DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE : L'ASTROLOGIE, par Éliphas LÉVI

Suivant Ptolémée, le soleil dessèche et la lune humecte. Suivant les cabalistes, le soleil représente la Justice rigoureuse et la lune est sympathique à la Miséricorde. C'est le soleil qui forme les orages. C'est la lune qui, par une sorte de douce pression atmosphérique, fait croître, décroître et comme respirer la mer. On lit dans le Zohar, l'un des grands livres sacrés de la Cabale, que "le Serpent magique, fils du Soleil, allait dévorer le monde, lorsque la Mer, fille de la Lune, lui mit le pied sur la tête et le dompta." C'est pour cela que, chez les anciens, Vénus était fille de la Mer, comme Diane était identique avec la Lune. C'est pour cela que le nom de Marie signifie étoile de la mer ou sel de la mer. C'est pour consacrer ce dogme cabalistique dans les croyances du vulgaire qu'on a dit en langue prophétique : c'est la femme qui doit écraser la tête du serpent.


Alphonse-Louis Constant, alias Éliphas Lévi, est un des grands visionnaires du XIXe siècle. Né à Paris en 1810, il se voue d'abord à la prêtrise pour se tourner ensuite vers le militantisme socialiste et enfin pour consacrer les dernières années de sa vie à l'occultisme. La très abondante littérature qu'il a laissé l'a mené par trois fois en prison, sous trois régimes politiques successifs, pour des ouvrages comme Le Catéchisme de la liberté, La Voix de la famine, Caligula.  Ami des grands réformateurs, il est l'apôtre du féminisme dans l'église et dans la vie sociale.
Devenu Éliphas Lévi et retiré du monde réel et de ses vanités, il rédige en particulier, dans une prose éblouissante, "Dogme et Rituel de haute magie", "Histoire de la magie" et "La Clef des grands mystères". Il s'éteint en 1875, après avoir influencé des personnages aussi divers que Nerval, Baudelaire, Victor Hugo, André Breton.

Les paragraphes publiés ici sont tirés de "Dogme et Rituel de haute magie", publié à Paris en 1856.


De tous les arts issus du magisme des anciens, l'astrologie est maintenant le plus méconnu. On ne croit plus aux harmonies universelles de la nature et à l'enchaînement nécessaire de tous les effets avec toutes les causes. La véritable astrologie, d'ailleurs, celle qui se rattache au dogme unique et universel de la Cabale, a été profanée chez les Grecs et chez les Romains de la décadence; la doctrine des sept cieux et des trois mobiles, émanée primitivement de la décade séphirique, le caractère des planètes gouvernées par des anges dont les noms ont été changés en ceux des divinités du paganisme, l'influence des sphères les unes sur les autres, la fatalité attachée aux nombres, l'échelle de proportion entre les hiérarchies célestes correspondantes aux hiérarchies humaines, tout cela a été matérialisé et rendu superstitieux par les généthliaques et les tireurs d'horoscopes de la décadence et du moyen âge. Ramener l'astrologie à sa pureté primitive serait en quelque façon créer une science toute nouvelle; essayons seulement d'en indiquer les premiers principes, avec leurs conséquences les plus immédiates et les plus prochaines.


Nous avons dit que la lumière astrale reçoit et conserve toutes les empreintes des choses visibles; il en résulte que la disposition quotidienne du ciel se réfléchit dans cette lumière, qui, étant l'agent principal de la vie, opère, par une série d'appareils destinés à cette fin par la nature, la conception, l'embryonnat et la naissance des enfants. Or, si cette lumière est assez prodigue d'images pour donner au fruit d'une grossesse les empreintes visibles d'une fantaisie ou d'une délectation de la mère, à plus forte raison doit-elle transmettre au tempérament mobile encore et incertain du nouveau-né les impressions atmosphériques et les influences diverses qui résultent, à un moment donné, dans tout le système planétaire de telle ou telle disposition particulière des astres.


Rien n'est indifférent dans la nature : un caillou de plus ou de moins sur un chemin peut briser ou modifier profondément les destinées des plus grands hommes ou même des plus grands empires; à plus forte raison la place de telle ou telle étoile dans le ciel ne saurait être indifférente pour les destinées de l'enfant qui naît et qui entre par sa naissance même dans l'harmonie universelle du monde sidéral. Les astres sont enchaînés les uns aux autres par des attractions qui les tiennent en équilibre et les font régulièrement se mouvoir dans l'espace; ces réseaux de lumière vont de toutes les sphères à toutes les sphères, et il n'y a pas un point sur chaque planète auquel ne se rattache un de ces fils indestructibles. Le lieu précis et l'heure de la naissance doivent donc être calculés par le véritable adepte en astrologie; puis, quand il aura fait le calcul exact des influences astrales, il lui reste à compter les chances d'état, c'est-à-dire les facilités ou les obstacles que l'enfant doit trouver un jour dans son état, dans ses parents, dans le tempérament qu'il a reçu d'eux, et par conséquent dans ses dispositions naturelles pour l'accomplissement de ses destinées. Et encore faut-il tenir compte de la liberté humaine et de son initiative, si l'enfant arrive un jour à être véritablement un homme et à se soustraire par un courageux vouloir aux influences fatales et à la chaîne des destinées. On voit que nous n'accordons pas trop à l'astrologie; mais aussi ce que nous lui laissons est incontestable, c'est le calcul scientifique et magique des probabilités.

L'astrologie est aussi ancienne, et plus ancienne même, que l'astronomie, et tous les sages de l'antiquité voyante lui ont accordé la confiance la plus entière; or il ne faut pas condamner et rejeter à la légère ce qui nous arrive entouré et soutenu par de si imposantes autorités.


De longues et patientes observations, des comparaisons concluantes, des expériences souvent réitérées, ont dû amener les anciens sages à leurs conclusions, et il faudrait, pour prétendre les réfuter, recommencer en sens contraire le même travail. Paracelse a été peut-être le dernier des grands astrologues pratiques; il guérissait les malades par des talismans formés sous les influences astrales, et reconnaissait sur tous les corps la marque de leur étoile dominante, et c'était là, selon lui, la vraie médecine universelle, la science absolue de la nature, perdue par la faute des hommes et retrouvée seulement par un petit nombre d'initiés. Reconnaître le signe de chaque étoile sur les hommes, sur les animaux, sur les plantes, c'est la vraie science naturelle de Salomon, cette science qu'on dit perdue et dont les principes sont conservés cependant comme tous les autres secrets dans le symbolisme de la Cabale. On comprend que, pour lire l'écriture des étoiles, il faut connaître les étoiles elles-mêmes, connaissance qui s'obtient par la domification cabalistique du ciel, et par l'intelligence du planisphère cabalistique, retrouvé et expliqué par Gaffarel. Dans ce planisphère, les constellations forment des lettres hébraïques, et les figures mythologiques peuvent être remplacées par les symboles du Tarot. C'est à ce planisphère même que Gaffarel rapporte l'origine de l'écriture des patriarches, et l'on aurait trouvé dans les chaînes d'attraction des astres les premiers linéaments des caractères primitifs; le livre du ciel eût donc servi de modèle à celui d'Hénoch, et l'alphabet cabalistique serait le résumé de tout le ciel. Ceci ne manque ni de poésie, ni surtout de probabilité, et l'étude du Tarot, qui est évidemment le livre primitif et hiéroglyphique d'Hénoch, comme l'a compris le savant Guillaume Postel, suffira pour nous en convaincre.


Les signes imprimés dans la lumière astrale par le reflet et l'attraction des astres se reproduisent donc, comme l'ont découvert les sages, sur tous les corps qui se forment par le concours de cette lumière. Les hommes portent les signes de leur étoile sur le front surtout et dans les mains; les animaux dans leur forme tout entière et dans leurs signes particuliers; les plantes la laissent voir sur leurs feuilles et dans leur graine; les minéraux dans leurs veines et dans les aspects de leur cassure. L'étude de ces caractères a été le travail de toute la vie de Paracelse, et les figures de ses talismans sont le résultat de ses recherches; mais il n'en a pas donné la clef, et l'alphabet cabalistique astral avec ses correspondances reste encore à faire; la science de l'écriture magique non conventionnelle s'est arrêtée, pour la publicité, au planisphère de Gaffarel.


L'art sérieux de la divination repose tout entier sur la connaissance de ces signes. La chiromancie est l'art de lire dans les lignes de la main l'écriture des étoiles, et la métoposcopie cherche les mêmes caractères ou d'autres analogues sur le front de ses consultants. En effet, les plis formés sur la face humaine par les contractions nerveuses sont fatalement déterminés, et le rayonnement du tissu nerveux est absolument analogue à ces réseaux formés entre les mondes par les chaînes d'attraction des étoiles. Les fatalités de la vie s'écrivent donc nécessairement dans nos rides, et l'on reconnaît souvent au premier regard, sur le front d'un inconnu, une ou plusieurs des lettres mystérieuses du planisphère cabalistique. Cette lettre est toute une pensée, et cette pensée doit dominer l'existence de cet homme. Si la lettre est tourmentée et se grave péniblement, il y a lutte chez lui entre la fatalité et la volonté, et déjà dans ses émotions et dans ses tendances les plus fortes tout son passé se révèle au mage; l'avenir alors est facile à conjecturer, et si les événements trompent parfois la sagacité du devin, le consultant n'en demeure pas moins étonné et convaincu de la science surhumaine de l'adepte.

La tête de l'homme est faite sur le modèle des sphères célestes, et elle attire et elle rayonne, et c'est elle qui, dans la conception de l'enfant, se manifeste et se forme la première. Elle subit donc d'une manière absolue l'influence astrale et témoigne par ses diverses protubérances de ses diverses attractions. La phrénologie doit donc trouver son dernier mot dans l'astrologie scientifique et épurée, dont nous indiquons les problèmes à la patience et à la bonne foi des savants.

Suivant Ptolémée, le soleil dessèche et la lune humecte; suivant les cabalistes, le soleil représente la Justice rigoureuse et la lune est sympathique à la Miséricorde. C'est le soleil qui forme les orages; c'est la lune qui, par une sorte de douce pression atmosphérique, fait croître, décroître et comme respirer la mer. On lit dans le Zohar, l'un des grands livres sacrés de la Cabale, que "le Serpent magique, fils du Soleil, allait dévorer le monde, lorsque la Mer, fille de la Lune, lui mit le pied sur la tête et le dompta." C'est pour cela que, chez les anciens, Vénus était fille de la Mer, comme Diane était identique avec la Lune; c'est pour cela que le nom de Marie signifie étoile de la mer ou sel de la mer. C'est pour consacrer ce dogme cabalistique dans les croyances du vulgaire qu'on a dit en langue prophétique : c'est la femme qui doit écraser la tête du serpent.


Jérôme Cardan, l'un des plus hardis chercheurs et l'astrologue sans contredit le plus habile de son temps; Jérôme Cardan, qui fut, si l'on croit la légende de sa mort, le martyr de sa foi en l'astrologie, a laissé un calcul au moyen duquel chacun peut prévoir la bonne ou mauvaise fortune de toutes les années de sa vie. Il appuie sa théorie sur ses propres expériences et assure que ce calcul ne l'a jamais trompé. Pour savoir donc quelle sera la fortune d'une année, il résume les événements de celles qui l'ont précédée par 4, 8, 12, 19 et 30 : le nombre 4 est celui de la réalisation; le nombre 8, celui de Vénus ou des choses naturelles; le nombre 12, qui est celui du cycle de Jupiter, correspond aux réussites; au nombre 19 correspondent les cycles de la lune et de Mars; le nombre 30 est celui de Saturne ou de la Fatalité. Ainsi, par exemple, je veux savoir ce qui m'arrivera en cette année 1855 : je repasserai dans ma mémoire ce qui m'est arrivé de décisif et de réel dans l'ordre du progrès et de la vie il y a quatre ans, ce que j'ai eu de bonheur ou de malheur naturel il y a huit ans, ce que j'ai pu compter de succès ou d'infortunes il y a douze ans, les vicissitudes et les malheurs ou les maladies qui me sont venues il y a dix-neuf ans, et ce que j'ai éprouvé de triste ou de fatal il y a trente ans; puis, en tenant compte des faits irrévocablement accomplis et du progrès de l'âge, je compte sur des chances analogues à celles que je dois déjà à l'influence des mêmes planètes, et je dis : en 1851, j'ai eu des occupations médiocrement mais suffisamment lucratives, avec quelques embarras de position; en 1847, j'ai été violemment séparé de ma famille, et il est résulté de cette séparation de grandes souffrances pour les miens et pour moi; en 1843, j'ai voyagé en apôtre, parlant au peuple et persécuté par les gens mal intentionnés : j'ai été, en deux mots honoré et proscrit; enfin, en 1825, la vie de famille a cessé pour moi, et je me suis engagé définitivement dans une voie fatale qui me conduisait à la science et au malheur. Je puis donc croire que j'aurai cette année travail, pauvreté, gène, exil du cœur, changement de lieu, publicité et contradictions, événement décisif pour le reste de mon existence; et je trouve déjà dans le présent toutes sortes de raisons de croire à cet avenir. J'en conclus que, pour moi et pour l'année présente, l'expérience confirme parfaitement la justesse du calcul astrologique de Cardan.

Ce calcul se rapporte d'ailleurs à celui des années climatériques, ou mieux climactériques, des anciens astrologues. "Climactériques" veut dire disposées en échelles ou calculées sur les degrés d'une échelle. Jean Trithème, dans son livre "Des causes secondes", a supputé fort curieusement le retour des années heureuses ou funestes pour tous les empires du monde; nous en donnerons une analyse exacte et plus claire que le livre même dans le chapitre vingt et unième de notre Rituel, avec la continuation du travail de Trithème jusqu'à nos jours et l'application de son échelle magique aux événements contemporains, pour en déduire les probabilités les plus frappantes relativement à l'avenir prochain de la France, de l'Europe et du monde.

Suivant tous les grands maîtres en astrologie, les comètes sont les étoiles des héros exceptionnels et ne visitent la terre que pour lui annoncer de grands changements; les planètes président aux collections d'êtres et modifient les destinées des agrégations d'hommes; les étoiles, plus éloignées et plus faibles dans leur action, attirent les individus et décident de leurs attraits; parfois un groupe d'étoiles influe tout entier sur les destinées d'un seul homme, et souvent un grand nombre d'âmes sont attirées par les rayons lointains d'un même soleil. Lorsque nous mourons, notre lumière intérieure s'en va suivant l'attraction de son étoile, et c'est ainsi que nous revivons dans d'autres univers, où l'âme se fait un nouveau vêtement, analogue aux progrès ou à la décroissance de sa beauté; car nos âmes, séparées de nos corps, ressemblent à des étoiles filantes, ce sont des globules de lumière animée qui cherchent toujours leur centre pour retrouver leur équilibre et leur mouvement; mais elles doivent avant tout se dégager des étreintes du serpent, c'est-à-dire de la lumière astrale non épurée qui les entoure et les captive tant que la force de leur volonté ne les élève pas au-dessus. L'immersion de l'étoile vivante dans la lumière morte est un affreux supplice, comparable à celui de Mézence. L'âme y gèle et y brûle à la fois, et n'a d'autre moyen de s'en dégager que de rentrer dans le courant des formes extérieures et de prendre une enveloppe de chair, puis de lutter avec énergie contre les instincts pour affermir la liberté morale qui lui permettra, au moment de la mort, de rompre les chaînes de la terre et de s'envoler triomphante vers l'astre consolateur dont la lumière lui a souri.


Suivant cette donnée, on comprend ce que c'est que le feu de l'enfer, identique avec le démon ou avec l'ancien serpent; en quoi consistent le salut et la réprobation des hommes, tous appelés et tous successivement élus, mais en petit nombre, après avoir été exposés par leur faute à tomber dans le feu éternel.

Telle est la grande et sublime révélation des mages, révélation mère de tous les symboles, de tous les dogmes et de tous les cultes.

On peut voir déjà combien Dupuis se trompait lorsqu'il croyait toutes les religions issues seulement de l'astronomie. C'est au contraire l'astronomie qui est née de l'astrologie, et l'astrologie primitive est une des branches de la sainte Cabale, la science des sciences et la religion des religions.

Aussi voit-on à la page dix-septième du Tarot une admirable allégorie : une femme nue, qui représente à la fois la Vérité, la Nature et la Sagesse, sans voile, penche deux urnes vers la terre et y verse du feu et de l'eau; au-dessus de sa tête brille le septénaire étoilé autour d'une étoile à huit rayons, celle de Vénus, symbole de paix et d'amour; autour de la femme verdissent les plantes de la terre, et sur une de ces plantes vient se poser le papillon de Psyché, emblème de l'âme, remplacé dans quelques copies du livre sacré par un oiseau, symbole plus égyptien et probablement plus antique. Cette figure, qui, dans le Tarot moderne, porte le titre d'Étoile brillante, est analogue à beaucoup de symboles hermétiques, et n'est pas sans analogie avec l'Étoile flamboyante des initiés de la franc-maçonnerie, exprimant la plupart des mystères de la doctrine secrète des rose-croix.

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