LE ZODIAQUE SUR LES ÉMAUX PEINTS DE LIMOGES

Au musée du Louvre, les salles 19 et 20 de l’aile Richelieu, encore appelées galerie des Chasses de Maximilien et galerie de Scipion, abritent de somptueuses tentures auxquelles elles doivent leur nom.
Les collections du département des objets d'art y sont exposées : vaisselle d'apparat, coupes ou plaques provenant de diverses époques, et plus particulièrement de  la Renaissance. On y trouve des assiettes et des plats émaillés aux bleus profonds, réalisés à Limoges au cours du XVIe siècle. L’iconographie traditionnelle des mois de l’année et des signes du zodiaque s'y manifeste fréquemment.
 

Au Moyen-âge déjà Limoges était célèbre pour ses émaux. Après une longue crise provoquée par la guerre de Cent Ans, la ville revint au premier plan au XVIe siècle, notamment en adoptant le procédé italien qui consiste à étendre les couleurs sur le métal et non plus à les encaisser dans des creux.

Plusieurs séries d'assiettes conservées au Louvre sont dues à Léonard Limosin, grand maître des émaux et de l'orfèvrerie né à Limoges au début du XVIe siècle. Son atelier était d'une fécondité remarquable, notamment par la création d'émaux peints sur le cuivre (plaques émaillées pour la galerie de Fontainebleau). C'est François 1er qui le nomma à la tête de la manufacture royale des émaux de Limoges. 
L’ensemble de l'œuvre de Léonard Limosin comporte plus de mille huit cents pièces, des tableaux de grande taille, des portraits ainsi que de la vaisselle. De nombreux musées en assurent aujourd'hui la conservation, le Louvre, le Metropolitan Museum of Art, le Musée des Beaux-Arts de Limoges, le Palais de L’Évêché, etc.

Les deux assiettes ci-dessous, ainsi que les dix autres pièces de la série, datent du milieu du XVIe siècle et ont été produites par l'atelier de Léonard Limosin. On est frappé par la délicatesse du dessin et par la richesse des nuances bleu nuit et or.

© De Sphæris – association Météores
Les Gémeaux

Chaque assiette représente un signe du zodiaque illustré à la fois par une mise en scène nocturne d'activités saisonnières et par leurs symboles traditionnels, personnages, animaux ou objets, placés dans le ciel étoilé et posés sur les nuages.
Ci-dessus, pour les Gémeaux, au premier plan trois femmes tressent des fleurs printanières et jouent de la musique au milieu d'un jardin tandis qu'au fond cinq hommes étudient un livre. Castor et Pollux discutent dans le ciel en pointant du doigt les étoiles ; on les voit également à l'horizon, assis sur un cheval et partant en voyage.

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Le Taureau

Pour le Taureau, la scène est pastorale, à l'écart du village. Deux femmes ramassent et tressent des plantes, un homme surveille son troupeau de moutons, une femme trait une vache.  La scène devient musicale  par la présence de deux cornemuses. On remarquera la lumière qui se diffuse du signe et qui nimbe d'un manière extraordinaire les nuages et les feuillages. 

À l'époque de leur fabrication ces assiettes étaient plus des pièces d'apparat que des objets usuels. Elles étaient présentés d’un banquet, ou conservées dans un cabinet de curiosités.

Dans la même série que les Gémeaux et le Taureau dont il vient d'être question, voici, ci-dessous, un détail du signe des Poissons, qui correspond à la fin de l'hiver et que l'on distingue dans les nuages : la maisonnée, et en particulier un homme âgé, se préserve de la rigueur de la saison devant un bûcher, un homme apporte un fagot et une femme, munie d'une quenouille et d'un fuseau, file la laine. Voilà qui, en ce signe des Poissons qui symbolise la fin d'un cycle et l'annonce du renouveau, n'est pas sans évoquer les Moires, divinités grecques qui personnifiaient le Destin par leurs attributs, fil, quenouille et fuseau. 

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Les Poissons
 
L'assiette ci-dessous est signée de Pierre Courteys, l'un des meilleurs peintres sur émail de Limoges, excellent coloriste et dessinateur, probablement disciple de Pierre Reymond, et dont les œuvres principales datent du début de la deuxième moitié du XVIe siècle.
 
Ici, il s'agit du mois de février et non du signe des Poissons (inscription Februarius" dans le cartouche du bas). L'iconographie est cependant représentative du signe : le personnage qui se réchauffe, l'âtre, le porteur de bûches ; la femme n'est toutefois pas une fileuse mais une mère de famille qui s'occupe de ces deux enfants.

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Représentant à la fois le signe des Poissons et le mois de février, la scène représentée ci-dessous est identique à celle de Léonard Limosin. Elle est l’œuvre de Pierre Reymond, émailleur de Limoges né en 1513. L'ensemble de sa création s'étale de 1537 à 1578.  tout en exerçant des fonctions officielles entre 1546 et 1568. Son style a évolué depuis une grisaille légèrement teintée vers une grisaille rehaussée de rouge et d'or somptueux, comme on le voit ici.
 
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Les Poissons
 
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Le signe du Verseau et le décor traditionnel du repas, par Léonard Limosin.
On notera la finesse du décor, l'eau qui se déverse depuis le vase. 
 
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Les deux plaques polychromes qui suivent, admirables par le trait et les nuances, sont dues à Pierre Courteys. Elles illustrent le mois de juillet, par le signe du Cancer tout d'abord, signe d'eau représenté par une écrevisse dans le ciel, par les activités et jeux aquatiques ensuite.

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Voici d'autres éléments de la série de Pierre Reymond, réalisée dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Le mois de décembre tout d'abord, qui correspond ici au Capricorne représenté dans les cieux par une chèvre à queue de poisson. C'est  le moment de l'abattage du sanglier, que l'on dépèce, dont on brûle les soies à la flamme, dont on recueille le sang et que l'on conserve en prévision de la disette hivernale.
Sur d'autres assiettes, cette scène est attribuée au Sagittaire.

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Le Capricorne
 
Une part d'ombre entoure l'auteur des pièces qui suivent. Elles sont signées I. C. pour Jean Court, ou I. C. D. V. pour Jean Court dit Vigier, ou Jean de Court. Certains historiens soutiennent que Jean Courteys, Jean Court, I. Curtius, Maître I.D.C. et Maitre I.C. sont une seule et même personne, Jean de Court, qui serait également le peintre de Marie d'Écosse de 1562 à 1567 et ensuite peintre du roi Charles IX. D'autres ne parviennent pas à faire le lien entre les familles Court et Courteys, les productions respectives de se situant pas à la même période du XVIe siècle.
 
Ci-dessous, un détail de la scène du maitre de maison qui se réchauffe devant l'âtre, cette fois sans porteur de fagot ni fileuse de laine. Cette scène est généralement attribuée au signe des Poissons, parfois au Verseau ; ici, elle représente le Taureau, ce qui est manifestement une erreur de reproduction.

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Ci-dessous, le décor du mois de mars, et du signe du Bélier, c'est-à-dire le début du printemps, est une scène de chasse qui n'a que très peu de rapport avec l'iconographie zodiacale traditionnelle, si ce n'est, néanmoins et sans équivoque, les deux personnages qui taillent les arbres fruitiers à l'arrière-plan.

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Le signe du Lion et la moisson
 
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L'abattage du porc, pour le Sagittaire cette fois, et non le Capricorne habituel
 
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Les Gémeaux : un couple amoureux en promenade à cheval
 
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Le signe de la Balance et le foulage du raisin
 
Les trois décors ci-dessous ont pour point commun de représenter, pour le Taureau, les Poissons et le Scorpion, des personnages en couple qui se regardent et partagent une large coupe de vin.

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La plupart des décors de toutes ces séries d'assiettes sont des reproductions de gravures réalisées par Étienne Delaune (env. 1519 - env. 1583), ce qui explique leurs similitudes. Cet artiste a composé plus de quatre cents gravures extrêmement fines, souvent inspirées des maîtres italiens, et qui sont représentatives du style décoratif de l'école de Fontainebleau. Connu aujourd'hui essentiellement comme graveur, il fut sans doute aussi orfèvre et médailleur.