CÉRÈS ET LES ASTÉROÏDES DANS LE SYMBOLISME DU SYSTÈME SOLAIRE, par Daniel VERNEY

Dans l'ordonnance concentrique du système solaire, Cérès et les Astéroïdes occupent la quatrième place ; il y a des écarts notables mais la majeure partie des Astéroïdes ont des orbites pas trop excentriques, situées entre celle de la Mars et celle de Jupiter.
Vers l'extérieur, Cérès poursuit la projection marsienne dans le monde mais à un niveau mentalisé par rapport à l'agir. Avec Mars, l'individu-Terre fend le monde physique, avec Cérès il fend le monde psychique-mental, il découpe ce monde en morceaux ; c'est la fonction de séparation, d'individuation mentale appliquée d'abord à la pénétration dans le monde extérieur ; c'est la base de cette autre activité fondamentale du cerveau humain : distinguer et nommer au lieu de sentir et d'agir.


Article paru dans le numéro 41 de la revue "L'astrologue", 
revu et corrigé par l'auteur le 10 juin 2010

Note préliminaire de Daniel Verney : Ce texte a subi des corrections de forme, et quelques modifications mineures du contenu pour l'alléger de références liées au contexte de l'époque, et devenues obsolètes ou peu compréhensibles. Nonobstant ces changements, il s'agit du texte original.
  
Cérès, une petite planète de 700 km de diamètre qui gravite autour du Soleil entre les orbites de Mars et de Jupiter, a été découverte en 1801, suivie en quelques années par trois autres objets analogues : Pallas, Junon et Vesta. Depuis lors, des milliers d'autres corps célestes, en général beaucoup plus petits, ont été repérés et nommés : leurs caractéristiques astronomiques, malgré des différences notables, présentent suffisamment de parenté pour que l'on puisse les considérer comme faisant partie, avec les quatre premiers mentionnés, d'une "famille" : celle des Astéroïdes.

Cette famille qui occupe une place particulière dans l'ordonnance du système solaire et comprend quelques objets de dimensions suffisantes pour qu'on les qualifie de planètes, est restée pendant plus de 150 ans après sa découverte hors des préoccupations des personnes qui s'intéressaient à la symbolique du système solaire : voilà un fait curieux qui mérite réflexion ; et il n'est pas indifférent que depuis quelques années se manifeste un intérêt croissant et souvent perplexe à l'égard de Cérès et des Astéroïdes. J'y vois, pour ma part, un signe qui dépasse largement le cadre de l'histoire de l'astrologie car il nous oriente (en convergence avec d'autres éléments) vers une vision du psychisme humain qui est à la fois nouvelle et pourtant reliée aux aspects les plus fondamentaux des traditions symboliques et métaphysiques : chacun de nous vit la situation paradoxale d'un "individu" pourvu d'un corps biologique séparé, organisé et pourtant dépendant de l'environnement et par là constamment confronté au manque, au besoin, bref à ses limites ; et la situation d'une conscience (ou d'une non-conscience) liée à ce corps et pourtant séparée de lui et séparée d'elle-même, et constamment confrontée au principe d'une totalité que l'individu ne possédera jamais et d'un centre qu'il ne sera jamais. Totalité et centre dont l'être humain est voué à assumer le manque et c'est pourtant cela qui constitue l'aiguillon de tout désir, de toute existence, de toute intensité de vie.

De cette situation paradoxale, la symbolique de Cérès et des Astéroïdes, telle qu'elle peut être vécue par la Terre (et donc par nous) au sein du système solaire, nous montre une articulation essentielle que j'essaierai de condenser dans les mots suivants : 
  • perception des limites de toute individualité dans l'espace et le temps et de la séparation que cette individualité est obligée d'assumer du fait même qu'elle est au monde ;
  • rôle essentiel de cette fonction, propre à l'homme, qu'est le langage articulé, porteur de la nomination et de la parole (et, entre autres propriétés, de l'abstraction, de la logique, de la structure), et qui permet éventuellement à l'individu humain de transcender son aliénation au monde et à lui-même par une alliance avec lui-même et avec le monde.
En effet, c'est autour de ces notions de base que me semblent devoir être axées les valeurs symboliques de Cérès et des Astéroïdes : dans le cadre du présent article ; je n'essaierai pas de le "démontrer", mais plutôt d'en présenter les principaux points de repère et de convergence.

Il s'agit ici d'une recherche des fondements de la symbolique du système solaire, non pas "en elle-même" ou "dans l'absolu", mais telle qu'elle peut être vue de la Terre, et vécue et parlée par l'homme sur la Terre ; et plus précisément, telle qu'elle peut être formulée avec les éléments de connaissance dont nous disposons ici et maintenant. Les idées exposées dans cet article (voir note) découlent entre autres : 
  • des notions sur la structure du système solaire développées dans la première partie de mon livre "Fondements et Avenir de l'Astrologie" (Fayard, 1974) ;
  • de travaux plus récents sur les situations humaines dans la perspective de diverses théories du psychisme, principalement celle de Jacques Lacan et de son école psychanalytique.
Cette recherche suppose que l'on fasse référence d'une part à la réalité astronomique, celle du système solaire, dont la Terre et Cérès font partie, et d'autre part à différentes approches des sciences humaines qui nous apportent des éléments à la fois pertinents pour la compréhension de l'homme en situation et, selon nous, fondamentalement en accord avec la structure et la symbolique du système solaire.

Note de l'auteur : ces théories étaient étudiées dans un groupe de recherches co-fondé par l'auteur et auxquels il a participé entre 1975 et 1978.

La Terre dans le système solaire

Rappelons brièvement quelques données astronomiques essentielles qui vont éclairer notre recherche.

Tout d'abord, le système solaire est un ensemble ordonné de corps qui tournent (tous dans le même sens) autour d'un corps "central" très particulier, le Soleil (en toute rigueur, le Soleil est un foyer pour chaque orbite planétaire considérée théoriquement comme une ellipse). Le Soleil est une étoile qui transforme sa masse en énergie électromagnétique par un ensemble de réactions thermonucléaires ; cette énergie électromagnétique (dont la partie visible est la lumière) est le moteur de la vie sur la Terre (cf. Henri Laborit, "Du Soleil à l'Homme", Masson, 1963). Mais la caractéristique du Soleil qui nous intéresse ici n'est pas essentiellement le fait qu'il soit la source d'énergie pour la Terre et l'homme, mais plutôt le fait astronomique suivant (qui n'est certes pas indépendant du premier) :

le Soleil détient environ 99 % de la masse de l'ensemble du système solaire

C'est dire que les planètes se partagent le 1% qui reste, et parmi elles la Terre, qui n'est pas bien grosse par rapport à Jupiter (voir note). Il en découle que :

le Soleil détient environ 300 000 fois la masse de la Terre

Note de l'auteur : Rappelons qu'en diamètre, la Terre est environ 10 fois plus petite que Jupiter, et celui-ci environ 10 fois plus petit que le Soleil : elle est donc environ 100 fois plus petite que le Soleil.

Du fait de cette disproportion des masses, le Soleil est, pour le système solaire, le centre ordonnateur, et cela du fait des forces de gravitation qui sont des forces d'attraction à distance. À plus forte raison, pour la Terre, le Soleil représente : 
  • la quasi-totalité qu'elle (la Terre) ne "possède" pas,
  • le centre qu'elle n'"est" pas,
  • ce qui attire,
  • le principe d'un ordre du monde, mais un ordre véhiculé par des forces invisibles qui agissent à distance là où il y a de la matière ; c'est, en apparence, un ordre imposé par le Soleil, mais, au-delà de cette apparence, il faut voir que cet ordre n'existe que parce que le Soleil n'est pas seul : c'est justement le cortège planétaire qui donne à cette ordonnance son sens, et l'on peut même dire que chaque planète donne à cette ordonnance le sens qui lui est propre en fonction de sa situation dans l'ensemble du système, et module ce sens dans le temps et dans l'espace.
Ainsi en est-il pour la Terre, troisième planète à partir du centre : c'est en fonction de cette situation particulière de la Terre que nous pouvons donner un sens à l'ordonnance du système solaire, et notamment un ensemble de significations symboliques à chaque orbite planétaire, et cela :
  • selon que l'orbite planétaire est "à l'intérieur" ou "à l'extérieur" de l'orbite terrestre (c'est-à-dire plus proche ou plus éloignée du Soleil que la Terre,
  • selon que cette orbite planétaire est plus ou moins voisine de l'orbite terrestre,
  • enfin, en fonction de la symbolique solaire, telle qu'elle a été (certes trop brièvement) énoncée ci-dessus. 
"Rhızlınkıng thε mεdıan vacuum"
par Joël-Evelyñ-François Dézafit-Keltz sur Flickr
Ainsi, on peut penser que les orbites "intérieures" (Mercure, Vénus) seront porteuses de valeurs symboliques plus proches de l'"unité-totalité-centralité" représentée par le Soleil ; alors que les orbites "extérieures" (Mars, Cérès, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton) seront porteuses de valeurs symboliques en rapport avec l'extériorité et la perte de l'"unité-totalité-centralité".
D'autre part, plus on considérera une orbite éloignée de celle de la Terre, plus il s'agira de valeurs symboliques éloignées du vécu individuel "brut" ou "naïf" représenté par la Terre elle-même : ainsi, Vénus et Mars seront en rapport avec des valeurs plus proches du physique, et Mercure et Cérès avec des valeurs plus proches du mental ou du "psychique", du moins si l'on essaie de formuler ces valeurs selon les divers niveaux structuraux de l'individu humain.

Bien entendu, il faudrait ici faire intervenir un facteur essentiel pour la Terre, l'existence de son satellite la Lune : la Lune est en effet le seul corps notable qui tourne autour de la Terre, et le plus proche d'elle parmi les corps célestes. À ce titre, elle fait de la Terre un "centre", mais un "centre" individualisé, partiel, "naïf", directement, intrinsèquement lié au corps physique. Ainsi l'enfant forme-t-il peu à peu ce que les biologistes du comportement appellent son schéma corporel, d'une part grâce à la perception de ses membres qui gravitent autour de lui et de sa peau qui l'enveloppe et le met en contact avec l'extérieur, et d'autre part, de façon au départ prioritaire, par la perception qu'il a de ce que nous appelons la mère et qui n'est d'abord qu'une partie de lui-même dont il est séparé (ainsi que la clinique psychanalytique l'a repéré, notamment dans les travaux de Jacques Lacan et de son école).

Cérès et les Astéroïdes dans le système solaire

Dans l'ordonnance concentrique du système solaire, Cérès et les Astéroïdes occupent la quatrième place ; il y a des écarts notables (quelques astéroïdes, comme Icare, s'approchent du Soleil en pénétrant à l'intérieur de l'orbite terrestre et s'en éloignent jusqu'aux confins de l'orbite de Jupiter) mais la majeure partie des Astéroïdes ont des orbites pas trop excentriques, situées entre celle de la Mars et celle de Jupiter. 

Il faut remarquer à ce propos que la dimension de chaque orbite planétaire est considérée comme pratiquement le seul élément astronomique constant dans le système solaire : l'ordonnance "concentrique" du système solaire est donc une structure forte et stable et il m'a toujours paru nécessaire de fonder d'abord sur elle la symbolique planétaire vue de la Terre. Au XVIIIe siècle, deux astronomes, Titius et Bode, avaient remarqué, chacun de son côté, que cette ordonnance obéissait à une relation numérique régulière, à condition d'imaginer une planète entre Mars et Jupiter : Cérès, découverte en 1801 est, parmi les astéroïdes, celui qui vérifie de plus près cette relation. Ce fait n'est pas en lui-même une preuve mathématique de l'importance symbolique de Cérès (d'autant plus que jusqu'à présent personne n'a trouvé de justification physique satisfaisante à la "loi de Bode" et que par ailleurs cette loi subit un décalage avec Neptune et Pluton), mais c'est un indice qui nous signale la place particulière des Astéroïdes, et parmi eux du plus gros, Cérès, dans l'ordonnance concentrique du système solaire. On peut résumer cette situation, par rapport à la Terre, et en considérant Cérès comme le "meilleur" représentant des Astéroïdes, de la façon suivante : 
  • Cérès occupe une orbite "extérieure" à celle de la Terre ;
  • cette orbite est la deuxième par ordre d'éloignement concentrique à partir de l'orbite terrestre ; à ce titre, elle doit être couplée avec celle de Mercure (qui est la deuxième à partir de l'orbite terrestre, mais vers l'"intérieur") ; de même que les deux orbites les plus proches de celle de la Terre - à savoir Vénus et Mars - sont associées dans la symbolique du système solaire vue de la Terre.
Premier aperçu sur la symbolique de Cérès par rapport à la Terre

Considérons maintenant - comme nous l'avons implicitement fait au début - la Terre comme un "individu" : 
  • séparé du reste du monde - et c'est bien pour cela qu'il "a" une individualité, une vie propre, une structure...
  • appartenant à un monde où il y a l'ordre et du sens (cf. l'ordonnance du système solaire), mais un ordre et un sens à découvrir et assumer par l'individu,
  • attiré et mu à la fois par un principe de centralité et de totalité et en même temps obligé d'assumer qu'en aucun cas il ne peut coïncider avec le Soleil, c'est-à-dire se croire lui-même investi de cette "centralité" et de cette totalité ; en termes humains, cela voudrait dire : amené, si du moins il vit véritablement sa situation paradoxale d'individu dans le monde, à assumer cette distance et même à y trouver le sens de son existence.
Les orbites planétaires représenteront pour cet individu-Terre des "pôles" de sa structure d' "être-au-monde" : 
  • Mars et Vénus représentent le couple de pôles le plus proche du vécu individuel "physique" ; Mars étant un pôle "extériorisant" qui projette l'individu au sein du monde extérieur en mode de pénétration (ce que nous pourrions appeler le geste, l'agir) et Vénus un pôle "intériorisant" qui "projette" le monde extérieur dans "l'individu", au sens où, par exemple le cristallin projette l'image du monde extérieur dans l'homme, sur sa rétine, puis sur son cortex cérébral, comme d'ailleurs le fait à sa façon tout organe des sens dans les différents champs de la perception.
  • Mercure et Cérès (en résumé nous dirons Cérès au lieu de : les Astéroïdes) représentent un couple de pôles plus éloigné du vécu individuel physique, c'est-à-dire faisant intervenir un changement de niveau, une certaine "transcendance" par rapport aux deux pôles précédents de l'agir et du sentir. En termes humains nous dirons que Mercure et Cérès sont des pôles plus proches ou plus représentatifs du mental, que ne le sont Mars et Vénus qui sont plus proches du physique, des besoins vitaux, de l'affectif, du corps. Vers l'"intérieur", Mercure poursuit la "projection" Vénusienne mais à un niveau mentalisé par rapport à la sensation : le pôle Mercurien est alors celui du mental qui relie les sensations à l'intérieur du psychisme humain, comme le fait l'activité phantasmatique chez le nouveau-né qui ne peut pas agir sur le monde extérieur ni se déplacer, mais qui "sent" le monde, la mère, et comme le fait cette activité mystérieuse car difficile à repérer et à représenter clairement que nous appelons intuition... Le messager des dieux, ce n'est pas à l'extérieur qu'il faut le situer, mais en nous mêmes : c'est l'activité de base, première, de notre cerveau imaginant. 
"We are thinking . . so we are rhizoming !""
par Joël-Evelyñ-François Dézafit-Keltz sur Flickr
Vers l'extérieur, Cérès poursuit la projection marsienne dans le monde mais à un niveau mentalisé par rapport à l'agir. Avec Mars, l'individu-Terre fend le monde physique, avec Cérès il fend le monde psychique-mental, il découpe ce monde en morceaux ; c'est la fonction de séparation, d'individuation mentale appliquée d'abord à la pénétration dans le monde extérieur ; c'est la base de cette autre activité fondamentale du cerveau humain : distinguer et nommer au lieu de sentir et d'agir. Mais, pour l'homme, nommer c'est se placer dans le langage, c'est, qu'il le veuille ou non, être en situation dans un monde où le langage lui est imposé (y compris et peut-être d'abord par le genre - il ou elle - qui lui est donné dans la langue maternelle, et par le nom qui sera toujours d'une façon ou d'une autre le nom du père ou - comme dirait J. Lacan le non du père. Aussi n'y a-t-il pas pour l'être humain d'activité mentale de pure séparation : dès qu'il y a le langage et la nomination, il y a tout un réseau de relations de type structurel et logique, même si ces relations sont inconscientes : c'est une des découvertes fondamentales de notre époque, entrevue par Freud, énoncée par le linguiste Jakobson, reprise et développée par J. Lacan : l'"inconscient est structuré comme un langage".

Quelques éléments sur la psychogénèse humaine et la symbolique du système  solaire

Ces réflexions à partir de l'ordonnance du système solaire nous fournissent des points de repère pour déchiffrer la place symbolique de Cérès - en tant que représentante des Astéroïdes - dans le système solaire vu de la Terre. Il est bien évident que cette place symbolique ne pourrait qu'être évoquée de façon abstraite si nous ne faisions référence à une grille de description du vécu et des situations humaines.

C'est là, à mon sens, la situation, elle aussi paradoxale, de la symbolique astrologique : considérée en elle-même ce n'est qu'une structure abstraite, un squelette sans chair ou un vase sans contenu ; il vaut mieux affronter ce fait que de lui tourner le dos ; c'est chaque individu qui donne un sens à cette structure, mais en fonction de caractéristiques intrinsèquement liées à la "condition humaine" et qui, à chaque époque, s'organisent dans différentes visions du psychisme humain en situation.

Il semble que nous disposions actuellement d'éléments qui permettent d'aller très loin dans la compréhension du psychisme humain et surtout de la transformation individuelle qui pourrait s'appeler découverte du "sens" de l'existence individuelle et par suite, pour chacun, découverte de la "jouissance" (jouir du sens). Il n'est pas question d'entrer ici dans les détails mais l'on peut dire qu'une condition nécessaire à la mise en œuvre de ces éléments de connaissance, ce serait, pour chaque individu, d'assumer la "castration", c'est-à-dire la séparation, c'est-à-dire la limitation, de l'existence individuelle : "je" n'ai pas la totalité, "je" ne suis pas le centre, de même que la Terre n'est pas le Soleil.

Pourtant, de façon "naïve" au début de la vie, puis d'une manière plus élaborée, "je" me vis comme totalité et comme centre du monde : il y a en moi un "enfant-roi" qui, par tous les moyens - y compris les plus subtils et les moins "conscients" - dépense une énergie considérable à "tirer la couverture à soi"... Sans doute, le système vivant qu'est mon corps est entièrement organisé pour sa propre survie, le maintien de son équilibre interne (ce que les biologistes appellent l''"homéostasie"), ainsi que pour la conservation de son espace vital extérieur. Mais c'est le propre de l'homme - à la différence de l'animal - de pouvoir construire, sur la base de ses besoins physiologiques, un être "phantasmatique", le "moi - je", l'enfant - roi qui, en fait, a pour fonction essentielle la fabrication, le maintien, le développement (et la projection sur autrui) d'une image de soi. Image indispensable à la construction du moi, l'"enfant-roi" est sans cesse à tuer en moi et sans cesse renaissant (cf. Serge Leclaire : "On  tue un enfant", Le Seuil, 1975).

On peut dire, en résumant, que la situation typique vécue par tout être humain est la transposition (différente pour chacun, certes, mais fondamentalement identique) de la situation "vécue" par la Terre : attirée par un Soleil qu'elle "désire" mais avec lequel elle ne saurait fusionner (sauf à disparaître en tant qu'individualité), et attirant une Lune qui l'entoure et l'enveloppe mais qui ne coïncide jamais avec elle, malgré sa proximité.

"sεrεndıpıtoUs Rεsourcε Locator"
par Joël-Evelyñ-François Dézafit-Keltz sur Flickr
Dans les premiers temps de son évolution post-natale, le petit homme, impuissant et dépendant entièrement de la "mère" (cette partie de lui-même dont il est irrémédiablement coupé à la naissance) vit un processus d'"intériorisation" : il est nourri et surtout il fait fonctionner ses fonctions de sensation qui projettent le monde extérieur en lui-même, et, à partir du matériau de ces sensations il développe une activité phantasmatique intense (Mercure) qui supplée à son impuissance motrice et contribue puissamment à la constitution de son unité propre, de son "moi". Bien entendu, il peut le faire grâce aux apports extérieurs et surtout grâce au fait qu'il possède en naissant une structure physiologique qui est en résonance avec le monde : l'essentielle, à ce niveau, est l'existence d'un système nerveux central et surtout le développement d'un néocortex (la partie du cerveau qui est le propre de l'homme) caractérisé par une prédominance gigantesque des possibilités de combinaisons internes (liaisons entre neurones) par rapport aux liaisons avec le monde extérieur. Mais ce système nerveux attend, chez tout enfant, d'être éveillé par le langage.

La "fonction Cérès" et le langage

Le langage c'est l'intrusion en moi du monde extérieur, puis ce deviendra un "outil" de conquête du monde par le moi et un système de "fortification" et de défense du moi. Mais ce peut être (cf. les langues d'Esope), bien mieux que cela : l'arche entre "moi" et le monde, l'"alliance" avec autrui, l'expression du désir en fonction du désir de l'autre. Mais avant d'en arriver là, que se passe-t-il ?

Dans son processus de construction du moi, l'enfant construit son "schéma corporel" et surtout il prend à un certain moment "conscience" de sa propre image d'abord en relation avec celle de la mère, puis en s'affirmant de plus en plus. Par ailleurs, l'intervention du langage puis celle d'un troisième terme, le père, l'obligent à sortir de la dualité enfant-mère et à se projeter dans le monde extérieur - et cela évidemment de façon différente selon qu'il est garçon ou fille, bien que chacun porte en soi les polarités masculines et féminines.

D'abord il casse, il jette (Mars) faisant ainsi l'expérience à la fois de l'espace extérieur et de son propre pouvoir sur les autres (la mère). Mais aussitôt il classe, c'est-à-dire qu'il rassemble les morceaux qu'il a cassés et découpés dans son monde, en organisant ces éléments selon une logique, même s'il s'agit au départ d'une logique fluctuante et difficile à saisir de l'extérieur : c'est la mise en jeu de la "fonction Cérès".

Avec Cérès fonctionne un double processus axé sur la pénétration du monde extérieur par l'individu mais au niveau et au moyen du mental, du langage articulé, de la nomination :

d'abord un processus de distinction, de division en éléments qui, en fait, applique au monde extérieur la notion d'abord confuse d'individualité liée à la construction du moi-je et de l'enfant-roi : découper dans le monde des éléments, c'est d'une façon ou d'une autre, au début, arranger le monde à sa propre image, y tracer des limites qui enserrent autant d'individualités qui sont comme des projections du moi ; paradoxalement, c'est en même temps faire - qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou non - l'expérience de ses propres limites ;
ensuite un processus de liaison, mais cette fois non pas de façon aléatoire ou arbitraire, mais par un ordre logique et structurant ; au début c'est une activité de classement des objets et de l'espace qui est indissolublement liée au développement du langage et surtout de la nomination.
La caractéristique du langage humain c'est qu'il est articulé et qu'il est inséparable d'une fonction d'abstraction qui oblige l'individu à prendre une distance vis-à-vis du monde concret et du monde des images ; et qu'il fonctionne linéairement, dans le temps.

On voit ainsi comment la fonction Cérès (le mental qui découpe puis relie linéairement) à la fois s'oppose et s'associe avec la fonction Mercure (le mental qui reçoit les éléments de l'extérieur et les combine de façon multiple, dans toutes les dimensions possibles, y compris celles des phantasmes), de même que la logique s'oppose et s'associe à l'intuition, le discours articulé à la parole globale, la nomination au cri. L'introduction de Cérès et des Astéroïdes dans la symbolique du système solaire nous interdit désormais de confondre ces fonctions et dissout la confusion qui m'a toujours paru grever traditionnellement la symbolique mercurienne. Elle nous permet aussi de mieux sentir le lien et la différence qui jouent entre le signe zodiacal des Gémeaux (prédominance de Mercure sur Cérès) et celui de la Vierge (prédominance de Cérès sur Mercure).

Je voudrais indiquer brièvement un point de repère biologique qui permet de mieux sentir la dialectique Mercure - Cérès. Les biologistes ont mis en évidence deux grands types de connexions des neurones du système nerveux :

"A man of many language symbols"
"House of knowledge", une sculpture (2008)
de Jaume Plensa, exposée ici à Vancouver
le type réticulé (connexions en réseau) qui, très sommairement ressemble aux branchements du métro parisien : ce type de branchement a été exclusivement utilisé au début de l'évolution et constitue encore en nous les tissus nerveux les plus primitifs ; il permet, avec peu de neurones, des fonctions multiples mais peu différenciées et souvent aléatoires ou globales, telles que celles nécessaires à la survie d'animaux simples en fonction des variations du milieu (par exemple lumière et température de l'eau pour des animaux aquatiques primitifs),
le type lemniscal (connexions en série, ou linéaires) qui seul permet la mise en œuvre d'une suite d'opérations spécifiques et logiquement" reliées ; ce type de connexion est apparu tardivement dans l'évolution et a trouvé son développement avec le néocortex humain ; il permet, en particulier, la projection de sensations très spécifiques sur des zones particulières du cortex cérébral.
Analogiquement, le type réticulé correspond à la fonction Mercure et le type lemniscal à la fonction Cérès.

En fait, dans le cerveau humain, les choses sont bien plus compliquées, car les deux systèmes sont étroitement imbriqués l'un dans l'autre, ce qui expliquerait peut-être - entre autres - les capacités étonnantes, aussi bien positives que négatives, que développe le moi humain pour mêler l'intuition et la logique, le sentiment et la raison.

La fonction Cérès joue un rôle essentiel dans la projection vers l'extérieur par laquelle l'individu humain poursuit les obscurs objets de son désir, de ce désir fondamentalement lié au manque de totalité, au "manque à être" qui caractérise l'individualité.

On sait maintenant, depuis Freud et avec certains de ses continuateurs, qu'il y a de la logique, de la structure dans l'inconscient et par exemple dans la formation des défenses plus ou moins compliquées du "moi". L'ambiguïté du pôle mental extériorisant (Cérès) vient justement du fait qu'il s'appuie sur l'objectivité du monde extérieur pour conquérir ce monde et pour tenter d'approcher ce pôle solaire de totalité qu'en fait personne n'incarne. Et cela n'empêche pas la fonction Cérès de s'appliquer effectivement au monde et de permettre d'y avancer par la connaissance claire et distincte.

"sεrεndıpıtoUs Rεsourcε Locator" 
par Joël-Evelyñ-François Dézafit-Keltz sur Flickr
Le langage articulé est d'abord ce qui structure l'inconscient (cf. la "langue maternelle"), mais c'est aussi ce qui permet à l'individu de prendre une distance vis-à-vis du monde de ses besoins et de ses phantasmes, et c'est peut-être le seul "outil" véritablement efficace pour cela.

Le langage, mis en œuvre alors non plus pour asservir le monde et autrui par le mental, mais pour casser l'aliénation individuelle, permettra éventuellement à l'être humain de jouir de sa propre spécificité, en prenant conscience du fait que cette spécificité, comme le langage lui-même, ne lui "appartient" pas : elle est en fait à chaque instant à créer avec des matériaux qui viennent du monde extérieur, c'est-à-dire essentiellement de la relation à autrui. À ce prix : assumer la séparation et sa propre limite - l'individu peut, avec le langage, parler et vivre son désir. 

Tout se passe finalement en l'individu, ici et maintenant, c'est-à-dire sur la Terre... et non sur Cérès ou sur le Soleil.
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Post-scriptum

Je voudrais ici rendre hommage à André Pélardy (alias André Delalande), astrologue et chercheur, qui m'initia à l'existence de Cérès.
À ma connaissance, il a été le premier en France non seulement à s'intéresser aux Astéroïdes du point de vue astrologique, mais à entreprendre de calculer lui-même les éphémérides de Cérès, "à la main", sans machine à calculer ni ordinateur.
Il collabora aux Cahiers Astrologiques de 1957 à 1973, notamment par l'article Cérès et le signe de la Vierge (Cahiers Astrologiques n° 74, 1958.)