
Dans les années 20, il fit la connaissance de Raymond Radiguet, l’auteur du Bal du Comte d’Orgel et du Diable au corps, qu’il aima. Il se lia aussi avec Coco Chanel et fut toujours très proche de Picasso qu’il fréquenta toute sa vie.
Il portera comme il le déclara « la poésie au théâtre » avec deux spectacles avant-gardistes : Le Bœuf sur le toit et Les Mariés de la Tour Eiffel.
Il publia un roman Thomas l’Imposteur et aussi son poème phare
L’Ange Heurtebise. Il écrivit sa pièce Orphée qui fut jouée en 1926. L’année suivante, il créa Œdipus Rex un oratorio en collaboration avec Stravinski. Il publia Opium un recueil dans lequel il confia la dépendance qu’il avait par rapport à cette drogue. Il écrivit aussi Les Enfants Terribles d’abord roman, puis plus tard célèbres pièce et film.
Au début des années 30, il réalisa son premier film ; Le Sang d’un Poète grâce à l’aide de Marie-Laure et Charles de Noailles ses grands amis. Il croisa sur sa route le peintre Christian Bérard qui fit le décor de certaines de ses pièces et le peintre Chirico. Il publia un livre important Portraits-Souvenirs.
En 1937, c’est Jean Marais qui entra dans sa vie et devint son compagnon et son acteur fétiche, au théâtre dans Les Parents Terribles puis dans de nombreux films.
Pendant la 2ème guerre mondiale il continua de créer comme si de rien n’était (ce qui lui sera reproché) et se lia avec Arno Breker, le sculpteur du 3ème Reich avec lequel il resta ami après-guerre. En 1944 son film L’Eternel Retour connut un grand succès public.
Après-guerre, il mit un scène un grand ballet Le Jeune Homme et la Mort avec Jean Babilée, une pièce L’aigle à deux têtes avec Edwige Feuillère et Jean Marais, il réalisa un film magnifique La Belle et la Bête avec Jean Marais toujours et publia un essai confession La Difficulté d’être.
Au début des années 50 naquit son amitié avec Francine Weissweiler, épouse d’un héritier de la Shell, qui devint son mécène attitré. Il vécut durant cette décennie la plupart du temps avec elle et son fils adoptif, à lui, Edouard Dermit. Pour elle il réalisa fresques et peinture dans sa villa de la Côte d’azur, Santo Sospir, où il séjournait très souvent. Il écrivit plusieurs tomes d’un journal Le Passé Défini qui ne fut publié qu’après sa mort et une pièce Bacchus qui fit grand bruit et lui valut une polémique avec François Mauriac. Il présida trois fois le festival de Cannes et en 1955 il est élu à l’Académie Française. Pendant toute la décennie, il peignit des toiles, décora chapelles et maisons, réalisa des poteries, dessina des costume pour divers spectacles. Il tourna enfin son film Le Testament D’Orphée, son propre film testament. Il resta très actif jusqu’à sa mort le 11 octobre 1963, quelques heures après qu’il eut appris celle de son amie Edith Piaf.
Qu’est-ce qui l’a donc motivé à faire une œuvre aussi diverse et foisonnante ? Son thème astral va nous aider à le comprendre.
La richesse de l'ambivalence
Cocteau était natif du Cancer avec l’Ascendant en Taureau. Le mélange du signe lunaire et du signe vénusien évoque d’emblée une nature affective, féconde, hyper-réceptive, romanesque.
Il évoque aussi une forte propension à réaliser ses rêves, de la ténacité pour y parvenir parfois au prix de chemins tortueux.
Une triple conjonction Vénus-Neptune-Pluton à l’Ascendant est la première dominante de ce thème. Mars conjoint au Soleil est la sous-dominante. Notons que Mercure dans son signe les Gémeaux est valorisé d’autant plus que la conjonction Soleil-Mars est en maison 3.
Cette Vénus en Taureau (maîtresse de l’AS et en maison 1) nous parle d’une grande soif d’amour et même d’avidité affective, de narcissisme, d’un besoin de s’affirmer en séduisant. Mars (conjoint au Soleil en 3) suggère énergie et courage, un besoin impérieux de s’exprimer, de jeter à la face du monde, tel un enfant, son interprétation de la soi-disant réalité.
Cocteau était un être sensoriel, secrètement voluptueux, sans cesse habité par toutes sortes de désirs et d’impatience à les assouvir. Ces deux planètes symbolisant féminité et virilité marquent déjà chez lui une première ambivalence.
Mais cette Vénus est conjointe à Neptune-Pluton. Elle parle d’un être à la créativité très intense, au comportement réalisateur mais en prise directe avec l’invisible, le complexe, le trouble. Elle sous-entend une nature mystique, mystérieuse au comportement parfois mystificateur. Elle présage d’un tempérament soucieux de renouveler l’art de communiquer, de réinventer un langage pour mieux appréhender l’invisible. Cocteau était un artiste dont l’imaginaire était en perpétuel renouvellement, il était un «illusionniste-magicien» qui n’arrêtait pas d’inventer, de surprendre.
Cette triple conjonction étant dissociée (Taureau-Gémeaux), elle enrichit en quelque sorte la créativité qu’elle induit.
Avec Neptune-Pluton en Gémeaux, on perçoit l’inconscient avec force, on recherche son identité à travers la quête du double, du « jumeau absent » (ceci est confirmé par la conjonction Mercure-Lune noire en Gémeaux), on initie en voulant être initié, on traque inlassablement la vérité. Avec Vénus en Taureau on traduit tout cela en termes de beauté, de sensualité, on accouche d’une œuvre construite palpable, comme par un coup de baguette magique l’irréel se dessine en pleine lumière et enivre les sens.
Cocteau était à la fois un être instinctif (Vénus-Ascendant en Taureau en conjonction de Pluton) et cérébral (Maison 3, Mercure et Neptune-Pluton en gémeaux, Lune en Vierge).
Le maître de 7, Pluton, en maison 1 et conjoint à Vénus-Neptune, montre une tendance à s’approprier l’autre, à s’en nourrir. Cocteau s’est lié avec les plus grands créateurs de son temps. Il entretint notamment un rapport passionnel avec Picasso tout au long de sa vie. Ils travaillèrent souvent ensemble mais vécurent aussi une véritable amitié. Cocteau écrivit à ce propos : « Picasso m’a appris à courir plus vite que la beauté ». Il commenta plus tard cette phrase en l’explicitant. Il disait : « Courir moins vite que la beauté, c’est n’être jamais beau. Courir plus vite que la beauté, c’est obliger la beauté à nous rejoindre, obliger une force qui semble laide à devenir belle après coup ».
Cocteau fut aussi un pygmalion infatigable, il aida à révéler nombre de personnalités : de Radiguet à Jean Genet, en passant par Jean Marais et bien d’autres. En fait s’il absorba goulûment de nombreux talents (Vénus-Neptune en Taureau), il fit cependant œuvre originale et créa sans conteste un style Cocteau (Pluton veillait au grain). Ses dessins mêlant souvent crayon, encre de chine, pastel et écriture, représentant nombre de ses amis et relations mais aussi lui-même, exécutés avec sa fameuse technique du trait continu, sont toujours résolument modernes parce qu’intemporels.
La Lune en Vierge, très virginisée puisqu’en maison 6, si elle suppose de la rigueur, le sens du détail, le goût de l’effort quotidien dans son travail, implique aussi un doute permanent de soi, l’impression de se sentir toujours limité.
Qu’elle soit reliée à Vénus-Neptune-Pluton, la Lune a incité Cocteau à tenter de dépasser sans cesse ses limites. C‘est pour cela qu’il a touché à tant de domaines : le poète était tout le temps à la tâche, il s’est mis toute sa vie, comme il l’exprimait lui-même « au service de l’art ». Mais il a eu du mal à exprimer sa sensibilité tantôt inhibée, tantôt exacerbée, souvent les mots ne suffisaient pas (Lune carré Mercure-Lune noire, carré Jupiter) d’où sans doute le recours fréquent aux mythes antiques dans son œuvre exprimés via des vecteurs mêlés et différents comme ces poèmes ou prose illustrés par des dessins, ces spectacles qu’il écrivait mais qu’il mettait aussi en scène, dont il dessinait même les costumes, qu’il interprétait parfois.
Ce Soleil en maison 3 et conjoint à Mars, indique, outre le besoin impératif de trouver des moyens d’expression, une grande curiosité intellectuelle, un tempérament actif et passionné, un côté juvénile et ludique. Mais ce Soleil est opposé à Jupiter et carré à Uranus parle aussi d’un tempérament ombrageux et susceptible qui se rebelle sans cesse, qui ne craint pas la provocation et l’excès pour montrer qu’il existe pleinement. Cocteau homme charmeur et séduisant avait aussi un côté caractériel, capricieux, très changeant. Être aux multiples facettes, il choqua longtemps aussi bien par ses créations que par sa vie. On lui reprocha longtemps sa mondanité (il fut mondain surtout quand il était jeune), son opportunisme, son avidité de reconnaissance symbolisé par ce Jupiter conflictuel en Capricorne. Jupiter est à la fois, dans ce thème en forme de Seau l’anse et planète singleton, la seule au-dessus de l’horizon. Ce Jupiter en maison 8 et « chez Saturne » parle bien de reconnaissance tardive, de difficulté à faire admettre sa différence, de boulimie orgueilleuse de pouvoir, certes de pouvoir occulte mais de pouvoir tout de même. On ne passe pas du statut de « Prince frivole » comme on le surnommait au temps des ses outrances juvéniles, à celui de « Prince des Poètes » sans le vouloir ardemment… de toute son âme. Mais il ne fut jamais satisfait de la reconnaissance qu’il obtint, les honneurs et la gloire ne lui suffirent pas, il disait de cette dernière : «elle fait de vous un pantin». Il aurait voulu une reconnaissance unanime, être reconnu comme le Poète du siècle.
Images parentales et mythes dans l'œuvre de Cocteau
Cocteau a été fasciné par les mythes antiques dont il s’est servi tout au long de son œuvre comme un moyen d’identification personnelle. Milorad, un auteur qui entretint une correspondance suivie avec Cocteau, écrivit «Pour Cocteau, l’œuvre créatrice artistique et poétique remplace la virilité perdue par la castration œdipienne».
Cocteau aborda beaucoup de mythes dans son œuvre, mais tout au long de celle-ci deux d’entre eux sont omniprésents : celui d’Oedipe et celui d’Orphée. En rapprochant ceux-ci des images parentales que suggère son thème de naissance, on saisit une des clés de l’œuvre de ce créateur si complexe et si particulier.
L’image paternelle que suggère ce Soleil conflictuel, conjoint au Nœud Nord, est problématique. Elle exprime le manque de l’autorité du père, le manque de communication avec lui, elle parle d’un père « héros négatif » (la conjonction Soleil-Mars est opposée à Jupiter) ne lui permettant pas de s’identifier à lui, avec lequel la coupure a été brutale et incompréhensible (le Soleil est aussi carré à Uranus) . Comment comprendre le monde, avec qui partager, échanger pour se forger une idée de soi, à quel double se référer quand, lorsqu’on a neuf ans (orbe de l’opposition Soleil-Jupiter), son père renonce à sa mission.
Georges Cocteau s’est suicidé en 1898 : on l’a découvert dans sa chambre, un matin d’avril, baignant dans son sang. Les causes de son suicide n’ont jamais été élucidées. Cocteau a dit que les valeurs boursières ayant baissé, son père n’avait pu supporté l’idée d’être au bord de la ruine. Cette hypothèse semble trop simple, d’ailleurs sa mère, une fois seule, ne manqua jamais de rien. On ne sut jamais non plus si, version officielle, il s’était tiré une balle de revolver dans la tête ou si, comme l’affirma une fois Cocteau à la fin de sa vie, il s’était égorgé avec son rasoir.
L’image symbolique du Soleil de Cocteau (13° du Cancer), par la Cabbale, est celle d’un homme portant une brebis égorgée et sanglante ainsi que d’un poignard près d’une tête coupée.
Comment ne pas faire le rapprochement entre le père et le sang, le père sanglant qui fit couler le « Sang du Poète ».
Il semble n’avoir jamais digéré cette mort, cette cruelle absence, il haïssait son père faute d’avoir pu l’aimer. Ce qu’il y a de plus blessant pour un enfant devant un tel choc, c’est le non-dit : Eugénie, sa mère, ne lui expliqua jamais rien de cette mort subite. Peut-être elle-même ne la comprit-elle jamais…
La Lune en Vierge, aux multiples aspects et en maison 6, exprime l’image d’une mère conformiste, très attachée aux réalités quotidiennes, au concret et incarnant la voix de la raison. Elle suggère aussi une mère prudente et économe .Il en dépendra d’ailleurs matériellement jusqu’à un âge avancé (La Lune noire en maison 2 est carré à la Lune).
Cocteau vécut longtemps seul avec cette mère qu’il a beaucoup aimé, qu’il a sans nul doute idéalisé (il disait qu’elle était une femme extraordinaire) et dont il savait qu’elle le comprenait en profondeur (La Lune est au trigone de Vénus, Neptune et Pluton). Elle rêvait pour lui d’un grand destin, le poussait et l’aidait à se réaliser (La Lune est trigone au Milieu-Du-Ciel et à l’Ascendant). Elle était fière de lui comme poète mais supportait parfois difficilement sa marginalité et son excentricité (La Lune est aussi carré à Mercure et à Jupiter). D’ailleurs tout en formant avec elle un couple inséparable, il se rebella contre son autorité et ses vues sociales classiques.
Cocteau eut aussi des aventures avec des femmes dont deux où il aurait pu devenir père. La première quand il était très jeune avec Madeleine Carlier qui perdit l’enfant de lui qu’elle portait. La seconde avec Nathalie Paley, dans les années 30, princesse russe parente de Nicolas II, le dernier Tsar. Elle eut une aventure avec lui très fusionnelle et enceinte elle hésita longtemps à garder cet enfant avant d’avorter. Elle était mariée à un couturier de l’époque, Lucien Lelong. Les deux fois, sa mère approuva ces issues négatives sans doute par convention. On retrouve bien là le carré de la Lune Noire à la Lune : Eugénie Cocteau qui fut une mère mécène fut aussi une mère castratrice.
Comme dans le mythe, Cocteau-Œdipe avait bien épousé sa mère et ainsi tué le père une seconde fois et il avait à affronter malgré lui un destin tragique. Grâce à sa forte personnalité et à son talent, il expia sa faute en se vouant corps et âme aux affres de la création.
Rappelons qu’Oedipe, dans la légende, après avoir tué sans le savoir son père, rencontra le Sphinx, créature mi-lion mi-femme, qu’il crut vaincre en répondant à son énigme. Mais ce Sphinx qui disparut dans la mort après sa rencontre avec Œdipe emporta finalement avec lui le lourd secret de la destinée humaine. Il symbolise la fatalité qu’ont ne peut essayer de transcender que par la création artistique. Et toute sa vie durant, Cocteau chercha le salut par l’Art (avec un grand A).
Dans l’itinéraire du poète, on retrouve une autre figure légendaire : Orphée.
Orphée, mythe antique aux multiples versions, était avant tout un musicien incomparable qui charma à la fois le monde terrestre et les Dieux. Grâce à son talent, il obtint de ceux-ci la résurrection de sa femme Eurydice tuée par un serpent. Il s’était engagé à ne pas la regarder revenir sur le chemin de la vie, mais il ne tint pas parole et se retourna, elle disparut à jamais. On a dit aussi qu’après avoir fait son deuil d’Eurydice il se détourna des femmes et prôna même l’homosexualité.
Orphée est l’homme qui a violé l’interdit et osé regarder l’invisible. Les dominantes planétaires de Cocteau expliquent aisément que celui-ci se soit identifié à Orphée. Vénus symbolise le talent indéniable et charmeur, Neptune et Pluton représentent l’invisible, Mars (opposé à Jupiter en 8) figure l’absurde impulsivité qui l’a poussé à se retourner vers l’au-delà.
Cocteau chercha sans cesse à communiquer avec ceux qui étaient de « l’autre côté du miroir » : son père en premier lieu mais aussi tous ses amis et ses amants disparus prématurément. Orphée incarnait pour lui la fonction et la mission du poète idéal : abolir la frontière entre le visible et l’invisible, celle qui sépare artificiellement la vie de la mort.
La difficulté d'être de Cocteau
Dans l’ouvrage du même nom paru en 1947, il écrivit dans la préface : « En fin de compte tout s’arrange sauf la difficulté d’être qui ne s’arrange pas ». Dans le cœur du livre, il dit encore : « Ce doit être un rêve de vivre à l’aise dans sa peau. J’ai de naissance une cargaison mal arrimée. Je n’ai jamais été d’aplomb. Voilà mon bilan si je me prospecte. »
Cocteau, Vénus oblige, passa sa vie à essayer de s’aimer et d’être aimé . Physiquement il se trouvait disgracieux et dans sa jeunesse, il eut souvent des comportements outranciers pour attirer l’attention, pour se faire apprécier.
Très jeune, il vécut d’abord son côté vénusien superficiellement, en essayant de plaire tous azimuts, en menant une vie mondaine, en se cherchant sans cesse dans les yeux d’autrui. Il y gagna rapidement la notoriété mais qui reposa sur un malentendu. On le prenait pour le Prince Frivole qu’il n’était pas. Avec ce Soleil, aiguillonné par Mars et éperonné par Jupiter et Uranus, il en fit souvent trop et créa lui-même les conditions de l’incompréhension dont il fut victime. Cette structure solaire indique une tendance à la paranoïa, ce qu’il exprima en réagissant très mal aux critiques dont il était l’objet et en se montrant d’une hypersensibilité maladive. Il faut dire qu’il fut méchamment attaqué entre autre par Gide et Mauriac avec qui il entretint maintes polémiques, mais il était trop dérangeant pour ne pas l’être. Il en avait conscience puisqu’il affirmait dans Le Journal d’un inconnu : «Si j’écris je dérange, si je tourne un film je dérange. Si je peins je dérange. Si je montre ma peinture je dérange et je dérange si je ne la montre pas j’ai la faculté de dérangement. Je m’y résigne car j’aimerais convaincre. Je dérangerai après ma mort ».
Lui qui a beaucoup innové dans son travail (Uranus est en maison 6 au trigone de Mercure) refusait pourtant d’être taxé d’avant-gardisme. Il voulait être, exister sans étiquette, en toute vérité. Il écrivait : « Une œuvre est à tel point l’expression de notre solitude qu’on se demande quelle étrange nécessité pousse un artiste à la mettre en pleine lumière ».Et pourtant la sienne qui parlait beaucoup d’ombre, de nuit, d’invisible, il la porta en pleine lumière.
Cocteau souffrit beaucoup durant sa vie. S’il souffrit de ne pas être compris et de susciter l’hostilité, il souffrit aussi physiquement. De santé fragile (Lune et Uranus sont en 6) il eut, entre autres maux, des problèmes de peau récurrents sans doute en partie psychosomatiques (on pense à son signe natal le Cancer), des sciatiques à répétition et à la fin de sa vie plusieurs crises cardiaques ( le Soleil est mal aspecté par Uranus et Jupiter) et c’est du cœur qu’il mourut.
Il ne craignait pas la mort, il écrivait : «J’ai traversé des périodes tellement insupportables que la mort me semblait quelque chose de délicieux. J’y ai pris l’habitude de ne pas la craindre et de l’observer face à face».
Dès son adolescence, Cocteau fuma l’opium qui l’accompagna une grande partie de sa vie. Il fut obligé de subir plusieurs cures de désintoxication et durant l’une d’entre elles rédigea un journal intitulé « Opium ».Dans certaines périodes il fumait jusqu’à 70 pipes d’opium par jour ! Bien sûr, on pense à Neptune et au Cancer neptunien qu’il était : rêver sa vie à défaut de vivre complètement son rêve, fuir ainsi la décevante réalité.
Si l’opium semble avoir été pour lui un moyen de vaincre son angoisse existentielle, il l’aida beaucoup à vaincre l’angoisse de la création. Cocteau créa la plupart du temps dans la douleur, il avait notamment beaucoup de mal à écrire. En même temps qu’il doutait de lui (Lune en Vierge, Saturne au carré de l’Ascendant), il était d’une très grande exigence qui le paralysait (on retrouve la conjonction Mercure-Lune noire). Il disait ; « L’acte d’écrire est donc lié à plusieurs contraintes : intriguer, exprimer, envoûter ». Il exprimait ainsi Neptune, Soleil-Mars en 3 et Pluton. Cette conjonction Mercure-Lune noire en dit long sur sa difficulté à communiquer. Pour lui, on pouvait tout essayer de dire par les mots, mais il était presque utopique d’être compris, entendu. Une phrase d’Opium est révélatrice : « Ecrire pour moi, c’est dessiner, nouer les lignes de telle sorte qu’elles se fassent écriture ou de les dénouer de telle sorte que l’écriture devienne dessin ». S’il écrivit ceci sous abstinence, on comprend dans ce journal que l’opium lui permit de nouer et dénouer ces lignes en atténuant ainsi l’inconfort douloureux qui accompagnait toujours son élan créateur.
Cocteau eut une vie affective complexe et mouvementée. Comment s’en étonner avec cette conjonction Vénus-Neptune-Pluton ? S’il aima quelques femmes comme je l’ai déjà évoqué (on lui a même prêté tout jeune une aventure avec Mistinguett), il eut majoritairement des aventures masculines. Il n’a jamais fait mystère de son homosexualité sans la revendiquer pour autant, il n’aimait pas les étiquettes. Pour lui c’est l’amour qui comptait, peu importe avec qui et comment ! Très passionnel, très possessif avec cette Vénus en Taureau conjointe à Pluton, il sortait complètement brisé de toute rupture. Avec Vénus-Neptune il fut aussi un Pygmalion pour tous ceux qu’il aima. Il fit notamment de Jean Marais une grande vedette. Ils ne furent amants que quelques mois avant de vivre une amitié qui ne se démentit jamais. En effet avec Vénus-Neptune, il était aussi capable de sublimer l’amour physique et, à l’en croire, il fut relativement chaste dans la dernière partie de sa vie.
D’ailleurs il écrivait à ce moment-là un peu désabusé : « je sais mieux faire l’amitié que l’amour… ».
Cocteau connut la gloire de son vivant et n’en fut jamais dupe Il savait qu’autant que l’échec, elle renforce la solitude. Créer pour lui était un moyen d’exister dans l’invisible donc de gagner sa part d’éternité. Il fit d’ailleurs écrire sur sa tombe en guise d’épitaphe : « Je reste avec vous », façon d’abolir une dernière fois et pour toujours la frontière entre le visible et l’invisible.
Il conclut la Difficulté d’Être par la note suivante : …l’art, je le répète, n’existe pas en tant qu’art, en tant que détaché, libre, débarrassé du créateur, mais il n’existe que s’il prolonge un cri, un rire ou une plainte.
Le cri, le rire, la plainte de Jean Cocteau résonnent toujours émouvants, étonnants, dérangeants dans nos têtes, sans doute en prélude à cette part d’éternité dont il rêvait tant !