À l’étage de ce bâtiment se trouve la somptueuse Gotische Saal, la salle Gothique. Celle-ci fut totalement rénovée entre 1895 et 1905 après qu'un incendie ait gravement endommagé la petite et la grande salle des échevins. Au plafond vouté figurent des références religieuses et aux murs des scènes de l'histoire. La sculpture, d'origine, y est variée et savoureuse, concrète et vivante, à la fois riche et sobre.
Pour soutenir l'ensemble, à la base de chaque arc et à chaque angle de la salle, des supports de pierre, des corbeaux, œuvres de Pierre Van Oost, font saillie sur les murs. Ils se distinguent par leur face intérieure moulurée et sculptée. Leur sujet ne se perçoit bien qu'à leur aplomb ; il s'agit de représentations des saisons et des mois, expressifs et rehaussés d'or, de personnages ou de scènes mythologiques illustrant des activités et des travaux temporels. Sous chaque représentation, une banderole donne, en vieux flamand, le nom de la saison ou du mois. Par leur représentation saisonnière, ces scènes sont en correspondance avec le symbolisme astrologique.
Voici les douze figures qui s'ordonnent autour de la salle
selon la séquence des mois de l'année. Les noms que portent ces mois
ont été étudiés, en particulier, par le Baron de Reinsberg-Düringsfeld
dans son ouvrage "Traditions et légendes de la Belgique" (1870). Ce qui suit reprend, pour chaque corbeau, en italique la description qu'avait réalisé Madame Andrée Louis dans l'article "La petite sculpture à l’Hôtel de Ville de Bruges" parue en 1943 dans la "Revue belge d'archéologie et d'histoire de l'art."
"
Cette suite de sculptures forme un beau calendrier de pierre sur le pourtour de la salle échevinale. L'exemple en est venu de France où ces calendriers apparurent, taillés en relief sous les grandes statues de saints, aux porches des cathédrales des XIIe et XIIIe siècles, à Chartres d'abord, puis à Paris, Amiens et Reims."
Notons que le "Maend" qui termine chaque nom de mois signifie à la fois
"mois" et "Lune", particularité que l'on retrouve également en allemand
(Monat et Mond) et en anglais (Month et Moon). Ceci nous renvoie à la
construction des calendriers, chaque mois étant, à la base, en relation
avec un cycle Soleil-Lune dont la durée moyenne, d'une Nouvelle Lune à
l'autre, est de 29,5 jours.
Force est de remarquer que l’ordonnancement des figures et des "Maend" soufre d'une grand manque de cohérence, tout en révélant, par moments, des éléments symboliques très typés et liés aux correspondances que les romains établissaient entre signes et divinités latines.
Voir à ce sujet "Vestiges astrologiques au Louvre" sur De Sphæris. Le désouchage par exemple, se pratiquaient au Bélier alors qu'il figure à Bruges au corbeau "décembre". L'amour galant, l'ensemble jardin/cheval/faucon, la tonte des moutons et la moisson sont anachroniques et semblent décalés de trois mois. Ils apparaissent respectivement en jancier, février, mars et juin dans la Gotische zaal alors qu'ils sont plutôt traditionnellement emblématiques des Gémeaux, du Taureau, du Cancer et du Lion. On se demande pourquoi la taille des arbres et la préparation des fagots apparaissent en septembre alors que le mois des semailles et celui de l'abattage du pord sont correctement positionnées à la Balance et au Scorpion.
Du point de vue symbolique, le char tiré par des paons en avril évoque clairement Junon, bien que les plumes en arc-en-ciel soient celles du Verseau. Le char du mois de mai, avec ses lions et des constructions urbaines, nous parlent de Cybèle, la mère archaique qui devient, en héritière monothéiste, la Vierge Marie, dont mai est le mois ; elle peut-être considérée comme une figure du Taureau. Les figures des chars de juillet et août font plutôt penser respectivement à Vulcain (la tenaille) et à Neptune (les vagues et la tête de dauphin, les chevaux, le timon), l'un étant lié au Sagittaire et l'autre au Capricorne.
Sur le mur ouest de la gotische zaal, juste au dessus de la cheminée se trouve le corbeau de Hozemaend, le mois de décembre. "Un homme essarte un terrain pour faire sa provision de bois. La tunique retroussée aux manches, les pieds grossièrement chaussés, un capuchon rabattu sur son dos, la tête moulée dans une calotte, il a déposé à terre sa pioche et son courbet et s'arcboute au sol pour en arracher une énorme souche. Son chien est couché en rond près de lui. Scène bien traitée, pleine d'aisance, où la composition ne se laisse pas deviner tant est naturel le balancement des masses."
La présence du chien est peut-être à mettre en relation avec Diane, divinité du Sagittaire, qui l'un des attributs est le chien.
De part et d'autre du mois de décembre figurent dans les angles sud-ouest et nord-ouest les représentations de l'hiver et du printemps. Pour la première, un chat sur les genoux, une femme cuisine, à moins qu'elle n'entretienne
le foyer. Cette représentation évoque celle attribuée généralement au
Verseau (le repas) et aux Poissons (le repos devant l'âtre). Pour la seconde, un homme taille des branches, activité qui illustre souvent le signe du Bélier dans les calendriers traditionnels.
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"Lente", le printemps |
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"Winter", l'hiver |
Laumaend, le mois de janvier. "Au centre de la scène, un jeune page à parure élégante : pourpoint collant, manches bouffantes, longs cheveux ondoyants noués par une guirlande de fleurs. Il offre un bouquet à une jeune femme assise dans l'herbe, qui manipule elle-même des guirlandes de fleurs et semble attentive à ses galants propos. Au loin, vers la droite, paît un troupeau de moutons. Scène charmante, empreinte de l'esprit des cours d'amour, mais qui, appliquée au mois du gel et des neiges, est anachronique. Dans les autres calendriers, la tradition veut qu'on festoie en janvier. Parfois on se chauffe ou l'on coupe du bois. Pendant tout le Moyen-age, janvier est le mois du repos, des fêtes, des banquets."
Sporkelrnaend, le mois de février. "Un jeune seigneur monté sur son cheval part pour la chasse accompagné de son valet. Le fond de la scène est occupé par un arbre aux branches sinueuses. Œuvre moins bien venue, peut-être d'un apprenti : cheval mal proportionné, au corps trop long, aux pattes trop courtes. Le cavalier est assis quasiment sur l'encolure de la bête. La figure du valet est mieux traitée avec le mouvement désinvolte des jambes et le visage levé. Les scènes cynégétiques sont fréquentes dans les autres calendriers, mais, à Chartres comme à Notre Dame de Paris, c'est au mois de mai que le baron enfourche sa monture pour la chasse au faucon."
Lentemaend, le mois de Mars, très explicitement lié à la saison "Lente", le printemps. "Le mois de mars, qui fut pendant des siècles le premier mois de
l'année, a conservé en flamand le nom de "Lentemaend", mois du
printemps, que Charlemagne lui a donné en l'appelant "Lentzinmânoth."
"L'homme, un rustre à barbe et cheveux abondants, est assis à même le sol. Il maintient serré entre ses jambes un mouton aux pattes liées et le tond énergiquement avec de grands ciseaux en lui tenant fermement la tête. D'autres brebis attendent leur tour, l'une d'elles, à l'avant-plan, a déjà livré sa toison et broute l'herbe rare. L'homme est vêtu d'une longue blouse serrée à la taille et porte de gros chaussons laissant à nu l'extrémité des pieds. À terre, un baquet d'eau. Dans la France des cathédrales, c'est la taille de sa vigne qui occupe, en mars, le paysan. Dans les livres à miniatures des XVe et XVIe siècles, la tonte des moutons deviendra un motif fréquent, mais se placera à un autre moment de l'année : en juin pour les Heures de Notre Dame dites de Hennessy et pour le Manuscrit Mayer Van den Bergh, en juillet dans les Très belles Heures du Duc de Berry et dans le bréviaire Grimani."
Wonnenmaend, le mois d'avril. "Drapée dans un ample manteau, le front ceint d'une couronne, la main portant une gerbe de blé, une femme imposante est assise sur un char tiré par des paons. Le fond est tapissé d'un feuillage stylisé. Le paon est l'oiseau d'Héra (Junon), mais la gerbe peut désigner Déméter (Cérès), généralement réputée déesse des moissons, ce qui n'a rien à voir avec le mois d'avril. Y a-t-il, ici encore, confusion? Nous sommes plutôt portée à interpréter comme suit le symbole : Déméter est en réalité la déesse personnifiant la terre et les forces productrices de la nature, laquelle revit en avril. Ses formes plantureuses, son brillant attelage, la touffe de blé vert, non mûr, - promesse des moissons futures - autant de détails qui conviennent au mois de renouveau où la nature redevient féconde, où la terre revêt sa parure, où les céréales, déjà poussent en épis. Ni cette sculpture, ni celles des mois de mai, juillet et août, ne sont de la même inspiration ni de la même main que les précédentes. Toutes ont un caractère plus abstrait et nettement symbolique. Que sont ces chars à quatre roues tirés par des attelages d'espèces diverses? Il faut y voir incontestablement un souvenir de l'antiquité qu'on vêtait et équipait alors à la mode du jour, sans souci d'archéologie. Ne nous étonnons pas des quatre roues, il s'agit ici d'un char d'apparat tel qu'on en voyait alors et tel qu'il en figure encore de nos jours dans les cortèges historiques ou religieux."
Les couleurs des plumes des paons de Junon évoquent celles de l'arc-en-ciel et le Verseau. Ce signe st opoosé à celui du Lion, là où le Soleil est maitre. QUand il se forme, un arc-en-ciel apparait toujours à l'opposé de là où se trouve le soleil.
Bloemaend, le mois de mai. "Figure féminine couronnée, assise sur un char attelé de deux lions, portant d'une main un sceptre, de l'autre une clef. Fond orné du même feuillage qu'à la scène précédente. Il semble qu'on ait, ici encore, un legs de l'antiquité : cette femme fait nettement songer à Cybèle, déesse de la terre et de l'agriculture, qu'on représentait de façon sensiblement pareille chez les Grecs."
"Bloiemand", le mois de la floraison. Une autre femme, couronnée
elle-aussi, tenant une clé et un sceptre, conduit un char tiré par deux
lions sur fond de terre. "Le mois de mai qui, dans presque tous les
dialectes germaniques, a perdu son nom primitif pour prendre le nom
latin, est connu en Flandre sous la dénomination de Bloeimaend."
Wedemaend, le mois de juin. La seule figure dont le nom n'est pas inscrit. "On fauche le blé : à droite l'homme, vêtu d'un sarreau et chaussé de courtes poulaines, coupe les tiges à l'aide d'une faucille. La moisson, drue et bien mûre mais naïvement stylisée en gros bouquets, forme le fond du tableau. À gauche, une jeune paysanne aux formes rondes lie les gerbes dans une pose gracieuse et les dépose au fur et à mesure sur le sol. C'est le travail des champs conforme au rite millénaire. Ce groupe est un des plus jolis de la série, d'observation juste, plein de charme, jetant une note fraîche dans l'austère monument. Mais il y a un décalage d'un mois dans le moment assigné ici aux taches messicoles. La France, dès le XIIe siècle, à Fenioux, Cognac et St Denis, puis au siècle suivant, à Chartres, Paris et Amiens, fait la moisson en juillet, époque normale d'ailleurs pour les pays de l'Europe centrale. Même en Italie, à St Zénon de Vérone (XIIe siècle), Ie paysan ne coupe le blé qu'en juillet. Il n'y a guère qu'à Parme (au baptistère-reliefs du triforium, XIIe-XIIIe siècle ) qu'on moissonne en juin, et aussi à
Brescia (fragrnents de chapiteaux au Musée civique, XIIe siècle)."
De part et d'autre du mois de juin figurent dans les angles
nord-est et sud-est les représentations de l'été et de l'automne.
Pour la première, un homme fabrique des outils sur une enclume ou, c'est plus vraisemblable, il aiguise la
faux qui lui sert à moissonner. Cette activité est généralement
associée au signe du Lion. Pour la
seconde, c'est le temps où l'on récolte le raisin et où on le foule. Ces activités sont
souvent attribuées aux signes de la Balance ou du Scorpion.
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"Zomer", l'été |
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"Herfst", l'automne |
Hoimaend, le mois de juillet. "Un homme jeune aux cheveux longs, drapé dans un vêtement qui laisse découverte une épaule, est trainé dans un char à quatre roues par un attelage de chiens. Ici encore, figure symbolique dont on ne voit d'ailleurs pas le sens, ou reproduction d'un modèle établi."
La tenaille qu'il tient à la main fait penser à Vulcain.
Deux autres figures, "Hoimaend" et "Ougstmaend", représentent des
personnages conduisant des chars. Ceux-ci sont conduits par des hommes
sans couronne. Le premier, tenant dans les mains une tenaille et un
marteau, se tient sur un char à quatre roues tiré par deux chiens sur
fond de flammes. Le second, plus âgé, chauve et barbu, conduit une
barque tirée par deux chevaux sur fond de vagues. Le premier est
juillet, le second août.
Ougstmaend, le mois d'août. "Un homme à barbe et cheveux longs, assis sur une sorte de conque, est entraîné dans une course à toute allure. Ses chevaux galopent, naseaux ouverts, crinière au vent, il les guide d'une main, de l'autre il tient un sceptre (ou un timon?). Serait-ce le char du soleil et ses chevaux fougueux dont le présomptueux Phaéton fit la triste expérience?"
Les chevaux, la mer, le timon, le dauphin qui apparait dans l'eau, font penser à une figure netunienne.
Pietmaend, le mois de septembre. "Un bucheron au costume pittoresque, le tablier retroussé, les jambes robustes et courtes, la tête coiffée d'un capuchon, a déposé sa hache à terre. Il tate une branche d'arbre avant de la couper. À droite se trouvent déjà des fagots liés et prêts à être emportés: c'est la provision de bois pour l'hiver à venir. Nouvelle interversion, l'abatage ne se faisant que quand les arbres sont défeuillés, c'est-à-dire après septembre. À Amiens, on récolte les fruits en septembre, tandis qu'à Paris on les gaule et que, dans le manuscrit publié par Bouissounouse et dans celui de Grimani, on vendange."
Arselmaend, le mois d'octobre. "La terre bien préparée reçoit la semence que lui jette, une manne sous le bras et le regard droit devant lui, un paysan imberbe coiffé d'un capuchon, car il marche sous le ciel moins clément et au vent déjà aigre d'octobre. C'est en ce mois également qu'à Paris, Chartres et Rampillon, le semeur accomplit son "geste auguste", tandis qu'à Amiens, c'est seulement en novembre. Au XVe siècle, dans le calendrier du duc de Berry, c'est au mois d'octobre aussi, qu'on laboure encore au pied du Louvre de Charles V, tandis qu'au premier plan l'homme "lance déjà la graine au loin".
Slagmaend, le mois de novembre. "Un couple de paysans sacrifie le porc pour les festins de fin d'année ou, plus vraisemblablement pour le saloir. La femme a retroussé ses manches, entouré sa taille d'un tablier et sa tête d'un bavolet. L'homme, les manches également retroussées et armé d'un coutelas, égorge la bête renversée à ses pieds, pendant que son épouse avance un bassin pour recueillir Ie sang. Scène prise sur le vif, pleine de mouvement et de naturel. Ailleurs, on flambe le cochon plutôt en décembre : c'est le cas dans le Bréviaire Grimani, dans le manuscrit Mayer Van den Bergh, dans celui publié par Bouissounouse et dans les Heures dites de Hennessy. II en est de même à Notre Dame de Paris. À Reims, en novembre, le paysan va faire sa provision de bois, à Paris et à Chartres, le porcher conduit son troupeau à la glandée."
"Slagmaend", le mois de l'abattage. Le Baron de Reinsberg-Düringsfeld est équivoque quant à ce
mois, il l'associe tantôt à novembre en évoquant "slachtmaend, le mois
de tuerie" en lien avec les sacrifices, tantôt avec le mois qui
précédait alors immédiatement le "louwmaend", c'est à dire janvier.