Les Étoiles véritablement ont leur cours nécessaire dans le Ciel, et les effets en viennent jusqu'à nous. Car si la course des chevaux et le mouvement des hommes sont capables de remuer des pierres par l'ébranlement de l'air agité, pourquoi le cours de si grands globes sera-t-il sans effet? Le moindre feu produit de la chaleur que nous ressentons, quoiqu'il brûle nécessairement, et sans avoir égard à nous ; et pourquoi ne sentirions-nous point les influences des Astres? Il est vrai que l'Astrologie ne change pas la nature des choses, et n'empêche pas qu'elles n'arrivent ; mais les prédictions agréables donnent de la joie ; et l'on peut plus aisément remédier aux maux qu'on prévoit, outre qu'ils ne surprennent pas tant, et qu'ils sont plus faciles à supporter.
Lucien vécut au deuxième siècle de notre ère. Il naquit à Samosate, dans l'ancienne Syrie et mourut à Athènes. Il fut sculpteur puis avocat et voyagea dans tout l'Empire romain.
Mon dessein n'est pas de traiter ici de la nature du Ciel et des Astres, mais des prédictions qu'on en peut tirer pour l'utilité de cette vie, sans donner pourtant ni préceptes ni doctrine, mais seulement quelques remarques et quelques observations sur ce sujet.
Je m'étonne d'abord que les Doctes qui cultivent avec tant de soin les autres parties de la Philosophie, ne font plus d'état de celle-ci. Car elle est très ancienne, et tire son origine de ces premiers Rois, qui ont été chéris des Dieux ; mais on néglige maintenant d'y travailler, non tant par paresse, que par ignorance, pour n'en pas avoir assez de lumières ; et lorsqu'on rencontre quelque imposteur qui en fait profession, on condamne l’art, au lieu de condamner l'artisan, quoique l'Astrologie, non plus que les autres Sciences, ne soit pas responsable des fautes que font ceux qui l'exercent.
Les Éthiopiens, à ce qu'on dit, sont les premiers qui l'ont découverte, à cause que leur Ciel est sans nuages, et qu'ils n'éprouvent pas comme nous le changement des saisons ; outre que c'est une nation fort subtile, et qui surpasse toutes les autres en esprit et en savoir.
Après avoir donc remarqué les faces différentes de la Lune, ils en voulurent rechercher la cause, et trouvèrent à la fin que cela venait des divers aspects du Soleil dont elle empruntait sa lumière. Ils étudièrent ensuite le cours et la nature des autres Planètes, et leur donnèrent des noms non seulement pour les discerner, mais pour marquer leurs diverses influences. Enfin, les Égyptiens ont cultivé cette Science, mesuré le cours de chaque Astre, et distingué l'année en mois et en saisons, la réglant sur le cours du Soleil, et les mois sur celui de la Lune.
Ils ont fait plus car, ayant partagé le Ciel en douze parties, ils ont représenté chaque constellation par la figure de quelque animal, d'où vient la diversité de leur Religion. Car tous les Égyptiens ne se servaient pas de toutes les parties du Ciel pour deviner, mais ceux-ci de l'une, et ceux-là de l'autre.
Ceux qui observèrent les propriétés du Bélier, adorent le Bélier, et ainsi du reste. On dit même qu'ils révèrent le Bœuf Apis en mémoire du Taureau céleste ; et dans l'Oracle qui lui est consacré, on tire les prédictions de la nature de ce signe, comme les Africains font de celle du Bélier, en mémoire de Jupiter Hamon qu'ils adorent sous cette figure.
Mais les Chaldéens se sont adonnés plus que tous les autres à cette discipline ; si bien qu'ils veulent qu'on les en croie les Auteurs, quoique ce ne soit pas mon sentiment. Pour les Grecs, ils l'ont apprise d’Orphée, qui leur en a donné les premières lumières, bien qu'obscurément, et sous le voile de plusieurs mystères et cérémonies. Car la lyre sur laquelle il célébrait les Orgies, et chantait des hymnes et des cantiques, est composée de sept cordes, qui représentent les sept Planètes : c'est pourquoi les Grecs l'ont placée dans le Ciel après sa mort, et appelé une constellation de son nom. Aussi le peint-on assis avec une lyre, environné d'une infinité d'animaux, qui font l'image de feux célestes.
On dit aussi que Tirésias était grand Astrologue, et qu'on l'a figuré mâle et femelle, parce qu'il attribuait l'un et l'autre sexe aux Planètes. Du temps d'Atrée et de Thyeste, les Grecs avaient déjà grande connaissance de l'Astrologie; et ceux d'Argos ayant décerné l'Empire à celui qui y serait le plus savant, Thyeste leur découvrit les propriétés du Bélier, d'où l'on a pris occasion de dire qu'il avait un Bélier d'or.
Atrée remarqua le cours du Soleil, contraire à celui du premier mobile ; ce qui le fit préférer à son rival. J'ai le même sentiment de Bellérophon ; et je ne crois pas qu'il ait jamais eu de cheval ailé ; mais bien que son esprit guindé dans le Ciel, y a remarqué plusieurs belles choses touchant les Astres. Il en est de même, à mon avis, de Phryxus, fils d'Athamas, qu'on fait aller par l'air sur un Bélier d'or ; et je crois que Dédale et son fils ont été savants dans l'Astrologie ; et que l'un pour s'être perdu dans cette science, a donné lieu à la Fable. Peut-être aussi que Pasiphaé, pour avoir ouï l'autre discourir du Taureau céleste, et des autres Astres, devint amoureuse de sa doctrine ; ce qui a fait dire qu'elle était devenue amoureuse d'un Taureau, dont elle avait joui par son moyen.
Il y en a qui ont partagé cette Science, et qui se sont exercé chacun sur diverses parties ; les uns ayant observé le cours de la Lune ; les autres, celui du Soleil, ou de quelque autre Planète, avec leurs diverses influences, comme Phaéton et Endymion (la fable en est trop connue pour être répétée ici), dont le premier laissa cet Art imparfait par sa mort ; et l'autre s'en acquitta si bien, qu'on dit qu'il jouît de ses amours, et qu'il coucha avec la Lune. C'est ainsi qu'on fait naître Énée de Vénus, Minos de Jupiter, Ascalaphe de Mars, Autolyque de Mercure, parce qu'ils sont nés sous ces Planètes. Et comme on retient toujours quelque chose de son ascendant, Minos a été Roi, Enée beau, Ascalaphe vaillant, et Autolyque voleur.
Jupiter aussi n'a pas enchainé Saturne, ni ne l'a précipité dans les Enfers, comme le croit le peuple ignorant ; mais on a feint le premier, à cause de son mouvement lent et tardif ; et la profondeur de l'air a été prise pour l'abyme des Enfers.
Il est aisé de voir, par les vers d'Hésiode et d'Homère, que les Fables anciennes s'accordent avec l'Astrologie, comme quand celui-ci parle de la chaîne d'or de Jupiter, et des dards du Soleil, que je crois être l'an et les jours, pour ne rien dire des villes que Vulcain grava dans le bouclier d'Achille, ni de la danse, et du cercle luisant de son Écu. Car tout ce qu'il dit de l'adultère de Mars et de Vénus, et de la façon dont il fut découvert, est pris de l'Astrologie ; à quoi a donné lieu le fréquent concours de ces deux Planètes. En un autre endroit il décrit les effets de ces deux Astres, attribuant à Venus les plaisirs de l'Amour, et à Mars ceux de la guerre. Les anciens sachant bien ces choses, se sont fort adonnés aux prédictions qui se tirent des étoiles. Car ils n'entreprendraient rien de considérable sans consulter quelque Devin; soit qu'il fût question de prendre femme, ou de faire quelque autre chose d'importance.
Les Oracles même ont du rapport à l'Astrologie. La Vierge qui rend les réponses à Delphes, signifie la Vierge céleste ; le Dragon qui siffle sous le trépied, le Dragon au Ciel ; le Temple de Didyme, les deux Jumeaux.
En un mot, la divination est une chose si sainte et si ancienne, qu'Ulysse dans ses longues et périlleuses erreurs, voulut descendre aux Enfers non par une simple curiosité, mais pour y consulter Tirésias qui était grand Astrologue, sur l'état de ses affaires. Comme il fut arrivé au lieu que Circé lui avait dit, il creusa une fosse, et y égorgea des victimes ; et lorsqu'il se vit environné d'ombres murmurantes, parmi lesquelles était celle de sa mère, il ne leur voulut pas permettre de boire le sang dont elles paraissaient fort altérées, que celle de Tirésias n'eût bu le premier, afin d'apprendre de lui l'avenir.
Lycurgue, ce grand Législateur des Lacédémoniens, forma sa République sur le modèle des Astres et défendit à ses Citoyens de marcher au combat avant la pleine Lune, parce qu'on en a le corps plus vigoureux. Il n'y a que les Arcades qui n'ont pas voulu recevoir l'Astrologie, étant si sots que de croire qu'ils sont nés avant la Lune.
Voilà comme nos Ancêtres ont été curieux de cette Science ; mais maintenant, les uns disent, qu’il est impossible de connaître l'avenir, parce que toutes choses sont incertaines, et peuvent arriver diversement. Que ce n'est pas pour nous que les Astres roulent dans le Ciel, et qu'ils n'ont aucun commerce avec les hommes, ni ne se mêlent de leurs affaires, mais se remuent par nécessité.
Les autres soutiennent que l'Astrologie n'est pas tant menteuse qu'inutile, parce que les choses ne se peuvent éviter, quand elles se pourraient prévoir. Mais je répondrai aux uns et aux autres, que les Étoiles véritablement ont leur cours nécessaire dans le Ciel, mais que les effets en viennent jusqu'à nous. Car si la course des chevaux et le mouvement des hommes sont capables de remuer des pierres par l'ébranlement de l'air agité, pourquoi le cours de si grands globes sera-t-il sans effet? Le moindre feu produit de la chaleur que nous ressentons, quoiqu'il brûle nécessairement, et sans avoir égard à nous ; et pourquoi ne sentirions-nous point les influences des Astres?
Il est vrai que l'Astrologie ne change pas la nature des choses, et n'empêche pas qu'elles n'arrivent ; mais les prédictions agréables donnent de la joie ; et l'on peut plus aisément remédier aux maux qu'on prévoit, outre qu'ils ne surprennent pas tant, et qu'ils sont plus faciles à supporter. Voilà quel est mon sentiment touchant cette partie de l'Astrologie.