LILITH DANS LE THÈME DE NAISSANCE, par Didier FLEURY

La première question à se poser à propos de Lilith dans notre thème est : est-ce que je veux vraiment rencontrer cette part sauvage de moi-même ? Est-ce que je veux vraiment de cette liberté fondamentale et inaliénable à l’intérieur de moi ? Est-ce que je peux assumer ma soif de Vie? Si la réponse est non, c’est à la démone que nous aurons affaire, au côté noir de Lilith. Mais si nous abordons cette part de nous-mêmes en toute conscience, nous verrons le côté lumineux de notre "soif d’absolu".


La démonisation de Lilith

Une des figures assez récente du panthéon astrologique est la Lune noire que l’on nomme aussi Lilith, par allusion à cette antique femme dont parlent certaines légendes juives, la première femme d’Adam, une pré-Ève. Dans la mythologie, Lilith sera assimilée à ces fées malfaisantes qui hantent les contes orientaux (akkadiens, sumériens, babyloniens…). Celles-ci dévorent les hommes, provoquent des cauchemars, ravissent les nouveau-nés, empoisonnent les eaux… Ce n’est là qu’un florilège ; Lilith habite les zones obscures de la terreur humaine, et ses méfaits sont innombrables.

"Queen of the Night, British Museum"
Cette noirceur de Lilith ne lui est pas intrinsèque. Lilith est aussi la Déesse mère dont les premières traces visibles pour nous datent du paléolithique supérieur (vers -40 000 / -35 000 ans). Cette déesse est une antique représentation du matriarcat, débouté par le règne guerrier du patriarcat et ses figures masculines prévalentes. Le patriarcat s’est instauré par la censure de la longue histoire qui le précède, par l’ensevelissement du Féminin Vivant. On a coutume en effet de faire commencer l’Histoire à l’émergence des rois, des guerriers et de la force masculine. L’Histoire devient ainsi une histoire de conquête. Il faut alors imaginer le refoulement prodigieux du Féminin Divin auquel vont se livrer toutes les cultures fondées sur le culte du Dieu Père. Quelques milliers d’années suffiront à enfouir les trônes féminins dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

La démonisation de Lilith est la conséquence de ce refoulement. De déesse elle devient femme sorcière, femme démoniaque et dangereuse. Dans un thème, Lilith est une représentation de ces strates enfouies de la culture humaine où l’avidité matérielle et le pouvoir par les armes n’existent point. Sans doute l’impasse dans laquelle se trouve notre époque actuelle de violence dévastatrice ramène-t-elle Lilith des profondeurs dans les symboles astrologiques. Lilith est le ventre de l’humanité que le patriarcat a refoulé par le glaive. Qu’on prenne garde à ne pas voir dans la Déesse mère la tendresse molle et l’esprit de sacrifice inépuisable des figures féminines du patriarcat. Il s’agit de la Femme-Origine toute puissante, qui détient le pouvoir de vie et de mort, la décision suprême, mais aussi détentrice de l’amour sacré.

Cette strate enfouie existe encore en nous et revendique aujourd’hui son droit à l’existence. L’astrologie structurale intègre Lilith dans toute représentation du thème astral, comme un lieu du thème fondamental pour la compréhension de notre vie et de nos réactions.

Qu’est-ce que Lilith astrologiquement parlant ?

"Lilith en el mar rojo" par Marta, sur FlickR
C’est la fondation de notre psychisme, comme elle est la fondation de notre Histoire humaine. C’est un lieu du thème qui reste dépourvu de représentations acquises par la culture, un lieu de nous-mêmes sans condition. Cela seul pose quelques difficultés !

La première question à se poser à propos de Lilith dans notre thème est : est-ce que je veux vraiment rencontrer cette part sauvage de moi-même ? Est-ce que je veux vraiment de cette liberté fondamentale et inaliénable à l’intérieur de moi ? Est-ce que je peux assumer ma soif de Vie ? Si la réponse est non, c’est à la démone que nous aurons affaire, au côté noir de Lilith. Mais si nous abordons cette part de nous-mêmes en toute conscience, nous verrons le côté lumineux de notre « soif d’absolu » comme l’écrit Luc Bigé.

Lilith dans un thème nous indique une partie de nous-mêmes qui ne s'attache à rien. Elle vit dans l’extraordinaire densité du présent, que les idées diluent, que l'attente du futur et la mémoire du passé dénaturent. Lilith ne veut rien que le présent et la vérité du présent. Elle dénonce la relativité de l'histoire, de la culture, des habitudes, en fait toutes les attitudes qui prennent le relatif pour absolu. C’est un lieu du thème sans permis de construire, qui refuse de se laisser prendre au jeu (et au « je » !). Si nous entrons dans cet endroit très énergétique du thème, nous devenons vivants au présent, dans la libération du passé, qui n’est plus, et dans le désintérêt du futur qui n’est qu’une idée sur la façon dont le présent va se prolonger. Nous découvrons que la transcendance est dans le présent, dans la conscience immédiate, sans mots, sans images. Vertigineux! Nous avons tant construit, ça et là, à travers nos représentations culturelles historiques et notre éducation personnelle, qu’il nous est difficile de demeurer dans l’état de plénitude que propose Lilith. Sans cesse nous sommes arrachés à l’énergie qui nous fonde par des pensées, des prévisions, des images, des jugements qui témoignent de notre peur que le monde nous échappe et que notre vie cesse de nous appartenir.

"Born to be a life" par Nessy Shepherd, sur FlickR
Il n’est donc en rien commode, aujourd’hui, de par notre environnement culturel, d’intégrer cette énergie jaillissante qu’est Lilith. Quand nous nous détournons de Lilith, ou quand nous l’ignorons, nous la vivons comme un vide dont la profondeur est incalculable. Amenez un instant votre pensée sur ce qui vous est le plus cher au monde : un être, un objet, un souvenir, ce que vous voudrez. Puis supprimez-le de votre existence. Vous venez d’en être privé. Sentez à l’intérieur de vous la résistance qui surgit ! Lilith fera fi de cette résistance. Elle vous privera. La privation nous coûte à la hauteur de notre attachement. Allez plus loin, acceptez la perte. Que reste-t-il? Ce que l’on pourrait appeler votre « vivance », sans attache, sans projection, sans attente.

Lilith et le vide

Dans notre rapport avec Lilith, nous nous arrêtons généralement sur le vide qu’elle provoque dans notre vie. Nous pensons que c’est injuste. Il y a une grande différence entre la Lune noire (Lilith) et la Lune dans un thème astral. La Lune veut avoir, elle a soif, elle est en demande de complétude et d’assouvissement. Mais la Lune est creuse plutôt que vide. C’est un contenant qui appelle à être rempli et satisfait (par exemple quand le bébé pleure). Mais il est possible de satisfaire la Lune parce qu’elle vient à réplétion. Elle ne demande plus quand elle est satisfaite. Telle n'est pas le cas de Lilith, qui, sous sa forme démoniaque, n'est jamais satisfaite. Ce n'est pas un contenant, mais un vide, une antimatière. Ce n'est donc pour elle jamais assez quand nous la vivons au niveau naïf (Cf. Note).

On voit se dégager deux cas :
  • soit la personne exige d’être comblée là où se trouve Lilith dans son thème. Cette demande peut prendre des proportions exorbitantes, d’autant plus que la peur du vide est grande et que le natif se sent injustement privé. Laurence Larzul parle ainsi de notre plus grande tentation narcissique.
  • soit la personne se prive elle-même (c’est un auto-sevrage) de ce qu’elle ne peut avoir. Christian Duchaussoy dénomme cette attitude la « tentation du désert », non par allusion à la façon dont le diable éprouve le Christ dans le désert, mais pour signifier le démeublement volontaire et hautain de la maison habitée par Lilith et à la manière du signe où elle se situe.
"Freedom tunnel" par Timothy Vogel sur Flickr
Comme toute partie du thème, Lilith peut-être projetée. En ce sens, il se produit des faits venant de l’autre. Nous ne parlerons pas ici de Lilith en signe, mais plutôt en maison, car il est plus facile d’apprendre à en cerner les effets de cette façon.

Prenons le cas de Romain, qui hante les couloirs de l’université à la quête d’une Licence de Lettres modernes. Lilith est en maison IX dans son thème. La maison IX, c’est, entre autres choses, obtenir des compétences très pointues. Romain obtient son premier grade en plus de temps qu’il n’en faut. Il tente de décrocher ensuite sa Licence, en plusieurs années. Un jour, passant dans le couloir, un professeur lui dit : « Monsieur, je ne vous donnerai jamais votre Licence ». Le professeur trouvait Romain trop désinvolte dans la matière qu’il enseignait. Romain répond au professeur bientôt médusé : « Cela ne fait rien, on ne peut pas lutter contre la bêtise humaine ! », et il quitte définitivement l’université.

Quand Lilith est en maison VII, il n’est pas rare que le compagnon ou la compagne de votre vie vous claque entre les doigts du jour au lendemain. Citons le cas, fort triste, de Lucie dont le compagnon se suicide après lui avoir fait un enfant (Lilith est en maison VII et en Cancer). De plus, le natif éprouve un vide de toute contractualisation. C’est un électron libre malgré lui.

"Music and freedom" par Gonzalo Saenz sur Flickr
On va trouver les effets de Lilith également dans la révolution solaire. Laurent à Lilith dans la maison IV pendant un an dans son thème annuel. Dans son thème natal, Lilith est aussi en IV. Voilà qui va renforcer la position du thème natal. Laurent tenait une boutique d’art dans laquelle il vivait et dormait, muni d’un petit réchaud et d’un lit de camp, au rez-de-chaussée d’une rue commerçante. Il doit quitter sa boutique parce que le propriétaire entend augmenter son loyer et va de-ci de-là trouver refuge. Pendant presque un an, il se comporte en nomade sans attache.

Les effets de Lilith ne sont pas toujours dramatiques, mais ils font toujours sentir une brèche. Une impossibilité d’être comblé et d’avoir quoi que ce soit. Ce vide ressenti est pourtant une porte d’entrée à une vie intense et vraie à laquelle nous sommes en général fort peu préparés. Lilith est un point d’intensité extraordinaire qui ne peut être vécu sans faire le sacrifice, en tant que lieux de conscience exclusifs, de nos projets solaires et de nos besoins lunaires. Lilith est primordiale et ne fait aucun compromis sur ce que l’on voudrait construire. Elle est là, c’est tout. Parvenir à être là, c’est découvrir cette zone de nous qui veut vivre dans l’émerveillement du présent. Le prix est l’arrêt de l’attachement. Ainsi, au mode évolutif, une Lilith en VII n’a pas à renoncer à un lien, mais à vivre le lien dans la fraîcheur du moment, dans une présence avec l’autre intense et entière, libre de possession.

Les transits de Lilith sur le thème natal permettent de mieux en comprendre la nature. Elle effectue un tour du zodiaque en 19 ans environ, et chaque conjonction sur une planète du thème natal est l’occasion de se voir privé des projections attachées au fonctionnement de la planète, tout autant que de ses références culturelles. Toute l’énergie psychique, représentée par la planète, est ramenée à son origine – la féminité originelle – quand Lilith transite.
Il faut comprendre les bienfaits de la lune noire au-delà de la terreur qu’elle suscite, comme dans les contes orientaux. C’est une part de nous-mêmes qui veille à demeurer libre, et qui refusera toujours qu’aucun système ne se referme sur nous. Il se pourrait que nous ayons besoin d’elle, aujourd’hui que le patriarcat est arrivé à sa maturité et à son terme. Lilith ne cherche cependant aucune revanche. Elle a toujours été là. La découvrir ce n’est que la redécouvrir.
Lorsque Lilith est vécue sur le plan évolutif, elle va devenir un état de non attachement, une liberté à l’égard des attentes, des projections et des transferts. C’est alors que grandit la liberté intacte de l’Être.

__________________________
Note : En astrologie structurale, le niveau naïf de vécu est induit par un état de conscience limité qui cause une répétition inconsciente des comportements. Il se distingue du niveau évolutif qui se caractérise par une intervention de la conscience dans ce que nous vivons.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire